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Les trois fermiers d’August Sander
à propos de la traduction du premier roman de Richard Powers
Article du 12 avril 2004
Trois jeunes gens vêtus de noir, portant chapeau, posent, une canne à la main, sur une route boueuse, pour une photographie prise vers 1914 par un artiste du nom d’August Sander.
August Sander est né en 1876 à Herdorf, près de Cologne, en Allemagne et, comme son père, a travaillé dans une mine à partir de 1889. En 1892, un oncle lui offre un appareil photo. Il fabrique une chambre noire et se met à faire de la photographie pendant son temps libre. Après le service militaire, il fait le tour de l’Allemagne comme photographe industriel. En 1903, il crée son propre studio après avoir racheté celui de son employeur.
Médaillé à l’exposition de Paris en 1904, Sander accumule les récompenses. C’est en photographiant des paysans du Westerwald, sa région natale, qu’il a l’idée de son grand oeuvre, intitulé Les hommes du XXe siècle.
Son projet est, ni plus ni moins, de dresser le portrait typologique des Allemands de la république de Weimar, classés selon leur condition sociale. Méthodiquement, il parcourt les routes et les villes du Westerwald et va photographier ses modèles dans leur élément naturel. Hommes et femmes, jeunes et vieux, bourgeois, marchands, artisans, sportifs, malades, mendiants et militaires, tous les individus l’intéressent et il les photographie.
La guerre l’interrompt, mais il reprend son travail après l’armistice et en 1927, présente une sorte d’avant-première de son projet, un ensemble de soixante photographies intitulées Visages de ce temps.
Entièrement absorbé par son oeuvre, il veut rester extérieur à la politique, mais les Nazis détestent ses travaux , car ils voient en ses portraits sans fioritures et sans complaisance tout autre chose que l’image idéale du peuple aryen fantasmatique dont ils souhaitent la naissance. À la fin des années 30, l’un des fils de Sander, militant communiste, est emprisonné, son atelier perquisitionné, ses livres saisis ; en 1944, les Nazis détruisent 50 000 de ses épreuves. Heureusement, les négatifs échappent à la destruction.
Depuis une vingtaine d’années, August Sander a été découvert dans le monde entier mais il reste peu connu en France. Un livre magnifique intitulé Hommes du XXe siècle, proposant un choix de ses clichés a été publié aux éditions du Chêne en 1985 puis aux éd. de la Martinière en 2002 et, récemment, des expositions lui ont été consacrées à Paris.
Comme je vis en province - comme la plupart des Français - je ne me serais probablement pas intéressé à lui et à son oeuvre si on ne m’avait pas fait lire un roman assez extraordinaire qui fait de Sander un personnage central.
Ce roman, Three farmers on their way to a dance (Trois fermiers sur le chemin du bal) contient trois histoires entrelacées : le narrateur, en visitant le musée d’art moderne de la ville de Détroit, tombe sur la photo des trois fermiers, que je vous ai décrites tout à l’heure ; il nous raconte l’histoire de Sander, l’histoire des trois fermiers et l’ histoire personnelle du narrateur et, par la magie de la littérature, retrace tout à la fois l’entreprise d’un artiste, une histoire familiale et le destin de trois jeunes gens emportés par la guerre de 14.
Ce roman passionnant fut le premier de Richard Powers, alors jeune écrivain américain qui venait de passer plusieurs années en Hollande. Powers a, depuis, publié sept autres romans étonnants et la critique américaine le considère comme un écrivain majeur, mais ce magnifique premier livre qui parle de ce que l’Amérique doit à l’Europe n’avait jusqu’à présent jamais été traduit en langue française.
Les trois fermiers, photographiés par un de leur compatriote en 1914, ont vu leur portrait montré dans de nombreuses expositions de par le monde et leur histoire réinventée dans un roman Américain en 1985. Je ne sais pas d’où il vont, mais je me dis que ces hommes du vingtième siècle ont fait beaucoup de chemin.
Grâce à Jean-Yves Pellegrin, professeur de littérature anglo-saxonne et grand lecteur de Powers, ce premier roman étonnant paraît fin avril 2004.
Bienvenue en France, Mr Powers !
Richard Powers, Trois fermiers s’en vont au bal, traduit par J-Y Pellegrin, Le cherche-midi, 2004
August Sander, Hommes du XXe Siècle, Ed. de la Martinière, 2002
Note : la première version de ce texte a fait l’objet d’une de mes chroniques de France Inter, reprise dans Odyssée, une aventure radiophonique
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