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Un conte moral
Charles et la pilule bleue
par Louise Kelso-Bartlebooth

25 novembre 2003

Dans la série « les labos pharmaceutiques se foutent vraiment de notre gueule », je vous recommande vivement la lecture de l’encart central de Télé Câble Satellite Hebdo (vous savez, ce canard où un gratte-papier nous chante chaque semaine les louanges d’ Everwood... Bon, des fois il prévient aussi qu’il va y avoir Au-delà du Réel avec Martin Landau, alors on lui en veut pas trop au final)... Bref. Les laboratoires Pfizer y donnent un nouvel exemple du racolage médiatique frénétique auquel ils se livrent sans relâche depuis quelques mois. Que je vous raconte :



Derrière un slogan à la rime savoureuse, " Pour en finir avec ses troubles de l’érection, Charles a d’abord rempli un coupon ", bien cadré de façon à masquer avec délicatesse quelques cheveux blancs, apparaît un type plus tout jeune, pas tout vieux... Je suppose que c’est Charles. Et force m’est de constater que curieusement, malgré ses découvertes récentes en matière de pharmacie-chez-soi, il n’a pas l’air débordant d’allégresse, Charles. Il aurait même l’air plutôt... crispé. Peut-être que ça l’emmerde un peu, au fond, d’avoir intégré la grande famille des pourvoyeurs de fonds des laboratoires Pfizer.

Pourtant, ça démarrait bien. Quand il a vu l’encart pour la première fois, Charles (l’encart, c’était le même, sauf que c’était pas lui dessus à l’époque, c’était Georges. Georges, comme Charles, " pour en finir avec ses troubles de l’érection, il avait rempli un coupon "). Quand il avait vu l’encart, donc, Charles, il avait été vachement soulagé. Ca faisait des mois qu’il osait pas aller voir un toubib pour lui parler de ça, des mois que Jeanne-Marie lui faisait la gueule, et tout à coup, paf ! Entre la finale de la Coupe Davies et la 589ème rediffusion de Top Gun, les laboratoires Pfizer lui apportaient la solution. Alors, vite, vite, il avait détaché l’encart avant que Jeanne-Marie ne pique le journal pour prendre des nouvelles de Brad Pitt, et il s’était abonné à UP ! (alias Univers Passion... Quelqu’un ici a-t-il des problèmes avec l’anglais ?), le trimestriel gratuit des laboratoires Pfizer.

Faut dire qu’il était vachement rassurant, l’encart : Non, Charles n’était pas seul, et oui, il existait une solution à ses problèmes. Chaque année, 270 000 types comme Charles parlaient de ce problème à leur médecin (monsieur Pfizer les avait comptés lui-même), et 150 millions de types dans le monde n’en parlaient pas mais avaient les mêmes problèmes que lui (monsieur Pfizer les avait comptés aussi). C’était pas dans sa tête, comme cette vache de Jeanne-Marie le répétait chaque fois, c’était un truc phy-sio-lo-gi-que et fallait pas rigoler avec ça et se dépêcher de trouver un traitement approprié. Bref : Fallait prendre des mé-di-ca-ments. Autant pour le conseiller conjugal chez qui Jeanne-Marie essayait de le traîner depuis 6 mois.

Alors bien sûr, il avait pas traîné à le remplir, son coupon, Charles. Il avait tout bien rempli, y compris l’adresse e-mail pour recevoir le magazine par l’internet et pas par courrier (à cause de cette fouine de Jeanne-Marie).

Ca fait maintenant 9 mois qu’il reçoit UP !, Charles. Il a fait doser son sucre et son cholestérol, comme ils disent dans UP !, et maintenant il prend du Tahor tous les jours, un peu d’Amlor et occasionnellement un ou deux comprimés de Viagra. Ce qu’il y a de bien, c’est que comme ça il risque pas non plus de faire une crise cardiaque, comme l’autre type dans la pub à la télé. Et il fait prendre sa tension tous les mois, pour être sûr, de toute façon c’est remboursé.

Jeanne-Marie, elle, elle fait toujours la gueule, elle dit qu’il ressemble à un petit vieux, avec ses médicaments à tous les repas et ses rendez-vous tous les mois chez le docteur. Elle ferait mieux d’aller consulter aussi, Jeanne-Marie, avec ses migraines à répétition. C’est que maintenant qu’il est redevenu compétitif, Charles, il peut très bien décider d’aller voir ailleurs...

Louise Kelso Bartlebooth




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