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Les médecins de ma vie
par R.C.
Article du 15 août 2005


Je suis née par un beau matin d’été de l’année 1973 et la première personne que j’ai vue était un médecin. Ses mains m’ont accueillie dans ce monde. Heureusement, je ne comprenais pas encore les mots qui étaient prononcés autour de moi car dans la salle contiguë on pouvait entendre un autre obstétricien hurler après sa patiente qui exprimait les douleurs de l’accouchement « T’as pas tant gueulé quand tu te l’es fait mettre, alors c’est pas la peine de brailler comme ça maintenant ! ».

Episode raconté quelques années plus tard par ma mère se félicitant d’avoir échappé à cet homme.



J’ai ensuite été suivie par notre médecin de famille jusqu’à ma majorité. Le pauvre ! Je lui en ai fait voir des vertes et des pas mûres, et je lui dois de m’avoir sauvé plusieurs fois la vie en sachant m’envoyer à temps à l’hôpital.
Par exemple, je faisais hémorragie sur hémorragie, au début le SAMU se déplaçait, ensuite on avait pris l’habitude et mon père me transportait à l’hôpital souvent au milieu de la nuit. Je me sentais en sécurité dans ses bras et j’avais l’impression que rien de grave ne pouvait m’arriver.

A l’hôpital, ce n’était pas pareil, je détestais cet endroit et même si je n’en fais plus de cauchemars, j’en garde toujours un sentiment d’angoisse. Et pour cause, dans ma petite enfance, on n’avait rien trouvé de mieux que de m’attacher les deux bras aux barreaux de mon lit, soi-disant pour que je n’arrache pas ma perf. Mes parents n’avaient pas le droit de venir me voir et heureusement un ami de la famille réussissait à franchir les barrages hospitaliers car il était policier. Il passait de longues heures avec moi et je jouais avec lui au ballon avec mes pieds, mes mains ne devant sous aucun prétexte être détachées, dès fois que…
J’avais 5 ans.

Au cours d’une autre hospitalisation, un médecin entra dans ma chambre et me voyant les deux narines bouchées par des mèches, appela l’infirmière en lui demandant qui m’avait fait ça et comment à son avis j’arrivais à respirer. Il s’est alors occupé de moi très délicatement et m’a traité comme une adulte sans me parler bêtement, il m’a rassurée, sourit et cette grande chambre d’hôpital m’a soudain moins fait peur.

Puis, après deux cautérisations à quinze jours d’intervalle, (vers 11 ans) et dont je garde encore un souvenir très douloureux, les hémorragies ont disparu. Je revois mon grand père me tenant la main au moment où on venait me chercher pour m’emmener en salle d’op, et me dire : « Quand tu te réveilleras je serai là. » Et effectivement il a toujours été là au moment de mes réveils. Moi par contre je n’étais pas là quand il s’est endormi pour la dernière fois…

A 14 ans, j’ai eu un jour très mal au ventre, notre médecin de famille m’a envoyée en urgence à la clinique.
« - Alors jeune fille tu as mal quand je t’enfonce les doigts là dans le ventre ? 
- Aïe ! Oui docteur mais vous appuyez très fort ! 
- Oui mais il faut pour bien sentir l’appendice. 
- Ah bon ? 
- Et bien tu as une belle appendicite, comme j’ai rien de prévu ce matin, je vais t’opérer tout de suite. » 
Me voilà une heure plus tard sur la table d’opération, l’appendice en moins. Finalement après analyse il s’est avéré que je n’avais pas l’appendicite, certainement des règles douloureuses…
Mais bon, au moins c’est fait, on n’y reviendra pas.

