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La télévision française est d’une extrême vulgarité
Texte de la chronique d’ArteRadio.com1er juin 2005
Ecouter la chronique sur le site d’ArteRadio
Je crois que je vais vous parler de la vulgarité à la télévision. Cette télévision française qui est une des plus voyeuses du monde, il me semble, et j’en ai vu beaucoup. Vous voyez, il y a un truc qui s’appelle le CSA, et le CSA en principe est censé contrôler la violence à la télévision. Et comme le disait très justement une jeune femme qui m’a envoyé un texte que j’ai mis en ligne sur mon site internet, ils se préoccupent tellement de la violence à la télévision, qu’ils se demandent plus ce que c’est que la violence.
Mais je voudrais d’abord vous parler de la vulgarité. Je trouve qu’on a une des télévisions les plus vulgaires du monde. Et elle est vulgaire, parce que par exemple, on entend souvent les français se plaindre que les américains sont très pudibonds, ne veulent pas montrer de seins à la télévision, moi je trouve que des seins, ou des gens à poil, on en montre vraiment beaucoup. On en montre vraiment beaucoup, y compris dans des situations où ni narrativement, ni documentairement, ça n’est nécessaire. Ça, ça me gêne quand même un petit peu.
Je déteste aussi voir dans les publicités, toutes plus bêtassoues les unes que les autres, la promotion des éléments d’hygiène féminine, comme par exemple les protège-slips ou les serviettes. Je trouve que tout cela est toujours montré avec une vulgarité assez étonnante, alors que dans d’autres pays, il y a aussi des pubs pour les protège-slips et les serviettes hygiéniques, mais c’est quand même beaucoup plus délicat.
La dernière sur laquelle je suis tombé, c’était hier, ça commence par une bouche. Une bouche qui est présentée non pas de face et horizontale, mais verticale. Tout ça pour nous signifier qu’en fait il ne s’agit pas de la bouche mais du vagin, bien entendu. Et cette bouche s’anime pour nous dire que l’hygiène intime, c’est important, qu’il ne faut pas la faire n’importe comment, et donc il y a un gros plan et une rotation qui nous montre le visage de la jeune fille qui parle, et qui nous dit "Bon, moi pour mon hygiène intime, j’utilise le savon Machin". Ça serait pas mal, si elle n’ajoutait pas : "Vous comprenez, quand je nettoie mes parties intimes, c’est pas comme quand je me nettoie les pieds". Et là, ça fout vraiment tout par terre, parce que c’est d’une extrême vulgarité.
La télévision française est d’une extrême vulgarité quand, par exemple, elle nous présente avec la Ferme, la Ferme Célébrités, quelque chose qui satisfait non pas la vulgarité du public, mais la revanche du public. Parce qu’au fond, qu’est-ce que c’est que la Ferme ? C’est des gens très très très riches, très connus, ayant pignon sur rue, qu’on met dans l’endroit qu’on considère - à tort, bien entendu, et en tout cas de manière extrêmement méprisante - comme le plus sale du pays, c’est-à-dire une ferme, et où en gros on leur demande de faire des bagarres dans la boue, et en plus, à la fin, ils ont l’humiliation d’être foutus dehors, parce qu’ils sont même pas assez bons.
Mais le comble de la vulgarité, c’est quand même ce dont cette jeune femme, qui s’appelle Chloé, dont je parlais au début de ma chronique, m’a fait part il n’y a pas très longtemps, c’est qu’elle a vu, sur M6, à l’émission Zone Interdite, un reportage sur l’anorexie et la boulimie (Lire sa contribution à ce sujet). Alors il se trouve que Chloé est anorexique et boulimique, elle sait de quoi elle parle. Et dans cette émission, les journalistes interviewaient une jeune femme anorexique et boulimique qui allait très très mal, et lui demandaient de leur expliquer comment elle se fait vomir. Et ils lui redemandaient, et ils lui redemandaient encore une fois. Et la jeune femme expliquait, bien entendu, parce qu’est-ce qu’on a le choix, quand on vous demande quelque chose devant une caméra de télé ? Et elle l’expliquait tellement bien, que Chloé et bien d’autres jeunes femmes qui souffrent de la même maladie, de la même affection, étaient tellement angoissées qu’elles sont allées se faire vomir après avoir vu l’émission.
Ça, c’est pas seulement vulgaire, c’est violent. Et en principe, le CSA, il est pas censé faire attention à ce qu’il y a de violent, à la télévision ?
...
Evidemment, si on attend que le CSA s’agite, on peut toujours attendre longtemps. Il paraît que les français sont de plus en plus exigeants sur le contenu des informations et qu’ils harcèlent par exemple la radio et la télévision publiques à propos du déséquilibre au sujet du référendum.
C’est bien, mais c’est pas suffisant. Je pense que des citoyens qui ne se révoltent pas contre la violence et la vulgarité qu’on leur impose à la télévision n’ont que la télévision qu’ils méritent.
Ecouter la chronique sur le site d’ArteRadio
P.S.
Qu’on ne me rétorque pas que la télévision italienne (par exemple) est "plus vulgaire" que la télévision française. D’abord, tout est relatif (et qui sommes-nous pour juger la télévision des autres ?) Mais en plus, ça n’est pas un argument : ce n’est pas parce que le voisin laisse les chiens pisser devant sa porte que nous devons tolérer que ça se passe devant la nôtre.
MW
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