Contraception et gynécologie >
Edito
Que "vaut" une IVG ?
par Martin Winckler
Article du 8 février 2008
L’article qui suit, publié sur ce site en janvier 2005, est plus que jamais d’actualité puisque la question de l’accès à l’IVG revient sur le tapis, plus brûlante que jamais. Je le remets donc en ligne ici, pour montrer que, dans mon esprit, même si je suis d’accord (Voir mon point de vue récent dans l’Humanité )pour que les parents d’un foetus mort-né, ou mort in utero aient le droit de le nommer et de le déclarer au même titre qu’un enfant à terme décédé dans les mêmes conditions, ça ne remet nullement en cause mon engagement à l’égard du droit des femmes à l’IVG.
Ma conception des choses est simple et univoque : c’est à l’individu de choisir s’il veut ou non d’un enfant, et non à la société de le forcer à en avoir, ou à ne pas en avoir. C’est pour cette même raison que je défendrai le droit de chaque femme à l’IVG, le droit de chaque homme et femme à utiliser toutes les méthodes de contraception qui leur sont proposées, le droit de chaque homme et chaque femme de se faire stériliser s’il ou elle le désire.
Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures. Ou bien c’est l’Etat qui décide pour l’individu, ou bien c’est l’individu qui décide pour lui-même dans le cadre de la loi.
Mais aujourd’hui, la législation sur l’IVG est, selon certains juristes, tout au plus une "tolérance" et non un "droit". Le mépris rencontré par les femmes auprès de certains médecins, et par les médecins qui travaillent dans les centres d’IVG témoignent d’une conception (!) de la liberté qui remonte au XIXe siècle.
Si l’on veut que les femmes ne recourent pas à l’IVG il est indispensable
- 1° de leur donner accès à la contraception ; or, il suffit de surfer sur les sites de forums féminins pour voir à quel point beaucoup de femmes sont sous-informées sur le sujet
- 2° de faire en sorte que les IVG soient pratiquées dans les meilleures conditions possibles afin, justement, de ne stigmatiser personne et d’assurer, en plus de l’IVG, l’accompagnement nécessaire qui leur permettra de ne plus y avoir recours.
Pour cela, il faut des professionnels de santé bien formés et bien payés. Médecins, sage-femmes, infirmières, assistantes sociales, etc.
On est malheureusement loin du compte.
Pour un pays qui se dit démocratique, il y a encore du travail à faire.
Martin WInckler
En janvier 2005, sur un forum, à l’évocation de mon nom, un(e) participant(e) commente :
Vous voulez dire Zaffran/Winckler, celui qui déclare [dans Le Monde] que " l’IVG devrait être rémunérée comme un accouchement car il n’y a aucune raison de penser que c’est moins important " ?
Dans le genre fossoyeur de l’humanité, on fait difficilement pire...
O.
L’article du Monde en question, signé Sandrine Blanchard, ne cite (parmi tout ce que je lui ai dit, et la conversation a duré une demi-heure) que cette phrase. Je la revendique absolument, mais elle mérite tout de même que je précise le contexte.
Dans les cliniques privées et les maternités, les accouchements sont rémunérés à prix d’or (et il est "d"usage" que le médecin perçoive la rémunération de l’accouchement même lorsqu’il n’est pas présent et que c’est la sage-femme qui pratique l’accouchement !!!! [1] ; les IVG, elles, sont rémunérés des clopinettes [2].
Beaucoup (à commencer par les médecins) ont donc tendance à considérer que ce qui a de la valeur, c’est l’accouchement, pas l’IVG. De sorte que l’IVG est méprisée et dévalorisée.
Sous-entendu : "Ce qui n’est pas payé n’a pas de valeur. Ce qui n’a pas de valeur, n’a pas besoin d’être payé. Et ce qui est considéré comme abominable (avorter) devrait être pris en charge par des gens sans valeur qui le devraient le faire sans rémunération. Qu’ils le fassent bien ou mal, peu importe".
Trève de plaisanterie.
Pour que les IVG soient faites correctement, par des médecins qui y consacrent du temps (et ne soient pas réduits à faire ça à la va-vite, ou dans des conditions impossibles, faute de temps, de matériel et de personnel) il faudrait qu’elles soient rémunérées correctement, ce qui n’est pas le cas. Est-il admissible de sous-payer un travail aussi difficile que celui-là ? A mon avis, non. Et à ceux qui pensent que c’est "facile" ou banalisé, je propose de venir là où je travaille, pour voir. [3] Croyez-vous vraiment que si les IVG étaient payées le prix d’un accouchement, des médecins se "spécialiseraient" dans l’IVG ? Bien sûr que non. Personne n’a envie de faire des IVG tous les jours, même les plus militants des médecins (et j’en suis). Mais une rémunération correcte montrerait à tous, justement, qu’il ne s’agit pas d’un acte "banal".
Si toute grossesse a une valeur symbolique importante dans la vie d’une femme (ce que tous les psy et tous les théologiens sont d’accord pour dire), alors décider d’interrompre une grossesse n’a pas moins d’importance, ni moins de valeur que décider de la poursuivre jusqu’au bout.
