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Edito
Qu’est-ce qu’un patient "responsable" ? Qu’est-ce qu’un soignant respectueux ?
par Marc Zaffran/Martin Winckler
Article du 11 janvier 2013

La polémique actuelle sur les pilules de 3e génération (et les incompétences d’un grand nombre de médecins français en matière de contraception) me conduit à remettre à la une un article datant de septembre 2011. Il n’y est pas question de contraception mais des relations entre une patiente diabétique, sa maladie chronique et les médecins qui l’entourent. Pour autant, les questions soulevées sont parfaitement pertinentes pour le débat actuel : une relation de soin ne se réduit pas à ce que l’un(e) "suive les instruction/prescriptions" de l’autre.


La « responsabilité » du patient face aux questions qui le concernent est une tarte à la crème des discours de santé. Elle soulève des interrogations multiples, dont j’aimerais aborder certaines ici. Il n’est pas question d’épuiser le sujet, mais de l’aborder d’une manière (j’espère) un peu plus fraîche.

La première question qui se pose est : que signifie l’expression « patient responsable » ?

La plupart des gens répondront probablement quelque chose comme : « un patient qui prend sa santé en charge et suit les instructions du médecin et/ou les recommandations généralement énoncées au sujet du problème de santé spécifique. Exemple : un obèse « responsable » suit son régime comme il faut pour perdre du poids ; un diabétique « responsable » fait ses dosages de glycémie au rythme prescrit et régule son alimentation selon les règles qui lui ont été indiquées/enseignées ; une femme enceinte « responsable » se rend à tous les rendez-vous de suivi de sa grossesse. (On pourrait ajouter : "Une utilisatrice de contraception "responsable" s’en remet sans discuter à ce que lui a prescrit son gynécologue"....)

Autrement dit, d’après cette définition, un patient (et, a fortiori, un malade) qui ne suit pas les instructions ne saurait être « responsable ». Ainsi, le diabétique qui ne fait pas ses dosages de glycémie ne peut pas présenter à son médecin un carnet de suivi à jour ; ce qui complique la tâche du vaillant praticien lors de la consultation de contrôle. Remplacez « diabétique » par « cancéreux », « rhumatisant », « femme enceinte » ou « patient souffrant d’hypertension » et « dosages de glycémie » par « chimios », « séances de kiné », « échographies » ou « régime sans sel » et vous verrez que la phrase est stéréotypée et peut désigner n’importe quelle situation de médecine courante.

Ainsi, la femme qui discute ou refuse une prescription de pilule de 3e génération de son gynécologue serait donc non seulement "irresponsable" mais EN PLUS, manquerait considérablement de respect envers le gynécologue diplômé dont elle a payé la consultation au prix fort. Quelle impudente !

Cette vision des choses est, en soi, biaisée et malsaine. Pourquoi ? Parce qu’elle présuppose, pour commencer, que les patients ne sont pas spontanément « responsables » et qu’ils ne le sont qu’à la stricte condition d’obéir scrupuleusement aux instructions qui leur ont été données, et ensuite que ces instructions représentent la seule option possible (et/ou souhaitable) pour eux. Autrement dit : tous ces gens qui votent, qui ont le permis de conduire, un carnet de chèques, une famille et un emprunt de vingt-cinq ans pour payer la maison qu’ils ont fait construire cesseraient d’être "responsables" quand ils décident de ne pas aller voir leur médecin, ou de ne plus se plier à ses instructions.

Or, rien n’est moins vrai, pour une raison simple : il n’y a pas de « diabétique » ou de « femme enceinte lambda. Il y a des patient(e)s atteint(e)s de diabète et des femmes enceintes ; la vie, unique pour chacun(e), influe sur/est influencée par leur « condition » (une maladie, un phénomène naturel). On peut même cumuler : être une femme diabétique ET enceinte. Le fait est que la grossesse devient alors « pathologique » (pourquoi ?) et semble justifier de la part des médecins des interventions encore plus musclées que sur la diabétique non enceinte et la femme enceinte non diabétique. Si l’on ajoute que les médecins redoutent toujours (et interdisent souvent) une grossesse chez une femme diabétique en âge d’être enceinte et qu’ils recherchent toujours un diabète chez une femme enceinte (même si elle n’était ni l’une ni l’autre auparavant), on mesure à quel point les choses semblent compliquées.

