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Avec qui avez-vous grandi ?
08 novembre 2002 (chronique faite à France Inter)
Article du 26 septembre 2004
Quand j’étais gamin, dans les années 60, j’achetais Vaillant qui devint plus tard Pif Gadget, Spirou, Tintin, et bien sûr, Pilote. Et, comme tout le monde, j’avais mes héros préférés : Nasdine Hodja, Gaston, Ric Hochet et Blueberry. Mais parmi les dessinateurs, il y avait un type un peu à part, qui ne dessinait jamais d’histoires à suivre, et qui bossait à la fois dans Vaillant et dans Pilote.
Il se nommait - et se nomme toujours, d’ailleurs - Marcel Gotlib. Je l’ai vu faire ses débuts dans Vaillant en dessinant sur une page les aventures d’un garçon, d’une fille et d’un renard. Ça s’appelait Nanar, Jujube et Piette . Jujube, le renard s’est fait un copain : un chien placide qui roupillait tout le temps, ne riait jamais et s’appelait Gai-Luron. Bientôt, Gai-Luron est devenu le personnage principal et presque unique, de la planche hebdomadaire. Enfin, pas tout à fait : il avait toujours près de lui, dans un coin de la case où il était mis en scène, une petite souris qui vivait une histoire parallèle. Une BD dans la BD, en quelque sorte.
À la même époque, dans Pilote, Gotlib dessinait sur des scénarios de René Goscinny une double planche hebdomadaire intitulée Les Dingodossiers. J’y apprenais tout sur le cinéma, la télévision, la cuisine, les animaux de la ferme, les voyages en autocar et même sur l’école. Car les Dingodossiers, avaient parfois pour héros un petit garçon sans prénom, qui s’appelait seulement Chaprot. Chaprot avait mon âge, c’était un cancre et un rêveur. Lorsque le maître lui demandait : Chaprot qu’est-ce que je viens de dire ?, et que Chaprot répondait juste, l’instituteur, bouleversé, lui mettait la main sur la tête en disant : Qu’est-ce qu’il y a mon petit Chaprot, vous êtes malade ? et Chaprot répondait : Je crois que j’ai de la fièvre, M’sieur.
Après les Dingodossiers, Gotlib (qui grandissait en même temps que moi), a créé la Rubrique-à-Brac, et s’est efforcé d’y faire mon éducation scientifique grâce à deux grands savants. Isaac Newton, qui faisait lui aussi souvent la sieste, me fit régulièrement découvrir la gravitation universelle en recevant, tantôt une pomme, tantôt un pot de fleurs, tantôt un cheval sur la tête. De son côté, le professeur Burp m’enseigna tout ce que je sais aujourd’hui sur le crocodile, le paresseux (qu’on appelle également « aï ») la girafe et le kangourou - sans oublier la petite coccinelle, qui occupait le coin des cases comme la petite souris de Gai-Luron.
L’inspiration de Gotlib ne se cantonnait pas aux sciences exactes : je me souviens aussi du petit poucet qui semait derrière lui des enclumes pour retrouver le chemin de la maison, et des enquêtes de Bougret et Charolles. Et il lui arrivait aussi de se mettre en scène sous les traits d’un artiste couronné de lauriers qui foutait dehors les dessinateurs qui auraient pu lui piquer sa place. Il savait aussi être poétique ; je me souviens avec émotion de deux planches dans lesquelles il se dessine avec un boulet au pied tandis que sa petite fille, patiemment, scie la chaîne...
Après avoir clos la Rubrique-à-brac, Gotlib a composé dans Fluide Glacial des récits provocateurs, et m’a appris la vie en se moquant de la religion, du sexe et de la morale. Il y a aussi inventé le personnage de Pervers Pépère.
Et puis, un jour, Gotlib a cessé de dessiner. Et moi, j’ai constaté que j’avais grandi. D’abord, les deux choses m’ont rendu triste, et puis, je me suis réjoui de la chance d’avoir pu grandir avec Gai-Luron, Chaprot, Isaac Newton et Hamster Jovial, le scout qui ne parvenait jamais à empêcher ses louveteaux de se tripoter partout.
Finalement, j’ai grandi en suivant pas à pas, pendant près de vingt ans, la carrière d’un artiste. Je viens de voir que l’intégrale de la Rubrique à Brac ressort en un seul énorme album et j’ai très envie d’aller faire une cure de jouvence. Pas vous ?
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