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L’internet est-il une source d’informations sûre ? - par MW et Isabelle
A partir d’une des chroniques d’ Odyssée (France Inter, 6 Mai 2003)

19 juin 2005

Quand j’assurais ma chronique quotidienne à France Inter, dans certains messages d’auditeurs, je sentais souvent pointer une question qui pourrait se formuler ainsi : « Votre chronique, là, est-ce que vous bossez vraiment pour la faire, ou bien est-ce que vous vous contentez d’aller fouiner sur un quelconque site internet pour copier des bouts de texte et les coller dans le vôtre ? »



C’est une question saine : quand quelqu’un écrit ou parle pour le public, le public est en droit de se demander quelles sont ses sources. C’est pourquoi, même si je ne les cite pas à l’antenne, j’indiquais les miennes sur la page web d’Odyssée, hébergée par le site internet de France Inter. Et, aujourd’hui, sur les pages de ce site.

Mais, pour tout vous dire, quand on m’a confié cette chronique, à la fin de l’été 2002, je me suis demandé où j’allais pouvoir trouver les informations qui alimenteraient mes trois minutes matutinales - comme aurait dit Philippe Meyer.

Au bout de huit mois de chronique, j’y voyais plus clair, et je pouvais dire (d’ailleurs, je l’ai fait à l’antenne) que ça dépend du sujet. Si c’est un sujet que je connais bien parce qu’il fait partie de ma pratique quotidienne - mettons, au hasard, la contraception - mon travail va consister essentiellement à mettre en forme les informations que j’aimerais faire passer. Mais le sujet peut être tiré d’un article de presse, comme celui de La Recherche sur la fonte des glaces polaires, ou le numéro spécial de la revue Pour la science consacré à Konrad Lorenz.

La source peut être un livre qu’on m’a envoyé, comme Tchang ! ou Belle de Lui, ou d’autres bouquins épatants comme celui de Philippe Pignarre, Le grand secret de l’industrie pharmaceutique (La Découverte) [1].

Ça peut être le résultat d’un échange de courrier électronique avec des auditeurs sur un sujet qu’ils connaissent très bien parce qu’il les touche de près, comme l’archéologie d’urgence, ou la surdité, ou les logiciels libres, ou la question de savoir s’il est possible de lire une plaque minéralogique depuis un satellite géostationnaire.

Il arrivait aussi, bien sûr, que je surfe sur l’internet, certains soirs, parce que je ne sais pas trop de quoi je vais parler le lendemain. Aujourd’hui, c’est plutôt quand je prépare mes réponses pour la rubrique "Docteur Je Sais TOut", que Spirou m’a confiée il y a un an.

Alors, je tape les mots ou les questions qui me viennent à l’esprit dans ce qu’on appelle des moteurs de recherche et ils me dirigent vers des textes ou des sites très nombreux. Parfois, en essayant de trouver une information sur un sujet précis, je tombe par hasard sur un truc marrant, comme l’enquête sur l’incompétence ou la page sur le psychologue le plus excentrique d’Europe.

Parfois aussi, la recherche sur l’internet me permet de compléter une information que j’ai lue dans une revue mais qui m’a paru insuffisante à elle seule pour faire l’objet d’une chronique. Mais, demande-t-on souvent quand on n’a pas l’habitude de surfer, les informations qu’on trouve sur l’internet sont-elles aussi fiables que les autres ?

Eh bien : oui. Car sur l’internet, on trouve les mêmes informations que dans les livres ou les revues ou les journaux. Les mêmes - puisque les auteurs sont les mêmes. L’internet est un vecteur d’information, comme la radio ou la télé, mais à la différence de celles-ci, on puise directement les informations à la source qui les a produites. De plus, le web est un lieu de débat, comme les participants à ce site ont pu le constater : si je poste un texte qui donne lieu à discussion ou à contribution, je poste aussi, ensuite, les réactions des lecteurs (quand je ne suis pas surchargé). Et tout apparaît en même temps. Ce n’est évidemment jamais le cas à la radio, à la télévision ou dans les journaux, puisque les informations changent chaque jour. Sur un site web comme celui-ci, les différentes étapes d’un même débat sont en ligne simultanément.

Le web est un lieu de partage. C’est d’ailleurs ainsi qu’il a commencé : après avoir été mis en place par les militaires pour des raisons stratégiques, il a été ensuite utilisé par les scientifiques qui éprouvaient le besoin d’échanger des informations rapidement, sans attendre les nombreux mois de délai avant publication dans les revues de référence.

