Vincent : On est bien d’accord. C’est toute une culture qui doit évoluer, aussi bien d’un coté que de l’autre. Et aussi du coté des pouvoirs publics.
Il y a un coté infantilisant dans la prise en charge des soins. Que pensez vous de l’automédication ?
MartinWinckler : Je pense que l’automédication n’est un problème que parce qu’on commercialise des médicaments sans expliquer comment les utiliser. Si on donnait l’info, il y aurait moins d’accidents (ou d’utilisations inappropriées). Mais il est irresponsable de laisser des entreprises mettre des médicaments sur le marché et dire aux usagers : "Débrouillez-vous..." Or, c’est ce qui se passe. Et on ne fait pas le tri entre ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas.
Vincent : Dans les pays où il n’y a pas de sécu, les gens sont bien obligés de se soigner eux-même. Ca les oblige davantage à prendre en main leur santé.
MartinWinckler : Oui, bien sûr. Et pour la plupart des problèmes courants, on ne devrait pas avoir besoin de consulter un médecin. L’information sur le médicament est beaucoup plus précise en Angleterre ou aux Etats-Unis, même si le marketing est aussi plus agressif. Si on veut trouver des informations, on les trouve : les pouvoirs publics les donnent. En France, les agences chargées de l’information sur le médicament n’ont le droit de s’adresser qu’aux professionnels. Au Royaume-Uni, le Drug and Therapeutics Bulletin, le bulletin d’information indépendant sur le médicament adressé à tous les généralistes est publié... par « Which ? » qui est l’association nationale des consommateurs !
Vincent : En France on ne vous donne pas l’infos de peur de l’automédication. La connaissance est réservée au milieu médical.
MartinWinckler : On ne donne pas l’info parce qu’on méprise les gens et on pense qu’ils sont cons. Et parfois, celui qui donne l’information sur les ondes publiques est... viré ! [1]
Vincent : Et vous n’avez pas droit d’acheter les médicaments sans ordonnance.
MartinWinckler : Les médicaments remboursés, c’est bien compréhensible, ne peuvent pas être achetés librement (sans ordonnance) et remboursés ensuite. Et certains médicaments contrôlés (toxiques) ne peuvent pas être achetés sans ordonnance. Mais il y a plein de médocs vendus sans ordonnance, pour certains tout aussi toxiques s’ils sont mal pris ou associés à des médicaments prescrits par les médecins ! Et les médecins reprochent aux usagers de les acheter. Mais s’il ne faut pas faire d’automédication, alors il faut retirer tous les médicaments de l’accès libre. Or, je n’ai jamais entendu un syndicat de médecin ou l’Ordre des médecins dire qu’il fallait retirer un médicament du marché... Quand on explique aux gens les inconvénients des traitements, ils font attention !
Vincent : Ben oui, je crois.
MartinWinckler : Mais la prévention et l’éducation sont malheureusement, le cadet des soucis des pouvoirs publics qui, souvent, sont "conseillés" par des médecins eux-mêmes très "supérieurs" envers le citoyen moyen et peu enclins à la pédagogie et à l’information...
Vincent : Ah ben voyez, je viens encore bêtement de faire perdre 800€ à la sécu pour une connerie.
MartinWinckler : Pourquoi ?
Vincent : Ma petite fille a mis à la bouche une baie "empoisonnée". Un truc qui brûle la bouche. Il me semble que c’est un "pied de veau" (arum maculatum).
MartinWinckler : Elle l’a craché ?
Vincent : Oui, elle a craché tout de suite et n’a pas avalé.
MartinWinckler : Alors tout ce qu’il faut faire en l’occurrence, c’est lui rincer la bouche, et voilà.
Vincent : Ben oui, sauf que le centre anti-poison n’osait pas être aussi catégorique par téléphone. Alors il nous ont conseillé d’aller voir un médécin.
MartinWinckler : Ah, dommage... En principe, un centre anti-poison, c’est destiné à rassurer... Mais pourquoi 800 Euros ? Une consultation de généraliste, ça ne coûte pas si cher.
Vincent : Eh bien, il n’y a plus de médecin de village par chez nous, alors on à du l’emmener aux urgences à Auxerre.
MartinWinckler : Quelle misère...
Vincent : Le médecin de garde n’y connaissait rien et n’a pas voulu prendre le risque de nous laisser repartir.
MartinWinckler : Il l’a gardée pour la nuit ?
Vincent : Et oui !
MartinWinckler : Les praticiens incompétents, ça coûte cher !!!
Vincent : En "observation" ! D’un autre côté on ne peut pas lui reprocher de n’avoir pas voulu prendre de risque. S’il y avait eu un problème derriere, il aurait été responsable.
MartinWinckler : Ce n’est pas vous qui avez fait perdre 800 Euros à la sécu, ce sont les deux médecins (celui du centre anti-poison, celui de l’hôpital) qui n’ont pas su vous rassurer et l’Etat qui entretient la pénurie médicale à la campagne et ne forme pas correctement les praticiens ! Le type des urgences, s’il savait pas, il aurait dû appeler un aîné !!! Le téléphone est fait pour ça. Mais s’il n’avait pas de médecin à appeler, bien sûr...