A 19 ans, angine sur angine, on m’envoie consulter un ORL.
« Hola, gente demoiselle ! Il va falloir vous enlever les amygdales.
- Ah bon ? »
Mes amydgales n’ont vu leur salut que parce que l’ORL s’est cassé le poignet la veille de l’intervention. Je n’ai pas repris rendez-vous, mon métier m’a envoyé dans une autre région, et je n’ai plus jamais eu d’angine…

Puis il y a eu les médecins du travail, la branche que j’ai choisie m’oblige à en voir un tous les six mois. Un médecin c’est toujours un peu impressionnant mais ceux là, ils me font peur (un médecin normalement ça rassure - ceux là m’angoissent). Il faut dire que tous les six mois ils tiennent mon destin entre leurs mains, Oui je peux continuer à faire ce métier ou Non c’est terminé, il faut passer à autre chose. Et plus les années passent plus on a la trouille d’aller à cette foutue visite. Et on se met un peu plus la pression : j’ai pris trois kilos depuis la dernière ou inversement j’en ai perdu 4 c’est pas mieux, ma vue a un peu baissé, est ce que je vais réussir tous les tests, est-ce que le dîner chez tata Ursule ce week-end va se voir dans mes analyses ? L’électrocardiogramme va-t-il être normal ? L’encéphalogramme sera-t-il plat ? Et la tête ? Alouette…

Le gynéco, grand moment aussi ça le gynéco… Il y a ceux qui vous enfile le spéculum comme si vous aviez 30 ans de mariage derrière vous, d’autres très doux qui n’osent pas trop et y vont mm par mm (Bon on peut accélérer un peu, là ? On va pas y passer la Noël !!!).
Un jour j’explique à ma gynéco que j’ai mal là (à l’entrée du vagin) quand j’ai des rapports.
« - Oui, je vois ! (En fait, non elle ne voyait rien), Je vais vous envoyer voir un dermato, ça tombe bien ma collègue sur le palier est dermato.
Ok, allons voir la collègue.

Réexplication, réauscultation : « Ah oui ma petite dame, je vois c’est rouge, je vais vous faire un prélèvement. Ecartez bien les jambes, vouaaaaaaaaalààà ! Oh mon Dieu j’ai dérapé et je vous ai déchiré sur plusieurs cm ! » (Ah ben oui c’était pas la peine de le dire, j’avais bien senti mais elle le fait avec quoi son prélèvement ? Un ciseau à bois ?)
- Il va falloir que je vous recouse 
- Ah bon ? Ben allons y ! 
- Ah c’est pas facile, vouaaaaaaaaaaalàààààà ça saigne plus. 

Quinze jours plus tard j’y retourne pour me faire enlever les fils… 
- Ils ne sont pas facile à retirer, je ne vous fais pas trop mal ? (Ben si, mais je dis rien : plus vite ce sera terminé mieux ce sera !).
- Bon alors qu’est ce que j’ai docteur ? 
Elle me répond :
- J’ai perdu votre dossier mais vous n’avez rien c’est psychologique ! 
- Ah bon ? 
- Je vous fais une lettre pour un ami psychiatre qui saura certainement vous aider. »
J’ai pris la lettre, j’ai payé et je suis partie.

Ne me sentant pas folle, je me suis dit qu’avant d’entamer une thérapie j’allais quand même faire vérifier ailleurs. Une amie m’a conseillé un professeur, j’ai téléphoné :
« - Bonjour madame vous voulez un rendez vous en consultation publique ou privée ? 
- Heu… quelle est la différence ? 
- Publique vous aurez des étudiants pendant l’auscultation avec le professeur, privée vous serez seule avec lui mais c’est beaucoup plus cher.
- Bon alors privée. (C’est déjà suffisamment gênant comme ça on ne va pas en rajouter en plus en me faisant reluquer le cul par une demi douzaine de toubibs en herbe !).

