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Que s’est-il passé le 18 Septembre 1931 ? (Histoire de Tchang Tchong-Jen)
"Odyssée, France Inter, 9 Avril 2003
Article du 30 mars 2005
Le 18 septembre 1931, un jeune Chinois de Shanghaï embarque pour l’Europe.
Eduqué au collège des Jésuites dans la concession française de la ville, il a appris le Français. Il peint. Il a été acteur, il a appris la photogravure, il a travaillé dans les studios de cinéma de Shanghaï. Bref, c’est un artiste. Il a vingt-quatre ans et depuis quelques mois, il rêve de partir pour Paris et y étudier les Beaux-Arts.
Il n’est pas le premier à nourrir ce rêve : pendant les années 20 et 30, des milliers de jeunes Chinois se sont rendus en France. Entre 1923 et 1927, des personnalités aussi connues aujourd’hui que Chou En-Lai, Deng Xiao Ping ou l’écrivain Pa Kin ont séjourné à Paris. Mais comme le voyage coûte cher et comme il craint que la ville lumière ne lui fasse perdre la tête, notre jeune homme choisit sagement, une fois arrivé à Marseille, de se rendre dans une ville francophone plus tranquille : Bruxelles.
Il passe l’examen d’entrée à l’Académie Royale des Beaux-Arts et son talent lui vaut d’entrer directement dans la classe supérieure. En trois ans, il accumule les prix de peinture, et aussi de sculpture, à laquelle il commence seulement à s’intéresser. Secrétaire et porte-parole des étudiants chinois, il fréquente régulièrement le père Gosset, leur aumonier. Et le père Gosset, qui a l’esprit particulièrement ouvert, s’intéresse à un autre artiste dont il suit les productions depuis plusieurs années dans le quotidien catholique « Le petit vingtième ».
L’artiste en question se nomme Georges Rémi. Il réalise pour le quotidien une bande dessinée dont le héros est un jeune garçon en pantalon de golf, qu’il a expédié successivement en Union Soviétique, au Congo Belge, à Chicago et au Far-West, et qui vient de traverser l’Egypte et l’Arabie saoudite pour parvenir jusqu’en Inde. Prochaine étape du jeune reporter, annoncée par l’auteur : Shanghaï.
En apprenant cela, le père Gosset se dit : « Il ne faut pas que ce jeune homme raconte n’importe quoi sur Shanghaï et la Chine. » Or, justement, Georges Rémi, alias Hergé, est en train de se constituer une documentation sur la Chine pour dessiner le prochain album des aventures de... Tintin. Le père Gosset lui propose de rencontrer de jeunes Chinois. Hergé accepte, et c’est ainsi qu’il fait la connaissance de celui qui sera son ami pendant tout le reste de sa vie : Tchang Tchong-Jen.
La collaboration de Tchang et d’Hergé éclate dans la première version du Lotus Bleu. C’est un album très différent des précédents, car à partir de la planche 10, il est composé à quatre mains : les textes en chinois sont bien sûr de Tchang ; les décors, certains objets et surtout le caractère cosmopolite de la ville de Shanghaï sont dessinés par Hergé sur les conseils de son nouvel ami et parfois aussi par le jeune artiste chinois. L’album dénonce ainsi vigoureusement la mainmise des Japonais sur Shanghaï dans les années 30.
L’amitié des deux hommes est tellement forte que Hergé transpose dans Le Lotus Bleu un incident très important dans l’histoire de la Chine - le sabotage par des agents japonais d’une ligne de chemin de fer - et va jusqu’à donner au jeune Chinois à qui Tintin sauve la vie le nom de son nouvel ami.
Voilà, Tchang Tchong-Jen n’est plus seulement un jeune artiste, c’est un personnage universel, qui sera le héros d’un autre album d’Hergé, sans doute le plus beau, en tout cas celui qu’il considère comme le plus personnel : Tintin au Tibet.
J’adorerais continuer à vous raconter l’amitié de ces deux hommes, mais un livre, récemment publié par les éditions Moulinsart, le fait mieux que personne. Magnifiquement illustré, il est dû à la plume de Jean-Michel Coblence et de Tchang Yifei, la propre fille de notre héros. En racontant l’amitié entre Tchang Tchong-Jen et Hergé, il retrace aussi l’histoire de la Chine au XXe siècle. C’est un livre chaleureux et passionnant qui s’intitule tout simplement : Tchang !
Tchang ! par Jean-Michel Coblence et Tchang Yifei, Editions Moulinsart, 2003
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