Et pourtant, elles sont plus simples que ça, je crois.

"Irresponsable" et "responsable"

D’abord, il serait intéressant de définir ce qu’est un « malade non responsable » ou "irresponsable". Dans la pensée médicale dominante, c’est un malade qui « fait n’importe quoi » - traduire : qui ne fait rien de ce que le médecin lui a ordonné.

Il y aurait donc deux catégories de patients : ceux qui suivent « responsablement » les ordonnances des médecins ; et les autres.

Cette alternative n’est ni opérante ni acceptable, tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique. Car elle sous-entend que la responsabilité (le sérieux, la fiabilité, appelez ça comme vous voudrez) d’un patient ou d’un malade ne se définit que selon des critères établis par les médecins.

Dans l’idée de « responsabilité », il y a implicitement l’idée que la volonté des patients (qui ne savent pas ce qui est bon et mauvais pour eux) doit se plier à celle des médecins (qui, eux, savent ce qui est bon pour les autres).

C’est une vision paternaliste, manichéenne et qui (en France, au moins), renvoie à une conception archaïque, féodale, des rôles sociaux et de la liberté individuelle.

Or, comme chacun le sait, en médecine (et en sciences plus généralement) très peu de notions sont définitives ou absolues. C’est pour cela qu’on ne cesse, en permanence, de tout redéfinir et que la saignée, geste thérapeutique introduit par Hippocrate, ou la théorie des humeurs, qui faisait autorité à l’époque de Molière, ne sont plus utilisés au 21e siècle.

Il est probable que beaucoup de « vérités » médicales d’aujourd’hui auront été remplacées par d’autres d’ici dix ans (et peut-être même avant). Définir la « responsabilité » des patients en fonction de leur obéissance aux ordres me semble donc aussi discutable (et idiot) que d’affirmer qu’un être humain qui naît est toujours d’un sexe ou d’un autre, sans exception : on sait aujourd’hui que sexe anatomique, sexe génétique, identité sexuelle et orientation sexuelle sont quatre notions distinctes qui peuvent être différentes chez une même personne. Mettons que j’aie un aspect physique « typiquement » féminin, une personnalité plutôt autoritaire et que je sois sexuellement attirée par les femmes. Si l’on découvre que mes chromosomes sexuels sont XY est-ce que ça (re)fait de moi un homme hétéro ou est-ce que je reste une femme homosexuelle ?

Il n’y a pas de réponse à cette question sinon celle-ci : je n’ai rien à faire de la manière dont les autres (famille, médecins, sociétés) me définissent, me jugent ou cherchent à me « normaliser ». Ce qui compte, POUR MOI, c’est ce que je fais de ma vie.

De ce fait, je propose de partir d’un autre pied, de changer de perspective, d’adopter un autre paradigme en posant ceci :

Chaque personne est responsable d’elle-même.

On ne naît pas « entièrement responsable » de soi, on le devient - ou plutôt, on aspire à être de plus en plus autonome par rapport aux autres. Et ce, dès la naissance.

De fait, tout indique qu’un nouveau-né prend sa survie très au sérieux en hurlant quand il a faim, quand il a froid quand il a mal. Ses cris sont donc, sans aucun doute l’attitude « responsable » - ils visent à attirer l’attention et l’aide de ceux qui peuvent pallier à ses incapacités de manger, se couvrir et se soigner seul.
C’est encore plus net quand un bébé est mis au lit et se met à hurler parce qu’il ne veut pas qu’on le laisse.

Affirmer que les cris d’un bébé sont instinctifs et non volontaires n’est pas défendable, puisque beaucoup de bébés cessent de crier dès qu’ils voient un visage humain et reprennent quand le visage s’en va ; si ce n’est pas un comportement volontaire (et efficace sur les parents qui finissent par céder), j’aimerais qu’on m’explique ce que c’est.

Si un nouveau-né dispose d’une volonté, qu’il exerce en fonction de ses capacités, il est « responsable » de ses actes. Il n’en mesure peut être pas exactement la portée (mais c’est vrai aussi des adultes...) mais en tout cas, il sait quoi faire pour parvenir à ses fins, si élémentaires soient-elles. S’il a des fins, c’est qu’il a des intentions. Le bébé qui tanne son père ou sa mère tant qu’ils ne l’ont pas sorti du lit à barreaux a des intentions précises. Est-ce « responsable » ? Il me semble que oui.