Aujourd’hui, de nombreux scientifiques - surtout les anglo-saxons et les Québecois, moins souvent les Français, et à mon avis ils ont bien tort - ont un site sur lequel on peut accéder à des résumés de leurs travaux, à des chapitres de leurs livres ou à leurs principaux articles. De nombreux organes de presse, grand public ou professionnels, ont un site internet où on peut lire leurs articles récents. Des magazines scientifiques offrent aux internautes la possibilité de poser des questions à des savants de haut niveau, et les réponses sont accessibles aux internautes. Les grandes institutions comme l’organisation mondiale de la santé (OMS) font de même. Tous les codes législatifs français et des milliers d’autres textes officiels sont en accès libre sur les sites mis en place par les ministères concernés. Et de nombreux sites associatifs ou individuels sont, eux aussi, des mines de renseignements.

De même, la plupart des sites publics, scientifiques ou associatifs consacrés à la contraception, au contrôle des naissance et à la lutte contre les MST sont d’accès gratuit, car il s’agit de problèmes de santé planétaire. Il est donc d’autant plus incompréhensible que les médecins français qui sont censés connaître et délivrer cette information fassent comme si elle n’existait pas ou comme s’ils n’y avaient pas accès.

Encore une fois, ces informations ne sont pas moins fiables que celles que l’on trouve dans des journaux ou dans des livres. Elles sont seulement accessibles par un autre moyen. Mais qu’on les trouve en surfant sur l’internet, en fouinant dans une bibliothèque ou dans un kiosque à journaux, le problème reste entier. Les informations auxquelles nous avons accès sont-elles sûres ?

Une information doit toujours être vérifiée. C’est la multiplicité des sources qui valide cette information en l’état actuel des choses. Mais il y a aussi une autre condition importante : toute information doit être discutée par le lecteur, la lectrice, à l’aune de ce qu’il ou elle sait déjà.

Très régulièrement, je reçois des messages concernant les articles que je mets en ligne, où l’on me pose des questions précises, "pointues" sur ce que j’ai écrit. Je ne le ressens jamais comme une remise en cause de ce que j’écris (car, en général, quand il ne s’agit pas d’une opinion personnelle, je ne fais que transmettre une notion validée par d’autres que moi) mais comme une incitation à être plus précis, plus explicite.

Il y a plusieurs exemples de questions de ce genre sur le site - voir en particulier "Le DIU est-il abortif ?" ou "Les règles : en avoir ou pas ?" ou encore "Le cerveau, le sexe et les ambiguïtés"

Autant dire que je ne conçois pas ce site autrement que comme un lieu de mise en commun de l’information mais aussi de confrontation des questions, des interrogations, des opinions.

Car le savoir est en mouvement constant : il se modifie, se rectifie, s’amplifie, s’échange, et chaque utilisateur participe à ce mouvement. C’est en cela qu’à mon sens l’internet est plus démocratique que la presse écrite ou audio-visuelle : chacun peut y apporter sa contribution, sur un site personnel ou en s’exprimant sur le site des autres. Vigoureusement, s’il le désire.

Pour ceux qui veulent contrôler le monde, "l’internet c’est l’anarchie et rien de ce qui y circule n’est fiable". On pourrait les croire s’ils n’étaient pas, eux aussi, massivement présents sur le web (il suffit de jeter un coup d’oeil aux sites de Microsoft, de Pfizer ou des agences gouvernementales américaines - CIA, FBI, NSA). Leur problème, en fait, c’est que sur l’internet, la circulation n’est pas contrôlable et qu’il n’est pas nécessaire de passer par les canaux "officiels", "autorisés" pour cherche des informations... et les trouver.

L’internet n’est pas anarchique. Il est libertaire. Et personnellement, la liberté ne m’a jamais gêné...

Bonnes vacances.

Martin W.


Allez, ça n’a pas tardé, Isabelle a réagi à ce texte...


Cher Martin,

Je viens de lire votre article intitulé "L’internet est-il une source d’informations sûre ?" qui, dès son titre, m’a fait penser à une mésaventure qui m’est arrivée il y a quelques semaines.

Je tiens d’abord à signaler que je suis entièrement d’accord sur le principe du "L’internet n’est pas anarchique. Il est libertaire. Et personnellement, la liberté ne m’a jamais gêné...".

Le problème, c’est que bien souvent, les informations fausses ou partiales ou partialement fausses (ou partiellement fausses, bref, vous m’aurez comprise) ne sont pas forcément contrebalancées par un "contre-pouvoir". Ou, si le "contre-pouvoir" existe, il n’est pas forcément visible.