Le professeur : « Ah oui je vois quelque chose » (ça on me l’a déjà dit), « Je vais faire un prélèvement » (ça aussi j’ai déjà entendu), « Ne sursautez pas ma petite dame détendez vous » (oui mais bon la dernière fois ça s’est terminé avec des points de suture). « Vouaaaaaaaaalà ! »
- Bon alors docteur je reviens pour les résultats ? 
- Non vous n’allez pas revenir, dès que j’ai les résultats, je vous adresse un courrier avec si besoin une ordonnance. 
- Ah bon ? »
Finalement c’était une infection tout bête, une semaine d’antibiotiques plus tard, c’était fini. Au résultat, gynéco + 2 visites chez le dermato = j’aurai mieux fait d’aller tout de suite voir le professeur…

Des toubibs j’en ai rencontré d’autres, mutations oblige, j’en change souvent.
Par exemple, il y a le généraliste qui a agencé son bureau tel la bande de Gaza, écran d’ordi + livre + cadres photos + porte document délimitent son territoire et tracent une frontière au trois quart du bureau dans la longueur, l’autre quart vide c’est pour vous, pour poser votre chéquier, vos lunettes, ce que vous voulez. Seul check-point autorisé : le pot à crayon, qui est commun aux deux parties. Autour du bureau tout un bric à brac qui vous fait penser à la bibliothèque du Vatican, titres de livres incompréhensibles, enluminures d’anatomie accrochées au mur et les outils de l’Inquisition exposés dans une armoire quand ils ne sont pas posés juste à côté de la table d’examen.

Il y a aussi ceux avec qui je travaille de temps en temps :
Les paroles choquantes : « Il faut que je me lave les mains parce que j’ai touché le bébé (qui vient de naître) et ça m’écoeure parce que je viens de penser qu’il avait touché là en bas (geste de l’infirmière) de la femme. » Ben oui, c’est normal ça sort pas par les oreilles en principe ou peut être sur Mars et encore suis pas sûre…

Ou le médecin qui dit bien fort au moment de brancarder une patiente : « Vous allez en chier parce qu’elle est énorme et on a eu du mal à la descendre dans l’escalier ! » Et la dame qui se met à regarder dans le vide, le drap qui n’arrive pas à la recouvrir complètement, la coquille qui ne coquille plus rien.

Qu’est ce qui me retient de les remettre en place à ce moment là ? Je me dis qu’ils ont une vie de chiotte ça doit être ça. Les messes basses, les commentaires désobligeants - mais qu’est ce que ça peut leur foutre si ce papi met trois slips ? C’est son droit ! Ils seront comment, eux, quand ils seront vieux ?
Il y a aussi ceux qui sont plus soignants que les autres, qui m’expliquent, me commentent leurs interventions, cherchent mon regard.

Mais à travers ces mots et ces coups d’oeils, je sens poindre leur angoisse et la vraie question qu’ils me posent c’est : « Est-ce que j’ai bien fait ? Est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait ? Si ça n’avait pas été moi mais un autre est ce que ça aurait été mieux ? Pourquoi est-ce que j’ai rien pu faire ? »
Et moi je les écoute, me raconter leur vie, leurs peurs, leurs femmes, leurs enfants. Ils peuvent tout me dire, ils le savent, je ne les jugerai pas, je ne suis pas de leur milieu professionnel, j’essaie de les réconforter - les rôles sont inversés. Pourquoi m’ont-ils choisie ? Mystère…

Ces médecins qu’on met sur un piédestal, peut être que les patients seraient un peu plus compréhensifs avec eux et moins geignards s’ils savaient qu’ils se débattent dans la même bouillie quotidienne que nous tous et que souvent ils se réveillent quand leur premier enfant devient adolescent et leur renvoie leur propre image : « Je l’ai pas vu grandir celui-ci alors je ne ferai pas la même erreur pour les autres ! »
Et ils lâchent du lest, prennent moins de gardes ou se font remplacer, consacrent un peu plus de temps à leur vie de famille et, s’il n’est pas trop tard, si le décalage n’est pas trop grand, ils recommencent à aimer leur femme...

R.C.

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