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La parole, ça se prend !
Michel Cymes contre Martin Winckler
à propos d’une décision de justice...
Article du 13 mars 2004
(Relu et révisé le 29 mars 2013)
En 2001, dans la première édition de Contraceptions mode d’emploi, pour illustrer les carences des médias français en matière d’information sur la contraception, j’ai nommément pris à partie Michel Cymès, médecin, journaliste et producteur connu pour sa chronique médicale quotidienne sur France Info ; il présente également le " Journal de la Santé " sur France 5.
Pour réagir à cet article ou écrire à Martin Winckler
Au cours d’une émission intitulée " L’amour sans danger " (lire le sommaire de cette intéressante émission) programmée sur France 2, pendant l’été 2001, Michel Cymes avait en effet déclaré, au milieu d’intervenants gynécologues : " Hors de la pilule, il n’est point de bonne contraception ".
Si l’on se fiait à cette seule déclaration d’un médecin-journaliste dont la présence dans les médias publics français est, aujourd’hui encore, quotidienne, on pouvait comprendre que toutes les femmes qui utilisent autre chose que la pilule n’ont pas de contraception efficace (et l’ignorent) ; et que tous les médecins qui prescrivent autre chose que la sacro-sainte pilule sont incompétents.
Comme je mettais alors la dernière main à un livre de 500 pages qui faisait la synthèse des travaux internationaux sur le sujet, cette affirmation manifestement fausse m’a paru très nocive : l’émission était diffusée à une heure de grande écoute, elle concernait la sexualité, et l’affirmation péremptoire de M. Cymes était susceptible, par sa brutalité et l’absence de débat à ce sujet (il ne fut pratiquement pas question de contraception pendant toute l’émission...), de jeter le trouble dans l’esprit des non-utilisatrices de pilule... c’est à dire, tout de même, de la majorité des femmes susceptibles d’être enceintes !
Or, rappelons par exemple que le DIU (ou " stérilet ") est une méthode considérée dans le monde entier - Et aujourd’hui, même en France - comme au moins aussi fiable et souvent plus que la pilule ; qu’il est utilisé par 80 millions de personnes dans le monde, et que c’est la méthode n°1 (devant la pilule) dans des pays aussi différents que la Suède, la Finlande, la Russie, la Bolivie, le Chili, la Tunisie (pays du Maghreb qui fut pendant quelques années le plus progressiste en matière de droits des femmes), l’Egypte, la Jordanie, la Turquie, le Viet-Nam, la Mongolie et la Chine...
Pour tout savoir sur le DIU, cliquez ICI
En outre, plusieurs semaines avant la diffusion de l’émission, l’implant contraceptif, méthode elle aussi extrêmement efficace et utilisée dans de nombreux pays, venait d’être mis sur le marché en France. Probablement très au fait de toutes les nouveautés thérapeutiques, M. Cymes ne pouvait l’ignorer. (Pour en savoir plus sur l’implant et sur les autres méthodes)
Il n’est jamais possible d’obtenir un droit de réponse à une émission de télévision. Mais je disposais d’un autre moyen de réagir à ce qui m’apparaissait comme une extraordinaire contre-vérité. A la p 24 de Contraceptions mode d’emploi, j’écrivis :
Quand un journaliste déclare tout de go, au beau milieu de l’année 2001, sur la plus grande chaîne publique " En dehors de la pilule, y’a rien ! ", il manifeste un mépris extraordinaire pour les neuf dixièmes des méthodes et leurs utilisatrices.
Et j’ajoutai en note :
On doit cette affirmation tonitruante et péremptoire à l’inénarrable Michel Cymes, dans l’émission " L’amour sans danger " sur France 2, début juin 2001. Comme quoi, on peut être médecin ET journaliste, et proférer des inepties en direct.
Evidemment, Michel Cymes n’a pas apprécié. Il a porté plainte en considérant que ces paroles (et une allusion au Journal de la Santé, sur F5) étaient diffamatoires.
Le 6 novembre 2002, la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris l’a débouté de ses entières demandes.
Comme tout citoyen en a le droit, Michel Cymes a fait appel.
Le 3 mars 2004, la 11e chambre A de la Cour d’appel de Paris a rendu le jugement suivant :
(...) Michel Cymes est clairement visé dans les deux passages de la page 24, la deuxième phrase incriminée et dans laquelle il est expressément nommé se rattachant à la première par un renvoi en bas de page.
S’agissant de ces passages, lesquels forment un tout, les premiers juges ont à bon droit considéré qu’ils n’étaient pas diffamatoires ; le fait de rapporter les paroles prononcées par un journaliste-médecin sur une question de contrception, même si les propos tenus lors de l’émission critiquée ont été modifiés dans le livre [Note de M.W. : Michel Cymes avait déclaré : " Hors de la pilule, il n’est point de bonne contraception " ; j’avais écrit de mémoire " En dehors de la pilule, Y’a rien ! "] dès lors que leur sens en a été conservé, n’est en effet pas de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de leur auteur ; l’emploi des mots " mépris " et " inepties " s’analyse comme une appréciation, une opinion, voire un jugement de valeur, mais non comme l’articulation d’un fait précis pouvant être facilement l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ; en utilisant les termes " tonitruante et péremptoire ", et l’adjectif " inénarrable " pour critiquer les propos tenus par Michel Cymes, Martin Winckler se livre certes à une attaque personnelle au travers de propos injurieux, mais non à une diffamation telle que visée à la citation et définie par l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881.
Le jugement sera en conséquence confirmé.
Michel Cymes, qui succombe en ses demandes, sera condamné aux dépens (...).
L’équité commande d’allouer aux intimés la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 (du nouveau code de procédure civile).
Par ces motifs
(...)
Condamne Michel Cymes à payer à Martin Winckler, et à madame Mazauric [pour les] éditions Au Diable Vauvert la somme globale de 2.500 euros...
Condamne Michel Cymes aux dépens...
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Cette décision est d’une grande importance symbolique et pratique : elle atteste que, devant la loi, les déclarations faites par des journalistes (fûssent-ils médecins...) sur une chaîne de télévision ne sont pas parole d’évangile. Chaque citoyen a le droit de donner librement son avis oralement et par écrit sur les déclarations médiatisées qu’il conteste, sans pour autant que les journalistes puissent le lui en faire reproche en se drapant derrière la notion de "diffamation".
Autrement dit : en France, aux yeux de la loi, la liberté d’expression n’est pas un vain mot. Et elle ne doit pas être réservée à ceux qui ont le plus de facilité à s’exprimer. Ne laissons pas, par notre silence, les professionnels des médias nous imposer leurs opinions.
La parole, ça se prend ?
Alors, prenons-la...
M.W., 13 mars 2004
(révisé le 29 mars 2013)
Je sais que ça ne devait pas avoir d’influence sur les jugements, qui portaient sur la forme (y avait-il diffamation ou non ?) et non sur le fond (l’affirmation de M. Cymes était-elle valide ou non ?). Mais quand j’ai appris que le journaliste de France Info/France 5/France 2 portait plainte je n’ai pas pu m’empêcher de penser : "La magistrature, comme tous les corps de métier, s’est beaucoup féminisée depuis vingt ans. A la place de M. Cymes, avant de porter plainte, je me serais sérieusement demandé si tous les magistrats de sexe féminin utilisent exclusivement la pilule..."
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