Dans la série des domaines que je connais, admettons par exemple que je recherche des logiciels gratuits. Je tape donc bêtement "freeware" dans Google et, bien sûr, une des plus grosses sources de logiciels gratuits de qualité, à savoir le logiciel libre, n’apparaît pas. On se retrouve pour la plupart des sites avec des trucs comme "un jeu de strip poker avec une VRAIE intelligence artificielle" ou "tout pour contrôler le ventilateur du chipset de la carte mère du voisin" !

Ce qui peut sérieusement poser des doutes quant à l’offre du libre, souvent gratuit, qui se retrouvera trop souvent associée à ça... Quand il ne s’agit pas de machins blindés de spywares de toutes sortes. Bref, pas très reluisant. (Ne parlons même pas d’une limitation de la recherche aux pages en français, c’est trop déprimant).

Plus récemment, j’ai fait une grosse bêtise. J’ai commencé par googler "dépression", je suis tombée sur des machins qui parlaient de maniaco-dépression, j’ai cherché aussi, et je suis tombée sur un article sur... doctissimo (désolée, hein).

Pour info l’article en question

Deuxième erreur : ne pas tilter sur la petite mention "parrainé par les laboratoires Lilly".

C’était pourtant écrit en toutes lettres... sur la 2e page de l’article (après une première page assez... bref, on y croit, à leur baratin. Surtout quand on est dedans).

Mais bon, c’est le même principe que les horoscopes, hein, en étant le plus général possible, on touche plus de monde...

Et là, plutôt que d’être rationnelle, j’ai paniqué. Je crois qu’une petite voix dans ma tête me disait "M’enfin, doctissimo, ils ont une certaine réputation, quand même, ils peuvent pas dire des conneries comme ça sans que personne réagisse". Alors que dans d’autres contextes je savais déjà que c’était une source discutable.
Bref, je suis allée pleurer chez mon toubib préféré qui m’a complètement rassurée : c’était bien un cas d’internetose aiguë.

Bref, pour en revenir à la sûreté des informations sur Internet, je dirais que le problème d’Internet, c’est peut-être aussi qu’il est bien plus facile de publier quelque chose qui a l’air sérieux que par le biais des media classiques. Si je prends un article dans Pour la Science ou La Recherche, je peux être raisonnablement sûre du système de peer-review. Et, malheureusement, ce réflexe de faire confiance à ce qui est écrit est souvent trop transposé sur Internet pour que cela soit fiable.

Encore un autre exemple : si je trouve sur le web un article de recherche qui a l’air sérieux (un beau PDF en LaTeX comme les chercheurs savent si bien le faire), j’arrive à avoir le réflexe de chercher où le papier en question a été publié. De toutes façons, sinon, je ne peux pas le mettre dans la bibliographie de ma thèse, c’est aussi simple que cela.

Alors pourquoi, dans le cadre de recherches personnelles, ai-je encore beaucoup de mal à sortir du "c’est écrit donc c’est vrai" - et quand je dis "je", il n’y a qu’à voir le nombre de hoaxes par mail qui circulent pour se rendre compte que je ne suis pas la seule.

Sur les supports "traditionnels", on sait bien qu’une revue aura tendance à être partiale vis-à-vis de ses annonceurs, que les plaquettes en joli papier glacé des cabinets de certains médecins sont bien financées par... tiens, le labo qui est au dos de la plaquette, marrant hin, que sortir un bouquin c’est du boulot, que trouver un éditeur, c’est encore plus du boulot, et qu’en tapant le nom de l’auteur dans un moteur de recherche quelconque on peut trouver son CV :-) .

Internet, et l’Internet francophone, manque à mon avis cruellement de sources indépendantes correctement référencées. Des initiatives comme Wikipedia vont, on l’espère, dans le bon sens (d’ailleurs je viens de tomber sur la page http://fr.wikipedia.org/wiki/Catégorie:Médicament où il y aurait probablement moyen de s’amuser dans la perspective de nos dernières discussions à propos de l’information des patients à propos des médicaments ! j’y avais pas pensé !) mais, en attendant, j’aurais tendance à dire que, si l’internet peut être une source d’informations sûres (votre site web, tout simplement, m’en paraît une bonne preuve ;o) ), il faut faire encore plus attention que sur les supports traditionnels, car il est bien plus simple d’obtenir un site web "qui a l’air bien" que de sortir un article dans une revue sérieuse...

Bien cordialement (et bonnes vacances !),

Isabelle


[1qui valut à France Inter de diffuser un droit de réponse du LEEM (le syndicat de ladite industrie), courroucée d’être ainsi brocardée sur des ondes à qui elle achetait des espaces publicitaires




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