Contraception et gynécologie >
Le refus de contraception est un acte criminel !
par Martin Winckler
Article du 22 mai 2015
Ce texte date de 2005. En 2015, je pourrais ajouter "le refus de stérilisation" aux abus de pouvoirs des médecins. Et je viens de lire sur mon fil twitter que des médecins continuent à dire à des femmes de 45 ans non ménopausées qu’une contraception est "inutile". Ce type d’attitude est anti-scientifique, c’est con, c’est insupportable, et c’est un viol de liberté. Les conséquences sont telles que je considère le refus de contraception (ou le commentaire "Vous n’en avez plus besoin") à une femme non ménopausée comme moralement et physiquement criminel.
L’ histoire qui suit, que m’a racontée une patiente reçue le 26 septembre 2005, montre que le respect et la sécurité des femmes sont vraiment, parfois, le cadet des soucis de certains gynécologues.
Une femme que je reçois en consultation me demande de lui poser un DIU hormonal. Elle m’explique qu’elle avait un DIU au cuivre, mais qu’elle saignait de manière prolongée. Le gynécologue qui la suivait depuis des années le lui a retiré. Elle a demandé qu’il lui prescrive une autre contraception. Il a refusé en disant « L’abstinence pendant quelques mois, c’est pas insurmontable ». Sans lui donner de rendez-vous pour la pose d’un autre DIU. Elle a insisté, il a persisté dans son refus. Quand je lui ai demandé quel motif il avait invoqué, elle m’a dit (je reprends ses propos) : « Aucun. Il est comme ça, on ne peut jamais savoir comment il va nous parler, ça dépend de son humeur ! »
La patiente est repartie de chez son gynéco et, comme elle n’avait pas, dans son secteur, de médecin à qui demander une autre méthode, elle a « jonglé » (pour reprendre ses termes) avec son mari, avec les préservatifs, la date d’ovulation, etc., pendant 4 mois. Pour, finalement, se retrouver enceinte.
Hier, quand je l’ai vue pour lui poser enfin son DIU hormonal, elle venait de finir la pilule qu’on lui avait donnée après son IVG. Elle ne voulait, évidemment, pas revoir ce « praticien », qui est le seul gynécologue de sa ville, distante de plusieurs dizaines de kilomètres. Elle avait donc été obligée de faire une heure de voiture pour venir se faire poser son DIU.
La perspective d’une grossesse non désirée est un sujet beaucoup trop grave pour dépendre de « l’humeur » d’un médecin, fût-il gynécologue.
Trouve-t-on acceptable qu’un pédiatre refuse de vacciner un nourrisson parce qu’il est « moralement » opposé aux vaccinations ou parce que les maladies infectieuses sont des phénomènes « naturels » ? Trouverait-on acceptable qu’un chirurgien refuse d’opérer une appendicite parce qu’il n’a pas envie de travailler ce jour-là ? Trouverait-on acceptable qu’un médecin refuse de traiter un cancer sous prétexte qu’après tout, il faut bien mourir de quelque chose ? Trouverait-on acceptable qu’un médecin refuse de dépister et de soigner une MST en disant « Vous n’avez qu’à cesser d’avoir de rapports sexuels » ?
Ou dans le même ordre d’idée : accepterait-on qu’un garagiste refuse de réparer une ceinture de sécurité ou un airbag au motif que le conducteur "n’a qu’à faire attention" ?
Non, bien sûr. Pourtant, on continue à tolérer que des médecins imposent aux femmes leurs propres « humeurs » en matière de sexualité. Car il est bien question de ça. En refusant une contraception à cette femme (et il pouvait lui proposer au moins trois autres méthodes ! ! !), il l’a empêchée de vivre sa sexualité comme elle-même et son mari l’avaient choisi : en prévenant l’éventualité d’une grossesse non désirée.
Un médecin qui refuse une contraception sans justification médicale engage sa responsabilité morale et pénale !
Sans les conseils et les prescriptions d’un médecin compétent, elle ne pouvait pas (sauf en pratiquant l’abstinence absolue) éviter une grossesse. Et elle n’avait personne d’autre, dans son secteur, vers qui se tourner.
Il ne fait donc aucun doute que la responsabilité morale, éthique - sinon pénale - de ce professionnel est entière dans ce qui est arrivé à cette femme - exactement comme le serait celle d’un pharmacien qui refuse de délivrer une contraception d’urgence à une mineure.
Les opinions ou les croyances des professionnels ne doivent en aucun cas entraver la liberté des citoyens qui font appel à eux.
Et si ce type s’est comporté ainsi avec elle, il fait probablement de même avec toutes les femmes. Cette femme n’a pas porté plainte pour refus de soin, mais elle aurait pu si elle avait eu la présence de le faire en sortant de la consultation au cours de laquelle ce salopard lui a refusé une contraception. Malheureusement, au bout de 4 mois et d’une IVG, il était un peu tard...
Une décision médicale arbitraire,c’est un abus de pouvoir par une figure d’autorité
On pourra demander : « Mais pourquoi cette femme s’est-elle laissée faire ? Pourquoi n’est-elle pas allée voir quelqu’un d’autre pour prendre une autre contraception ? » La réponse est simple : elle lui faisait confiance - il l’avait suivie pendant des années, l’avait accouchée de ses enfants.
En lui refusant une contraception, en lui imposant de s’en passer, il a abusé de l’ascendant qu’il avait sur elle. Le même ascendant, puissant et très difficile à combattre, qu’utilisent toutes les personnes qui commettent des abus de pouvoir sur les personnes soumises à leur influence et à leur autorité.