Etre responsable de ses actes, dans mon esprit, ça ne veut pas dire que l’on est coupable de (et donc, implicitement susceptible d’être jugé et puni) toutes leurs conséquences.

Autre exemple : un bébé se met à hurler dans son siège de voiture, ce qui provoque une faute d’inattention de la mère et entraîne un accident.
Qui est responsable ? L’enfant ou la mère ?
Réponse : la coexistence parfois incompatible de comportements innés et de situations imprévisibles.

Le bébé est programmé pour survivre à la faim à tout prix ; le cerveau des parents (pas seulement des mères) est modifié par la grossesse pour se focaliser sur la survie de l’enfant. Le choix de regarder l’enfant plutôt que la route est bien plus rapide que la pensée ou la décision. Si la femme vit dans la savane et, se retournant vers son enfant, ne voit pas le trou dans lequel elle va tomber, c’est pareil. L’être humain n’est pas capable de contrôler en même temps ses réflexes de survie, son souci pour les siens et tout ce qui se passe dans son environnement. Les accidents arrivent, un point c’est tout.

Vous allez me dire : « Vous vous éloignez du sujet ». Mais non, et vous allez comprendre.

Quand je dis « chaque personne est responsable de ses actes », je veux dire que nous sommes tous amenés à nous comporter de manière à la fois réflexe, intuitive et réfléchie, pour répondre à des pulsions élémentaires, telles que le désir de survivre (ou de vivre) au mieux.

Revenons à la jeune femme diabétique

Elle sait ce qu’est son diabète : on le lui a expliqué trois mille fois, tout le monde le lui rappelle sans arrêt, elle surfe sur l’internet et lit les blogs de patients diabétiques et discute dans la salle d’attente du service d’endocrinologie pédiatrique avec les autres filles. Elle sait qu’une grossesse chez une diabétique est une situation qui peut être complexe : le diabète peut se révéler difficile à équilibrer, le fœtus peut souffrir, elle et lui peuvent mourir d’une complication.

Mettons que cette femme a dix-sept ans. Pile l’âge où tout le monde est mal à l’aise parce qu’elle a déjà des rapports sexuels, une prescription de pilule, un petit ami, et beaucoup moins envie de lui faire mettre des capotes depuis qu’ils ont fait des galipettes un soir où il avait oublié d’en acheter.

La jeune femme entre un matin chez son médecin habituel en disant : « Je crois que je suis enceinte. » Ce n’était pas prévu (en tout cas, elle n’en avait pas évoqué le désir auparavant). Elle vient de le découvrir. Elle ne manifeste rien de précis au moment où elle le dit. Elle le dit comme ça, comme une information. Ce n’est pas une personne très expansive sauf avec son cher et tendre, et jamais en présence d’un tiers.

Dans semblable situation, chez les adeptes de la pensée médicale dominante, la réaction (dite ou non dite) pourrait s’énoncer ainsi (cette liste n’est pas exhaustive, mais tout ou plusieurs de ces phrases peuvent coexister dans la bouche ou les pensées d’un même médecin) :

« Quoi ? Vous êtes folle ? Qu’est-ce qui vous est passé par la tête ? Vous avez oublié votre pilule, c’est ça ? Vous vous rendez compte de la catastrophe ? Une grossesse à votre âge et dans votre état c’est insensé, c’est dangereux, vous risquez votre vie ! Ca va pas la tête ? Vous êtes sûre ? Vous n’avez pas fait d’erreur ? Où avez vous mis le test ? Venez qu’on le refasse ! Et votre diabète il en est où ? Vous avez pris rendez-vous avec le centre d’IVG ? Vos parents sont au courant ? Vous ne comptez tout de même pas sur moi pour leur annoncer cette tuile ! Vraiment, ça m’étonne de vous, vous me décevez profondément, après tout ce que j’ai fait pour vous aider à surmonter ça ! C’est comme ça que vous me remerciez ? Mais qu’est-ce que vous allez faire ? Vous n’allez pas le garder, tout de même ? Qui est le père ? Il est pas diabétique, lui, au moins, il ne manquerait plus que ça ! C’est vraiment ir-res-pon-sable !!!! »

Etc.

