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Qu’est-ce qu’un jury d’assises ?
Odyssée, France Inter 22 Avril 20033 décembre 2005
Alors que l’affaire d’Outreau occupe le devant de la scène, je me permets de remettre en ligne quatre chroniques que j’avais faites pour "Odyssée", sur France Inter, concernant la justice française. C’était il y a deux ans...
Martin WInckler
Il y a quelques semaines [en mars 2003], aux Rencontres internationales de télévision de Reims, j’ai assisté à la projection d’une minisérie britannique intitulée The Jury [1]. Elle suit les jurés d’un procès d’assises, à partir de leur sélection sur les listes électorales et montre comment ils siègent dans le procès d’un lycéen accusé d’assassinat.
En voyant cette série, je me suis rappelé ce que m’a raconté l’un de mes amis qui, pour des raisons professionnelles, fréquente beaucoup les tribunaux : aujourd’hui, la plupart des citoyens ignorent le fonctionnement de la justice française et croient que les rouages de celle-ci sont comparables à ceux de la justice anglo-saxonne, car tous les jours à la télévision, ils voient des représentations de procès à l’américaine.
Une auditrice de France Inter, elle-même magistrate, m’écrivait à ce sujet il y a quelques semaines : « Je ne comprends toujours pas pourquoi le système judiciaire français n’est pas enseigné aux élèves quel que soit leur âge (pas seulement aux élèves de Terminale option économie) afin qu’ils ne pensent pas ensuite que le président est appelé « Votre Honneur » ou que les avocats de la défense et les avocats généraux dirigent les débats d’assises pendant que le président de la cour reste silencieux ou enfin que le juge d’instruction court dans tous les sens à la recherche de la vérité accompagné de son policier préféré. »
Bon, je ne vais pas vous expliquer le système judiciaire français en trois minutes, alors aujourd’hui nous allons nous pencher sur un point qui frappe particulièrement l’imagination, celui du jury populaire qui siège en cour d’assises, pour juger les crimes les plus graves.
Notons que le système du jury n’existe pas partout : il n’y en a pas au Pays-Bas depuis 1813, ni au Japon depuis 1943.En France, l’institution du jury date de la révolution - de 1790 plus précisément - et fut inspirée par l’exemple de l’Angleterre, que je vais donc vous décrire également.
En Angleterre, on convoque deux jurys : le premier statue sur la nécessité de poursuivre (c’est ce qu’on appelle le « Grand Jury », dans les séries télévisées américaines), le second siège au procès. En France, à la place du premier jury des Anglais, nous avons un juge d’instruction qui instruit à charge mais aussi, en principe, à décharge.En Angleterre, pour le procès en jugement, le tribunal est composé d’un magistrat professionnel et de douze jurés tirés au sort sur les listes électorales. Le juge dirige les débats et explique les points de droit en audience au jurés, mais le jury délibère seul sur la culpabilité de l’accusé, et le juge est tenu de se plier à son verdict.
En France, lorsque les cours d’assises ont été créées, les jurés étaient eux aussi au nombre de 12 et délibéraient seuls. Aujourd’hui, les jurés d’assises sont neuf en première instance. Depuis quand ? Depuis le 25 novembre 1941, date à laquelle une loi de Vichy a réuni la cour et le jury pour qu’ils délibèrent ensemble sur la culpabilité et sur la peine. Certains spécialistes du droit pensent que cet état de fait donne aux magistrats une (trop) forte influence sur le jury...
En Angleterre, on demande au jury de condamner l’accusé au vu des preuves, et s’ils n’ont pas le moindre doute sur sa culpabilité. En France, au cours des procès d’assises, on demande aux jurés de faire appel à leur « intime conviction » quant à la culpabilité de l’accusé.
Et cette intime conviction n’a pas besoin de preuves : le serment des jurés, tel qu’il est défini par l’Article 304 du Code de procédure pénale, ne mentionne à aucun moment les preuves matérielles. Autrement dit, en France, on peut condamner sur un simple faisceau de présomptions.
À l’issue des délibérations, en Angleterre, la culpabilité n’est établie que si le jury la vote à l’unanimité, ou si l’unanimité n’est pas atteinte, par 10 voix sur 12 au moins. En France, il faut huit voix sur douze (les deux tiers) pour condamner un accusé.
Jusqu’en 2002, il n’y avait pas d’appel possible à une condamnation en assises. [2] Depuis la réforme de la cour d’assises, il est possible de faire appel, et lors de ce second procès, les jurés sont douze, et il faut au moins dix voix sur 15, (toujours les deux tiers) pour que l’accusé soit condamné.
Bon, j’espère que vous m’avez suivi, mais vous pouvez relire tout ça à tête reposée en téléchargeant la chronique sur la page d’Odyssée.
Demain, je vous parlerai des juges...Lire la chronique sur les magistrats
Pour en savoir plus sur le fonctionnement de la cour d’assises en France :
http://www.adminet.com/code/index-CPROCPEL.htmlSur les cours d’assises en Europe :
http://www.senat.fr/lc/lc13/lc13.htmlet en Angleterre :
http://www.senat.fr/lc/lc13/lc132.html#toc20P.S.
Lire la chronique sur les catégories de magistrats
Lire la chronique sur les condamnations prononcées contre les magistrats
Lire la chronique sur les erreurs judiciaires
[1] Qui n’a, malheureusement, pas été diffusée sur une chaîne hertzienne... Une autre série intitulée The Jury, et produite par le cinéaste Barry Levinson et le scénariste Tom Fontana, sera diffusée prochainement sur Série Club. Elle mérite amplement d’être vue.
[2] Ce qui, concrètement, signifie que si la loi n’avait pas instauré l’appel après un procès d’assises, les condamnés d’Outreau seraient toujours en prison et n’auraient pas pu être acquittés ces jours-ci...
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