Parents, insituteurs et enseignants, prêtres, médecins, psychologues ou psychothérapeutes, sexologues, policiers, éducateurs, infirmiers en milieu spécialisé, et bien d’autres professionnels sont des personnes en position d’autorité, qui, lorsqu’ils abusent de cette autorité, s’appuient, pour le faire, sur le respect qu’on a pour eux. Cette trahison, et le choc d’avoir été maltraités provoquent chez leurs victimes une profonde culpabilité (« s’il m’a fait ça, c’est parce que je le mérite ») et une sorte de paralysie du jugement.
Les personnes qui sont maltraitées ou violées ou harcelées par un instituteur ou un prêtre, maltraitées par un parent ou un grand-parent, battues par leur conjoint ou manipulées par un médecin ont beaucoup de mal à se révolter. Voilà pourquoi cette femme n’a pas pu ou su se défendre... et pourquoi elle en est arrivée à une situation insupportable.
Se taire, quand on est victime, c’est compréhensible. Dans un premier temps, c’est presque inévitable. La violence subie jette sur la victime une chape de silence.
Mais on ne peut pas se taire éternellement, car quand on sait qui sont les bourreaux, et quand on ne les dénonce pas, on est complice de leurs crimes ultérieurs.
Et il n’est jamais trop tard pour contre-attaquer et parler. Il n’est jamais trop tard pour que les personnes maltraitées ouvrent la bouche et dénoncent les comportements insupportables qu’elles ont subi. Car parler, c’est empêcher que d’autres, après elle, subissent les mêmes violences.
Refus de contraception = liberté sexuelle entravée = viol
Je défendrai toujours le droit des femmes à choisir librement d’interrompre une grossesse accidentelle, mais je ne vois pas de différence morale entre une IVG imposée et un un viol. En refusant une contraception à cette femme (qui n’avait personne d’autre vers qui se tourner), ce médecin n’a rien fait d’autre que lui imposer de choisir entre l’abstinence sexuelle et une grossesse non désirée.
Le viol se définit comme étant une relation sexuelle non consentie par l’un ou l’autre des partenaires. Le consentement s’applique aussi aux conditions du rapport sexuel : un rapport imposé sans préservatif dans une situation de risque de MST, c’est un viol ; un rapport imposé sans contraception alors que la femme ne veut pas être enceinte, c’est un viol.
Ce gynécologue a imposé à cette femme ainsi qu’à son mari des rapports sexuels non protégés, dont ce couple ne voulait pas. C’est donc un viol ; il les a violés tous les deux et leur a imposé une grossesse non désirée et une IVG. Ce type-là devrait payer les conséquences de son abus de pouvoir.
Parler, c’est résister aux abus de pouvoir des médecins
En Angleterre, aux Etats-Unis, en Hollande, en Scandinavie, cette femme serait aller porter plainte immédiatement et le praticien aurait été sanctionné. Et si elle avait été enceinte parce que le refus du médecin l’a empêchée d’obtenir une contraception efficace, elle aurait été en droit de lui réclamer des dommages et intérêts - et de lui faire interdire d’exercer. Il y a des pays où on ne plaisante pas avec les droits du citoyen.
En France, beaucoup de médecins continuent à imposer impunément leur manière de voir. Il est plus que temps que ça cesse. Et pour que ça cesse, il faut que chacun, chacune, donne de la voix. Les praticiens respectables ne manquent pas, et ils n’ont rien à craindre. Mais leur existence ne justifie en aucune manière qu’on laisse des salopards exercer en toute impunité.
Je n’ai pas conseillé à cette femme de porter plainte, car les procédures pénales sont longues et coûteuses, et elle a envie de passer à autre chose, mais je l’ai encouragée à écrire clairement à ce gynécologue pour lui dire que sa désinvolture, et son mépris, lui ont coûté très cher et qu’elle le considère comme responsable. Mes collègues du centres d’IVG qui l’ont soutenue lui ont conseillé la même chose.
Et je lui ai conseillé d’envoyer un double de la lettre à son chef de service, au directeur de l’hôpital et au président du conseil de l’Ordre des médecins. Afin que ce salopard (il n’y a pas d’autre mot pour le désigner) ait du mal à dormir chaque fois qu’il pensera à cette femme et réfléchisse à deux fois avant de se comporter de nouveau ainsi.
Les paroles s’envolent, mais les écrits restent. Une lettre, surtout en quatre exemplaires, ça laisse des traces. Si jamais il fait subir la même chose à une autre femme, on saura que ce salopard n’en est pas à sa première vilénie, et peut-être que cette fois, on ne le ratera pas !
Ne vous laissez pas violer [1] par les médecins, physiquement ou moralement. Ne vous laissez jamais faire. Si vous avez été maltraité(e)s, relevez-vous et parlez, dites ce que vous avez subi.
Le point commun de beaucoup de malveillants, c’est qu’ils profitent de notre sentiment de faiblesse. Quand on se relève pour se battre, on découvre souvent qu’ils ont beaucoup plus peur de nous que nous ne l’imaginions.
Car ce ne sont pas seulement des malveillants ou des incompétents, ce sont aussi des lâches.
Martin Winckler
Lire un vigoureux échange avec un médecin remplaçant, qui protestait contre ce texte...
[1] "En droit, me précise Salomé Viviana, juriste, le gynéco n’a pas commis de viol, car il n’est pas l’auteur du ou des rapports sexuels. Il a refusé une contraception mais n’a pas imposé de rapports à sa patiente. Il n’empeche qu’au pénal, il devrait pouvoir être poursuivi, mais sur un autre terrain : atteinte à l’intégrité de la personne ou mise en danger d’autrui. L’éternel problème est qu’il faut arriver à prouver qu’il a refusé de lui délivrer un moyen contraceptif. C’est pourquoi le courrier "publicitaire" que vous préconisez me semble bien adapté."
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