Ces réactions peuvent être qualifiées de réactionnaires, paternalistes ou méprisantes. Mais ce que je vois, surtout, c’est qu’elles ne sont ni scientifiques ni rationnelles mais exclusivement émotionnelles. Et, finalement, très peu préoccupées des valeurs de la personne à qui elles s’adressent. Donc, très peu respectueuses de celle-ci.

C’est quoi, exactement, une "bonne" décision ?

L’attitude respectueuse qu’un médecin devrait avoir quand une femme (diabétique ou non) entre chez lui et dit « Je suis enceinte » serait de lui répondre : « Merci de me confier cette information. En quoi puis-je vous aider ? » Si elle souriait en entrant, il peut lui sourire en retour. Si elle faisait une tête de dix pieds de long, il peut dire : « J’ai le sentiment que cela vous soucie. » Et ensuite, l’écouter. Afin de l’accompagner dans les réflexions qui la guideront vers la décision qu’elle prendra !

Car le rôle des médecins ne consiste pas à porter des jugements sur les événements que vivent les patients.

D’abord, parce qu’ils n’ont aucune idée des circonstances dans lesquelles ces événements sont survenus ni des décisions inconscientes ou délibérées, des circonstances, des accidents ou des erreurs qui ont pu entrer en jeu dans la survenue de ces événements.

Ensuite, parce qu’ils ne sont ni juges professionnels, ni directeurs de conscience, ni - et c’est le plus important - les personnes les mieux placées pour décider à la place des autres. Personne n’est capable de décider à la place des autres sans jamais se tromper. Les parents font des erreurs en décidant pour leurs enfants et chacun fait des erreurs en prenant des décisions pour soi. Alors comment les médecins peuvent-ils s’imaginer infaillibles quand il s’agit de décider pour des étrangers ???

Quand un patient entre chez un médecin, la position « standard » du médecin devrait être : « Cette personne est responsable d’elle-même. » Certes, il est possible qu’elle ait pris de mauvaises décisions, ou qu’elle ne sache pas laquelle prendre, et qu’elle veuille demander au médecin son avis, mais il est tout aussi possible qu’elle n’ait pas besoin de cet avis, et qu’elle sache exactement quelle décision elle va prendre, avec ou sans l’autorisation du médecin.

La question n’est d’ailleurs pas de savoir si la personne va prendre une « bonne » ou une « mauvaise » décision, mais si elle peut prendre SA décision. Une décision délibérée, réfléchie, informée au mieux, et qui tienne compte de ses valeurs.

Information et valeurs

Comme l’explique Steve Woloshin au tout début d’ une présentation très claire des enjeux de l’information sur les médicaments,, pour prendre des décisions bonnes (pour eux), les personnes doivent disposer 1° d’informations fiables ; 2°d’une hiérarchie de valeurs.

Je raconte souvent l’histoire suivante, qui m’avait été rapportée par un de mes enseignants, Yves Lanson. Un patient atteint de cancer de la vessie (un cancer difficile à soigner et de mauvais pronostic) lui demande quelles sont les options thérapeutiques. Lanson répond (c’était au milieu des années 70) « Il y en a deux ; la chirurgie - On vous enlève la vessie et votre urine s’écoule dans une poche fixée à la paroi de votre abdomen - ou la radiothérapie - On irradie le cancer, mais s’il récidive, comme on a irradié tout autour, la chirurgie est impossible. Le pronostic est un tout petit peu meilleur avec la chirurgie, mais pas beaucoup. » Le patient répond : « Je veux continuer à pisser normalement, je choisis la radiothérapie. »

Cette anecdote illustre de manière simple, mais parfaitement compréhensible, ce que j’entends par « décision informée ». Même si, pour le médecin, la survie peut-être l’élément le plus important, pour le patient, la hiérarchie de valeurs peut être sensiblement différente.

De sorte que qualifier les comportements des patients comme « responsables » ou « irresponsables » est à tout coup une erreur de perception - et une faute éthique, qui consiste à attendre des patients qu’ils adoptent les valeurs des médecins.

