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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)

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L’enseignant en médecine, initiateur et témoin
par Philippe Bagros (Tours)
Article du 3 avril 2005

Philippe Bagros est professeur de néphrologie à Tours. Il s’occupe aussi de l’enseignement des sciences humaines aux étudiants des premières années de médecine à la faculté. Il m’a confié le texte d’une communication qu’il a faite récemment sur le thème de l’enseignement en médecine.

Ce texte montre que, dans les facultés mêmes, des enseignants sont inquiets de la manière dont on (mal)traite les étudiants, car de ces (bons ou mauvais) traitements découlent les comportements et les attitudes qu’ils mettront en oeuvre dans leur pratique professionnelle pour... traiter les corps souffrants.

MW


Faire réfléchir sur ce qu’est un médecin (...) voilà la vocation profonde de l’enseignement intitulé « Sciences Humaines en Médecine ». Cette ambition fait qu’on ne peut le réduire à un programme qui comporterait des Sciences Humaines, de l’ Ethique, de la Philosophie, ni même à une tentative "d’amélioration de la culture générale".

1)Qu’est ce qu’un enseignant en médecine ?

Lorsqu’un enseignant dit devant 600 jeunes de 18 ans « Seuls parmi vous m’intéressent ceux qui vont réussir le concours » il signifie clairement que son métier est de produire des médecins.

Mais cette phrase a un effet destructeur car elle est ressentie comme une exclusion, à un âge de construction identitaire fragile. Si on admet la définition que l’OMS donne de la santé, qui ne se réduit pas à l’absence de maladie, ce comportement est contraire à la santé. Il est symptomatique d’une attitude médicale qui certainement se manifeste aussi à l’hôpital, devant d’autres étudiants.

C’est évidemment contre cette attitude que va l’enseignement « Sciences Humaines en Médecine ».

L’accueil systématique individuel de chaque nouvel inscrit en médecine, juste après les résultats du baccalauréat, est devenu la règle à Tours depuis plusieurs années. La plupart saisissent cette occasion offerte de passer 20 minutes avec un enseignant et un médecin généraliste ou une surveillante, qui sont là pour simplement leur manifester qu’ils existent à nos yeux en tant que personne, et ceci dès le premier jour.

Le fait que les accueillants fonctionnent ainsi par paires leur permet en outre de constituer d’année en année une culture commune à la faculté. Ils sont 80 médecins et quelques surveillantes à donner chaque année une ou plusieurs demi-journées.

2)Les études médicales sont initiatiques.

L’anatomie n’est pas les mathématiques ou la chimie. On peut faire en chimie un enseignement neutre. Mais l’abord du corps ne peut pas être neutre ; c’est pourquoi l’anatomie a une fonction initiatique incontournable.

Le corps est philosophique parce qu’il est existentiel :
- son altération fait surgir l’image de la mort.
- Il est aussi notre prise sur le monde, ce par quoi nous en jouissons.
- L’énergie, la force, ou leur contraire, la fatigue, la faiblesse, naissent mystérieusement de l’intérieur du corps.
- Enfin tous nos projets commencent par s’esquisser dans une représentation des gestes et des efforts que le corps devra faire car il faut bien à un moment « passer aux mains ».

L’imaginaire des étudiants accompagne sur ces thèmes de mort, de sexe, de force, tout ce que l’enseignant dit et montre du corps.

Toute philosophie porte en elle une conception du corps, car le corps n’est pas donné : il est conçu. Mais une pratique portant sur le corps, la médecine, appelle une philosophie qui améliore un confort intellectuel souvent compromis.

Ainsi les médecins sont portés vers une philosophie mécaniste bricolée à partir de celle de Descartes, qui s’étend à une conception du monde. Mais cela se fait sans le savoir, comme une évidence, acquise pendant les études puis confortée par la doxa , qui n’est pas seulement celle des CHU mais de la société occidentale. Ainsi se propage une pensée unique qu’aucune culture ne tempère jusqu’ au moment ou l’âge améliore l’esprit, ce qui n’est pas la règle.

L’initiation a la caractéristique fondamentale de produire un changement ontologique : on n’est plus le même après. On est médecin, et pas seulement un individu qui a la profession de médecin. Nous, les initiateurs, présidons à cette mutation ontologique.
Aussi il est souhaitable d’organiser des groupes de parole autour des travaux dirigés d’anatomie.

Mais dès le premier stage commence un abord du corps souffrant, tout aussi initiatique que l’anatomie, et qui en continue l’esprit : le corps objectivé.
Le corps objet des chansons de salle de garde, à moins d’être une improbable manifestation d’humour, n’est pas plus gai que celui des « filles de joie ».

3) Enseigner, c’est susciter une création chez l’étudiant.