Tel est le sens de ma déclaration. Et encore une fois, je la revendique, parce que précisément, elle est faite pour que ceux et celles qui la lisent réfléchissent a ce que cela veut dire. Il semble qu’O. ait renoncé à réfléchir. C’est dommage.
Peut-on raisonnablement défendre l’idée selon laquelle ni la contraception, ni les IVG n’ont aucune valeur ? A mon avis, non - même si l’on n’est pas directement concerné. (Cela dit, j’aimerais savoir quelle fraction de la population n’est jamais, de toute son existence, concernée par la sexualité - et donc par l’éventualité d’une grossesse non désirée)
Par ailleurs, pour voir diminuer le nombre d’IVG (ce que tout le monde souhaite, moi le premier), il faudrait que la contraception soit valorisée et pratiquée correctement par tous les médecins, et elle ne l’est pas. Je ne crois pas être un "fossoyeur" quand je défend l’idée qu’il y aurait moins d’IVG si on faisait en sorte que les femmes n’aient pas besoin d’y recourir - c’est à dire qu’elles disposent de méthodes contraceptives efficaces ET de médecins bienveillants pour les leur prescrire.
En France, nous sommes loin du compte, alors qu’en Hollande, où les délais d’IVG sont les plus longs du monde, la généralisation de l’éducation sexuelle et de la contraception permet d’avoir le taux d’IVG le plus bas du monde.
Mais plutôt que de réfléchir à la valeur d’un acte aussi grave que l’IVG, et aux moyens de le prévenir, il est beaucoup plus simple de dire que les médecins qui se préoccupent de cette valeur sont les "fossoyeurs" de l’humanité. J’aimerais savoir à quelle prévention des IVG "O." se consacre chaque jour. Et ce qu’il (ou elle) sait de la situation réelle de l’avortement en France.
Justement, un excellent livre, Avorter aujourd’hui (éd. Mille et Une Nuits), vient mettre le sujet en débat. Il est signé Olivia Benhamou et décrit la situation de l’IVG, de celles qui y ont recours et de ceux et celles qui les aident, en France, en 2004. Cette situation n’est pas brillante, et l’ouvrage très détaillé, remarquablement documenté d’Olivia Benhamou le montre, chiffres et témoignages en main.
Il révèle ce qu’on sait déjà : les femmes ont les pires difficultés à obtenir une IVG, elles sont encore, plus que jamais, soumises au bon vouloir de professionnels et d’administrations qui les méprisent ; elles n’ont pas accès à l’information contraceptive qui leur éviterait d’y avoir recours. Et les professionnels qui les soutiennent et voudraient leur venir en aide sont de moins en moins nombreux, dans des centres de moins en moins bien équipés.
Pour autant, la situation de ces femmes (220 000 IVG par an, rappelons-le !!) émeut-elle les pouvoirs publics ? Je n’en ai pas le sentiment.
Lisez ce livre. Vous y apprendrez énormément et vous comprendrez que si la France traite les femmes ainsi pour ce qui est de l’avortement, elle n’a pas de raison de les traiter beaucoup mieux pour ce qui est de la contraception... ou de n’importe quel autre problème de santé publique.
Marc Zaffran/Martin Winckler
Voir les réglementations comparées des IVG en France et dans d’autres pays du monde
Lire aussi : Comment se déroule une IVG (un échange avec trois lycéens)
[1] La nomenclature indique très précisément :
Si surveillance du travail et accouchement sont assurés par le médecin :
– Forfait d’accouchement simple avec majoration : KC 100 + KC 50
– Forfait d’accouchement gémellaire avec majoration : KC 110 + K C 50.
Lorsque la surveillance du travail est faite par une sage-femme libérale, et l’accouchement réalisé par le médecin, la cotation de l’accouchement est la suivante :
– Forfait d’accouchement simple : KC 100.
– Forfait d’accouchement gémellaire : KC 110.
NB : KC= 2, 09€ au 1er Janvier 2003. Autrement dit : chaque accouchement simple (KC100) est rémunéré 209 € au médecin qui le pratique. Enfin, qui signe la feuille...
[2] Dans les centres publics, où les IVG sont souvent effectuées par des médecins généralistes vacataires, la vacation - une demi-journée - d’IVG est payée entre 50 et 100 euros, quel que soit le nombre d’actes - IVG, consultations, prescription ou pose de DIU ou d’implant, etc. ; dans les centres privés, où l’IVG est effectuée par un spécialiste l’acte doit être "coté" de manière particulière (pour que la sécu identifie bien qu’il s’agit d’une IVG) mais certains chirurgiens tournent la difficulté en facturant parfois les IVG comme des gestes chirurgicaux gynécologiques différents, ce qui permet de les surfacturer
[3] Il y a quinze ans, un médecin haut placé dans la hiérarchie de l’hôpital du Mans m’a déclaré, de manière très désinvolte : "Maintenant, l’IVG, c’est banalisé". Je lui ai répondu : "Monsieur, vous êtes pneumologue, et vous voyez des patients atteints de cancers du poumon tous les jours. Que diriez-vous si je vous déclarais que maintenant, le cancer du poumon s’est banalisé" ? Il ne m’a pas répondu.
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