A mon humble avis, il n’y a pas de patients « responsables » ou « irresponsables ». Il n’y a que des êtres humains, qui prennent des décisions à chaque moment de leur vie. Parfois, elles sont « bonnes » (de leur point de vue), parfois elles ne le sont pas. Parfois, une « mauvaise décision » leur semble, longtemps après, avoir été la bonne. Et inversement. On ne sait jamais. On fait du mieux qu’on peut.

Un patient diabétique peut être fatigué de faire ses analyses de sang tous les jours, quatre fois par jour. S’il n’a pas la chance d’avoir un médecin qui le respecte, il mentira pour avoir la paix. S’il a la chance d’avoir un médecin qui ne le juge pas, lorsqu’il lui dira : « Je suis fatigué », le médecin essaiera, avec lui, d’aménager sa surveillance de diabète pour qu’elle lui pèse moins. Parce que ce qui compte pour les soignants respectueux, ce n’est pas leur propre confort intellectuel ou professionnel mais le confort physique et moral des personnes dont ils s’occupent.

Le patient "socialement responsable"

Aux yeux de la société, le patient est irresponsable quand il coûte cher. Soit parce qu’il consomme trop de soins ou de consultations prises en charge par la collectivité (comme s’il était le seul à décider...) ; soit parce qu’il met sa vie en danger par son comportement (à cet égard, on pourrait convenir que les fumeurs, futurs cancéreux ou insuffisants cardiaques, sont drôlement responsabilisés, avec toutes les taxes qu’ils payent et l’exclusion dont ils font l’objet...) ; soit parce qu’il ne se soigne pas "correctement" (comme le médecin le lui a indiqué).

On comprend qu’ici, il s’agit moins de donner aux citoyens la possibilité d’accéder à des soins équitables (ce qui devrait être la principale préoccupation des pouvoirs publics) que de s’assurer que tout le monde marche bien en rang, que personne n’escroque la sécu (les escroqueries perpétrées par les médecins, beaucoup plus importantes et nombreuses, sont le plus souvent passées sous silence) et que les dépenses de santé sont utilisées "à bon escient", à savoir :
 pour renvoyer les gens au boulot le plus vite possible (la maladie est source de manque à gagner)
 pour "éviter les dépenses injustifiées et abusives" (autrement dit : celles qui sont imputables aux "profiteurs" que sont les migrants, les immigrants, les SDF, les titulaires de la CMU et autres "parasites"...)
 "pour produire de la richesse, et non pour dépenser l’argent public " (ce qui permet de faire oublier qu’une politique de santé n’est pas faite pour produire de la richesse, elle est faite pour SOIGNER LA POPULATION ce qui, en soit, contribue positivement à la "richesse" d’un pays via le mieux-être de ses citoyens...)

La "responsabilité sociale" du patient (vue par les médecins), c’est donc, tout bonnement, une manière de culpabiliser ceux qui font appel au système de santé en leur disant "Votre comportement est suspect" et de les renvoyer à la production. Comme si on allait consulter un médecin, subir une chimiothérapie, passer une colonoscopie ou se faire opérer exclusivement pour le plaisir...

La suspicion systématique à l’égard des patients est non seulement indigne d’un pays développé et soit-disant "éclairé", elle est contre-productive. Le temps qu’on passe à surveiller les gens pour en prendre en faute quelques-uns, on pourrait le passer beaucoup mieux à faire de l’information médicale préventive.

Envoyez des jeunes parents dans une banlieue loin de leurs aînés, ils paniqueront chaque fois que leur petit a de la fièvre et iront consulter à tout bout de champ (quand ils n’iront pas encombrer les urgences). Organisez des réunions d’information dans les cabinets des médecins de famille pour expliquer qu’un rhume ne nécessite ni consultation ni antibiotiques, et la consommation médicale diminuera. Encore faudrait-il trouver des médecins prêts à le faire (dans le contexte actuel de surcharge de travail des généralistes, c’est impossible).

Ca coûterait pourtant moins cher, et ça aurait des effets à long terme, car il n’y a pas que les rumeurs qui se répandent dans la population, il y a aussi les informations utiles lorsqu’elles sont expliquées correctement et appuyées par des outils (articles, dépliants, spots d’information) bien faits. (Suivez mon regard vers les pilules de 3e génération...) Mais pour ça, il faudrait vouloir libérer la population de ses peurs, de ses fantasmes et de ceux qui s’appuient là-dessus pour vendre leurs produits.