A la question « si les lions parlaient , que nous diraient ils ? » Wittgenstein répondait « nous ne comprendrions pas ». Quand nous, adultes et médecins prononçons des mots au contenu fort, que comprennent les étudiants ? Nous ne pouvons prétendre émettre notre pensée d’enseignants comme un fax qui irait s’imprimer, avec plus ou moins de déperdition, dans 600 cerveaux.

Chacun fait une création personnelle suscitée par l’enseigant, si celui-ci a la vertu artistique d’éveiller les esprits. Tout écrivain sait que chaque lecteur « refait » son livre, et qu’ainsi il échappe à son auteur.

Eveiller c’est faire apparaître ce qui était déjà présent chez l’auditeur, a l’état de germe inconscient. C’est de la maïeutique. Nous aidons nos étudiants à accoucher de leur désir, sans quoi rien ne se fait.. C’est surtout induire un mouvement qui va continuer à se développer, comme un récit intérieur de formation.

Une histoire de vie qui va vers un projet et prend ainsi du sens.. Il y a une herméneutique de l’évolution formative vers l’identité médicale adulte : l’être médecin à sa manière propre, élaborée sous les yeux d’enseignants élus comme témoins. C’est la suite de la fragile construction identitaire de la post adolescence, que nous espérons ne pas briser.

Ainsi nous devrions allumer des feux dans les esprits. Mais que deviennent des feux qu’on laisse sans cadre, et qu’on n’alimente pas ? Il faut faire ici l’éloge du savoir et de la discipline, mais qui ne seraient rien sans le feu.

Nous tentons chaque année à Tours, de donner aux étudiants l’habitude d’écrire au jour le jour, pendant le mois de stage infirmier, un journal de formation ; dont ils discutent le dernier jour du stage avec une paire de formateurs, comme lors de l’accueil du début des études. Il faudrait que ceci se poursuive au delà, peut être dans le cadre d’un tutorat.

4) Si nous formons des médecins, qu’est ce qu’être médecin ?

Le corps fait peur quand un accident rend son aspect inhumain, ou quand une agonie fait se demander comment la personne peut disparaître pour un problème de tuyaux, ou encore quand la douleur intolérable continue de croître.

Mais il nous interroge aussi lors d’un accouchement, quand un nouvel être humain apparaît dans des conditions aussi prosaïques, entre sang et excréments. Ce sont des scènes existentielles. Souvent on n’y peut pas grand chose, même avec beaucoup de science, mais le médecin est présent, au premier plan de ces scènes, et lui n’a pas peur. Même s’il ne peut rien faire il est investi, comme si le savoir médical s’ assortissait d’un savoir existentiel.

Quand Céline, dans son Voyage au bout de la nuit ne décrit que la part d’ ombre des hommes, ( "Mais au bout de la nuit, qu’y a t il ?") il brise les dénis qui accompagnent la guerre , le colonialisme, le capitalisme, ...et la médecine.

Il va jusqu’au bout de ce que chacun dissimule sous le mensonge ou au mieux l’euphémisme, à savoir qu’à côté de la lumière que cherchent à projeter la civilisation et la science, il y a l’ombre qui ressurgit toujours, et fait peur.

Le médecin vit quotidiennement aux confins de l’ombre et de la lumière dans une situation perpétuellement paradoxale. Et pourtant les études donnent l’illusion que grâce à la science et à la raison on va tout porter au jour et rendre les comportements raisonnables. Quelle préparation y a-t-il a l’exercice quotidien du paradoxe ? Cela ne se théorise pas. C’est une initiation, et un accompagnement.

Tolérer les drames existentiels, et le paradoxe de l’ombre et de la lumière inévitablement associés, c’est le fruit d’une évolution de la personnalité de profane verss une personnalité médicale lentement formée. Cette herméneutique ne doit pas rester inaccessible aux enseignants..

L’une des aides possibles est la constitution de groupes de parole autour de la lecture de grands romans, qui sont souvent le fait d’écrivains qui ont voulu voir et faire voir ce qu’est vraiment la société, avec sa part d’ombre.

Mais c’est surtout l’hôpital qui devrait former, si précisément il n’avait pas surtout pour effet d’aggraver la déformation dont menacent les études , car à l’hôpital, le plus souvent on reste dans la pensée unique.

Conclusion

Personne n’a le temps. Alors, "D’abord ne pas nuire". Cela ne prend qu’un instant de détruire. Dans l’enseignement, ne pas nuire c’est ne pas empêcher de vivre. Encore faut il que suffisamment d’enseignants et de médecins ne voient pas toute vie et toute création comme une menace, à cause de l’ombre. L’enseignement médical paraît encore dresser les forces de la lumière contre les forces du mal, hélas contenues dans tout malade….et tout médecin. Cela prend une vie d’être autrement, mais cela agit sans consommer plus de temps qu’un regard. Il reste à encadrer et à alimenter.

Je remercie vivement Philippe Bagros d’avoir bien voulu partager ce texte avec nous.
MW.

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