Vincent : Manifestement ils ont beaucoup de mal à recruter à Auxerre
MartinWinckler : Oui, toujours le pb des pouvoirs publics... Si on payait mieux les médecins dans les petits hôpitaux, on en aurait plus... Tiens, une anecdote personnelle : je fais deux demi-journées de consultation (gynécologie, contraception, suivi de grossesse) à l’hôpital du Mans. L’une des deux consultation est payée par l’hôpital, je reçois un virement et un bulletin mensuel. L’autre est financée par le Conseil Général : pour me faire payer, je dois remplir un bordereau, chaque mois, pour indiquer le nombre de demi-journées effectuées. Je suis rémunéré... 250 Euros (pour 4 demi-journées par mois). C’est dire que ce tarif n’attire pas grand-monde. Eh bien, cette année, il m’a fallu attendre le début du mois d’août pour recevoir la rémunération due depuis Janvier ! ! ! On comprend que de moins en moins de médecins veuillent bosser dans le service public, et que, dans le privé, ce soit la jungle...
Vincent : L’interne avait un fort accent de l’est (polonais ?)
MartinWinckler : Je doute qu’un Français ait fait mieux. Cet interne, en principe, aurait dû être supervisé par un chef de service. S’il n’était pas au point et ne pouvait pas demander conseil à un aîné, c’est parce qu’on l’a laissé se débrouiller seul. Ca, c’est inacceptable.
Avec les médecins étrangers, qui sont de plus en plus nombreux dans les hôpitaux étant donné la pénurie d’étudiants en médecine organisée depuis 40 ans, la France se comporte comme un pays esclavagiste... Les médecins étrangers ont le droit d’exercer dans le service public (sinon, il n’y aurait plus personne !), où ils sont sous-payés, mais ils n’ont pas le droit de devenir chef de service, et n’ont pas le droit non plus d’exercer en ville.
Vincent : J’avais apporté la plante mais ils n’avaient même pas un livre des plantes pour vérifier :-(
MartinWinckler : Il n’était pas nécessaire d’identifier la baie. Si elle l’a craché, quoi que ce soit, elle n’a pas pu en avaler suffisamment pour se faire du mal. C’est pas du cyanure !!! Cela dit, vous avez raison : en Amérique, en Angleterre, les services d’urgences sont reliés à des bases de données contenant les photos de toutes les baies possibles et imaginables dans tous les services d’urgences... Et le centre anti-poison, le premier, aurait dû faire ce genre de recherche. Les bases de données existent, et tous les hôpitaux français ont un ordinateur et une ligne de téléphone. Encore faudrait-il FORMER les médecins à chercher l’information là où elle se trouve et à REPONDRE aux personnes qui les appellent. Mais en France, répondre au téléphone (ou par courrier électronique) c’est considéré comme pas sérieux.
Vincent : J’était d’avis de ne rien faire (juste rincage de la bouche et des mains), mais ma femme commencait à paniquer...
MartinWinckler : D’où la nécessité d’avoir quelqu’un pour vous rassurer. Ce que vous n’avez pas trouvé. Dommage pour le système de santé français.
Vincent : Alors on s’est retrouvé coincé de samedi 22h jusqu’à dimanche midi... Fallait attendre que l’interne signe la pancarte...
MartinWinckler : C’est complètement stupide ! De plus, d’un point de vue strictement administratif, vous pouviez partir dès que vous vouliez. Si au bout de 3 heures il ne s’est rien passé, il ne se passera rien !
Vincent : Le pire c’est qu’ils me disaient que c’était probablement inutile... mais ils ne voulaient pas "prendre de risque"... J’allais pas non plus prendre ma fille sous le bras et l’emporter contre avis médical :-( Mais j’ai bien failli le faire !
MartinWinckler : Vous auriez pu, mais on vous a maintenus dans la terreur, et c’est cela qui est insupportable. Le rôle d’un médecin, ça n’est pas de terroriser ou d’ouvrir le parapluie, c’est d’accompagner et de rassurer en permanence et de soigner seulement quand c’est indispensable. Ça n’est jamais de contraindre.
Vincent : Vous n’auriez pas un collègue qui cherche à reprendre un cabinet en bourgogne ? Mon petit village est charmant ;-) Le médecin à pris sa retraite il y a peu et la mairie lui cherche un remplaçant. Un grand classique... Mais où partent donc tous les médecins qui manquent dans les campagnes ?
MartinWinckler : Les jeunes médecins sont en nombre insuffisant -(Lire : La pénurie est déjà là et les conditions d’exercice de leurs aînés sont tellement difficiles en raison des complications administratives ineptes, accentuées par la récente réforme Douste-Blazy qu’ils ne veulent plus s’installer. Et surtout pas en campagne alors qu’on leur a fait faire 10 ans d’études, pendant lesquelles ils se sont mariés, ont eu des enfants, et que leur conjoint(e), qui a un boulot, est souvent dans l’impossibilité d’en trouver un là où on leur propose de s’installer. Si les jeunes agriculteurs ne veulent plus reprendre les exploitations familiales dans des régions où les bureaux de poste et les écoles ferment les uns après les autres, pourquoi voulez-vous que les médecins s’y installent ?
Bref, c’est un problème très grave, lié à l’absence totale de réflexion des pouvoirs publics sur le sujet, depuis... 20 ans et aggravé par un autoritarisme aussi révoltant que stérile. Lire : Peut-on contraindre un médecin généraliste à s’installer à la campagne ? !!!
Il n’y a pas longtemps, je discutais avec des jeunes généralistes qui m’expliquaient que dans l’état actuel des choses, ils n’ont pas du tout envie de s’installer en France. Ils se tournent vers les autres pays d’Europe (Belgique, Grande-Bretagne). Mais ce n’est pas le fait seulement des médecins : comme on le lisait le 11 août dernier dans Libération, la France va si mal que beaucoup de jeunes gens s’en vont.
Le Mans, le 24 août 2005