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Comment reconnaît-on la violence et la pornographie ?
29 octobre 2002

23 septembre 2004

Au début de l’été 2002, le ministre de la culture et de la communication [1] a confié à Blandine Kriegel, professeur de philosophie politique, la présidence d’une une commission dont la mission était d’étudier : « l’impact de la violence et de la pornographie à la télévision sur le public et les jeunes ». On est content d’apprendre que les jeunes, c’est pas du public et que le public, c’est pas jeune



En août 2002 Mme Kriegel déclarait à peu près au Monde : Le problème est assez simple, c’est celui du conflit d’intérêt entre, d’un côté, les chaînes et de l’autre, les associations de familles qui dénoncent les spectacles violents et pornographiques à la télévision.

Mais qui fait donc partie de la commission Kriegel ? Rien moins que trente-huit experts, dont quatre médecins (un pédiatre, un pédopsychiatre, un psychanalyste et - on se demande pourquoi - une gynécologue), six journalistes de la presse écrite (dont deux du Figaro), cinq hauts fonctionnaires ou assimilés, trois journalistes de l’audiovisuel, trois magistrats, trois avocats, trois éditeurs, et une comédienne sans autre compétence que celle d’interpréter Julie Lescaut (et je dis compétence sans trop séparer les syllabes, parce que je suis poli).

En revanche, la commission Kriegel comprend un (et un seul), auteur d’oeuvres audiovisuelles - en l’occurrence Maurice Frydland, réalisateur, honnête homme et président du groupe de professionnels 25 Images - aucun représentant des associations de téléspectateurs et aucun « jeune » ! C’est bizarre. La violence et la pornographie télévisuelles seraient donc beaucoup trop éprouvantes pour que les professionnels qui produisent les images, les familles courroucées et les jeunes victimes soient les bienvenus dans cette commission.

Qu’est-ce qu’elle fait donc, cette commission ? C’est très mystérieux mais sa première réunion a démarré par le visionnage d’un montage de scènes violentes enregistrées à la télévision pendant une semaine-type, et choisies par une sociologue des médias. Qu’y avait-il dans cette cassette qui puisse faire frémir d’horreur les membres de la commission ? On ne sait pas. Mais c’était tellement violent qu’ils en sont restés sans voix. C’est étrange. Il paraît qu’ils ont mal supporté les extraits d’Highlander, vous savez, la série de M6. Pourtant - je la regarde régulièrement - il n’y a pourtant pas de quoi en perdre la tête.

Qui auditionne-t-elle, cette commission ? Eh bien, surtout des gens comme elle : des médecins, des magistrats, des directeurs de chaînes et bien sûr le président du CSA, Dominique Baudis, qui ne rate jamais l’occasion de dire qu’il veut interdire les films pornos, chaque fois qu’il entre ou qu’il sort de quelque part - du CSA, des commissions, des cocktails... C’est singulier.
L’association de téléspectateurs Les pieds dans le PAF a obtenu à grand-peine d’être auditionnée par la commission mais vraiment en insistant beaucoup.

Moi aussi, j’aimerais bien être auditionné : j’ai des choses à lui dire, à la commission. Par exemple, je pourrais lui dire qu’hier soir (28 octobre 2002), tous les quart d’heure sur LCI, j’ai vu des cadavres de Tchétchènes déchiquetés et des corps de victimes des gaz - ça s’appelle des informations.
Sur TV5, j’ai vu un type tromper sa femme avec sa voisine, et j’ai vu les deux amants se suicider ensemble en pleine partie de jambes en l’air - ça s’appelle La femme d’à côté, de François Truffaut.
Sur Eurosport, j’ai vu deux types se taper sur la gueule, et ils saignaient. Ça s’appelle un match de boxe.
Et sur toutes les chaînes ou presque, j’ai vu des femmes se foutre à poil et des hommes les reluquer. Ça s’appelle de la pub.

Alors, j’aimerais bien leur demander à tous ces messieurs-dames de jeter un coup d’œil au petit écran et de me dire où, exactement, en toute sincérité, ils voient de la violence et de la pornographie à la télévision ? Mais peine perdue : les membres de la commission Kriegel sont si choqués qu’ils s’interdisent de regarder la télévision. Vous comprenez, ça pourrait les faire réfléchir. Et ça, ce serait vraiment beaucoup trop violent  !

P.S.

Pour information, voici la composition de la commission Kriegel :
 Jean Bauberot, Président de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
 Muriel Beyer Directrice Littéraire aux Editions Plon
 Jacques Billard,Professeur de philosophie à Paris I
 Sophie Body-Gendrot, Professeur en Sciences politiques
 Jean-François Burgelin, Procureur général près de la Cour de Cassation
 Danièle Burguburu, Conseiller d’Etat
 Monique Canto-Sperber, Directrice de Recherches au CNRS
 Hervé Chabalier, Président Directeur Général de l’Agence CAPA
 Arlette Chabot, Journaliste à France Télévisions
 Alain Chastagnol, Directeur aux Editions Hachette
 Christine Clerc, Journaliste au Figaro
 Julien Cohen-Solal, Pédiatre
 Noël Copin Président de Reporters sans Frontières, Journaliste
 Marielle David, Pédopsychiatre
 Jean-Baptiste De Foucault, Commissariat général au Plan
 Anne De Kervasdoué, Gynécologue
 Marie-Christine De Percin, Avocate
 Véziane De Vézins, Journaliste au Figaro
 Sylvie Delassus, Directrice aux Editions Robert Laffont
 Carole Desbarats, Directrice de la FEMIS
 Chantal Didier, Journaliste à l’Est Républicain
 Hélène Fatou, Membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
 Divina Frau-Meigs, Professeur de Sociologie à l’Université d’Orléans
 Maurice Frydland, Président du Groupe 25 images
 Véronique Genest, Comédienne
 Ariel Goldmann, Avocat
 Jean-Claude Guillebau, Journaliste au Nouvel Observateur
 Jacky Guindet, Documentaliste à la Documentation Française
 Jean-Yves Monfort, Président de la 1ère Chambre d’instruction - Cour d’appel de Versailles
 Olivier Mongin, Directeur de la Revue Esprit
 Marie-Hélène Mouneyrat, Secrétaire générale du Comité consultatif national d’éthique
 Dominique Ottavi, Professeur de psychologie (Paris VIII)
 Jean-François Rabilloud, Journaliste à L C I
 Martine Ract-Madoux, Présidente de la 9ème chambre correctionnelle - Cour d’appel de Versailles
 Sébastien Roché, Directeur de Recherches au CNRS
 Jacques Sédat, Psychanalyste
 Pierre-Luc Seguillon, Journaliste à L C I
 Daniel Soulez-Lariviere, Avocat

Lire aussi : http://www.lemonde.fr/article/0,598...

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[1C’était à l’époque Jean-Jacques Aillagon.




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