Sans oublier le commerce...

Ce qui m’amène à parler (brièvement) d’un autre aspect de la « responsabilité » des patients : l’aspect commercial. La notion d’ « observance » qu’on peut voir fleurir dans certaines revues médicales, et qui désigne la capacité qu’ont ou non les patients de suivre (traduire : se plier indéfiniment à) un traitement régulier semble, à première vue, destinée à améliorer le sort des personnes malades. En réalité, l’observance (via les méthodes inventées pour la consolider, c’est à dire pour s’assurer qu’un patient prend son traitement chaque jour sans exception), est une notion qui sert surtout d’autres intérêts que la santé.

Aucun patient n’est un robot ; tout le monde a le droit de rater un comprimé ou une injection de temps à autre. Ça n’est pas nécessairement une révolte ou un acte manqué. La vie est imprévisible et n’est pas une science exacte.

De plus, bon nombre de patients souffrant de maladies chroniques ou de syndromes traités peuvent parfaitement « rater » un ou plusieurs jours de leur traitement quotidien. Ils iront moins bien pendant quelques jours, mais dans l’immense majorité des cas, les conséquences ne seront pas dramatiques et ces oublis ne mettent pas leur vie en danger.

Enfin, beaucoup de traitements pris pendant plusieurs années par un très grand nombre de personnes ne sont pas prescrits pour traiter une maladie mais pour réduire ce qu’on appelle un « facteur de risque ».

Certains de ces facteurs de risque (une hypertension artérielle, par exemple) sont réels ; on a démontré que leur traitement réduit le risque d’un accident vasculaire mortel ou invalidant.
D’autres facteurs de risque (le cholestérol, dont les médicaments sont prescrits à un nombre de patients infiniment supérieur à celui des personnes qui en bénéficieraient réellement) sont hautement douteux et leur traitement, dans 99% des cas, ne sert qu’à enrichir les industriels.

Les discours sur l’observance et « les patients responsables » sont donc aussi très suspects quand il s’agit de mettre des millions de gens au même régime (médicamenteux) sans profit, ni confort, ni bénéfice immédiat ou à long terme. Le patient "responsable", du point de vue commercial, c’est celui qui prend ses médicaments sans discuter et qui n’en omet pas un comprimé, ce qui permet donc d’éviter au fabriquant un manque à gagner fâcheux...

Dans cette perspective, les médecins qui prescrivent ou font la promotion (dans des associations de patients, par exemple) de médicaments (de TOUS les médicaments) sont au minimum - à mon humble avis - des dealers ; si le médicament n’a pas d’intérêt démontré ils sont au pire complices d’une entreprise d’escroquerie de grande envergure ; au minimum, des ignorants... irresponsables.
Et j’utilise le mot à dessein : leur ignorance et leur complicité ont de lourdes conséquences pour la communauté qu’ils sont censés protéger.

Pour enfoncer le clou...

Le rôle d’un médecin ne consiste pas à faire prendre de « bonnes » ou de « mauvaises » décisions aux patients ou de les convaincre d’être plus « responsables », mais à leur donner tous les éléments dont ils pourraient avoir besoin (surtout ceux dont ils n’ont aucune idée) pour prendre LEUR décision. Y compris si cette décision n’est pas politiquement ou socialement "correcte".

Sans manipulation (pas de rétention de l’information, pas de mensonge), sans pression (ni culpabilisation, ni terrorisme, ni humiliation, ni chantage), sans ultimatum ni impatience.

Une fois que le patient a pris sa décision, le médecin reste lié par l’obligation éthique de le soigner, y compris s’ils souffre des conséquences prévisibles de sa décision, quelles qu’elles puissent être.

Car, encore une fois, un médecin n’est pas là pour juger, a priori ou a posteriori. Et il n’a pas pour fonction de véhiculer ou valoriser un discours totalitaire ou des intérêts commerciaux.

Un médecin est là pour écouter, informer, encourager, consoler, soulager et soutenir. Il a pour fonction, dans le respect de l’éthique et de la loi (mais d’abord de l’éthique...) d’être l’allié du patient et aussi son "avocat" - quelqu’un qui donne de la voix en son nom.

C’est en cela que réside sa responsabilité de soignant.

Je vous remercie de votre attention.

Marc Zaffran/Martin Winckler

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