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Qui a peur de réformer l’orthographe ?
"Odyssée, France Inter, 10 février 2003
Article du 20 février 2005
J’ai reçu d’un auditeur un article, un livre de poche et un fascicule. L’article, daté du 25 janvier 2003, était une interview du linguiste Claude Hagège [1] réagissant à la dictée de Bernard Pivot. [2]
Je partage absolument son sentiment lorsque Claude Hagège déclare : Les particularismes, incohérences et exceptions à surmonter pour ne pas faire d’erreurs sont la preuve, pour ceux qui participent à une dictée, d’un savoir. Celui que l’élite cultivée est censée détenir. La dictée est donc un discriminant social (...). Les Français d’origine modeste sont parmi les plus grands acheteurs de dictionnaires. Pour eux, parvenir à une bonne orthographe revient à accéder à l’aspect le plus élitaire de la culture française.
Le livre qui accompagnait l’article est le Guide pratique de la réforme de l’orthographe, publié par Michel Masson chez « Points » Seuil en 1991. Et de bonnes raisons de réformer l’orthographe, Michel Masson nous en donne tout plein. D’abord, l’orthographe française est difficile, et quasiment impossible à mémoriser pour un être humain normal. Ensuite, pour bon nombre de ses règles, elle est parfaitement arbitraire et n’apporte rien au sens. S’il est parfaitement logique d’avoir trois orthographes différentes pour le mot « verre/ver/vers » selon qu’il s’agit de boire, de pêcher ou de déclamer, pourquoi écrire charrue avec deux r et chariot avec un, ou imbécile avec un l et imbécillité avec deux ?
Et prenez les mots qui se terminent par un « x ». À l’origine, on écrivait chevaus ou maus. Mais à la fin du XIIe siècle, les scribes prennent l’habitude, pour aller plus vite, de remplacer la terminaison us par un x. Et comme tous ne font pas pareils, on se mettra à trouver des « chevaux » dans les copies. Neuf siècles après, cent millions de francophones doivent se plier à cette petite lubie.
Quand elle est logique, l’orthographe permet de comprendre le sens d’un texte. Quand elle ne l’est pas, elle sert juste à établir des distinctions de classe. Une réforme de l’orthographe ne serait donc pas une catastrophe. L’espagnol, l’italien, l’allemand, le néerlandais, le danois, le portugais, le russe, le grec ont été réformés. Et entre le Moyen-âge et le dix-neuvième siècle, l’orthographe du français a également beaucoup évolué.
Depuis 1835, plus personne ne veut y toucher et la réforme proposée par nombre d’experts en 1991 a été enterrée alors que tout le monde aurait intérêt à ce que l’orthographe soit simplifiée : les enfants, qu’on cesserait de martyriser parce qu’ils ne connaissent pas des règles que la plupart des adultes sont incapables de respecter ; les étudiants, qui ragent de voir leurs enseignants se focaliser sur leur orthographe et non sur leur réflexion ; les adultes parfaitement compétents, à qui on refuse un poste pour avoir fait une faute dans un dossier d’embauche ; et les étrangers, dont nous désespérons tant qu’ils apprennent notre langue.
C’est pourquoi le Renouvo - réseau d’associations belges, françaises et suisses militant pour la nouvelle orthographe du français - a publié en 2002 un petit fascicule. Il ne suggère pas d’imposer une réforme, mais recommande une orthographe simplifiée plus logique, qui permettrait d’écrire au choix « fraicheur » et « maitre » avec ou sans accent circonflexe, ou « allègement » et « évènement » avec des accents graves sans se faire regarder de travers.
Bon, ce brave Bernard Pivot ne pourrait peut-être plus jouer les instits. Mais tout le monde pourrait se détendre et de nos jours, la détente c’est toujours bon à prendre.
– Le Monde Radio-Télévision 25 janvier 2003
– Michel Masson L’orthographe : guide pratique de la réforme, Points Actuels, 1991
– Renouvo, Vadémécum de l’orthographe recommandée, 4 passage Imberdis, 94700 Maisons-Alfort.
[2] Depuis, Bernard Pivot a été élu à l’Académie Goncourt et, peu après, a décidé de ne plus faire de dictée. Faut-il y voir une relation de cause à effet ?
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