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Pourquoi je ne lis pas les manuscrits
par Martin Winckler

10 novembre 2005

De temps à autre, des lecteurs m’envoient un manuscrit en me demandant de leur donner mon avis. Je suis touché de leur confiance, mais je ne peux pas les satisfaire.

Je ne lis pas les manuscrits, pour plusieurs raisons :
- je n’ai pas le temps de lire les manuscrits, et si j’en lisais un, pourquoi celui-là et pas celui d’autres personnes ?
- je ne sais pas si un manuscrit est publiable ou pas, car je ne suis pas éditeur ; des textes que j’adore sont considérés comme impubliables et inversement ; seul un éditeur (quelqu’un qui va vouloir publier et défendre votre livre) est en mesure de lire vos manuscrits
- si je me risquais à vous donner mon avis, il consisterait à vous dire... comment j’aurais écrit ce livre à votre place, et ça n’est pas ce que vous voulez. Je l’ai fait, une fois, pour un ami qui ensuite m’en a voulu à mort, et je le comprends. Je n’ai plus envie de blesser inutilement, alors je ne le fais plus.
- une dernière raison m’a été donnée, très délicatement, par un auteur à qui j’avais moi-même envoyé le texte d’une nouvelle, il y a... quarante-cinq ans. Il me l’a retournée en me disant ne pouvoir la lire pour des raisons légales : il ne voulait pas risquer de me "voler" (même inconsciemment) des idées et de les réutiliser dans un texte ultérieur.
A l’époque, je n’y avais même pas pensé : j’aurais été heureux qu’il s’inspire de mon texte. Mais, réflexion faite, je pense que c’est une précaution légitime.

Par conséquent, il vaut mieux ne pas m’envoyer votre manuscrit.

Si vous avez un manuscrit à faire lire, envoyez-le aux personnes les mieux placées pour les lire : les éditeurs qui publient les textes (romans, essais) que vous lisez et que vous aimez lire : ces éditeurs sont tout à fait susceptibles de trouver vos textes intéressants, car on écrit des textes qui "ressemblent" à ceux que l’on lit. Et tous les éditeurs de littérature favorisent les textes qui correspondent à leur sensibilité propre.

Et si toutes les réponses sont négatives, il faut savoir laisser reposer le manuscrit pendant quelques mois et en écrire un autre, pendant ce temps, puis relire le premier et éventuellement le reprendre, et l’envoyer une nouvelle fois en s’assurant qu’on l’envoie aux éditeurs susceptibles d’adopter ce manuscrit-là.

Beaucoup d’écrivant(e)s ont vu d’abord leurs manuscrits refusés avant qu’on en accepte un. Souvent, ça demande du temps. Rares sont les auteurs et autrices qui ont fait publier leur tout premier manuscrit du premier coup. (Et c’est de la chance, pas du génie.) La plupart de celles et ceux que vous lisez écrivaient depuis longtemps (sans être publiés, ou de manière anecdotique) avant de publier leur premier livre. Il en va de même que pour les peintres, les musicien.ne.s, les sculpteurs/ices. Ne vous découragez pas, écrivez. Et gardez bien deux choses en tête : d’abord : ce que vous avez mis dans le premier manuscrit n’est ni perdu ni "gâché", vous pourrez le reprendre dans d’autres textes ; et ensuite : plus vous écrirez, plus vous vous rapprocherez d’une "voix" qui est la vôtre, et qui sera entendue par celles et ceux qui vous liront.

Bonne chance

Martin W.




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