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Santé, activité physique et qualité de vie
par Jean Robin et Martin Winckler

1er août 2004

Après avoir lu l’article Le sport est-il bon pour la santé, Jean Robin m’a adressé le courrier suivant. L’échange qui a suivi mérite d’être partagé avec tous les lecteurs du site. Merci à Jean Robin pour cette contribution.
MW

J’ai lu avec intérêt la controverse "Le sport est-il bon pour la santé", et il me paraît intéressant de vous transmettre les informations suivantes (voir fin du mail), le ton péremptoire que vous employez à ce sujet me paraissant non provocateur mais tout simplement erroné :

Je vous cite : "Est-ce qu’on est pour autant " en meilleure santé " du seul fait qu’on fait du sport ? Je le répète (et c’est à vous de me prouver le contraire), personne ne l’a jamais démontré, et c’est pas demain la veille, ..."

Puisque vous dites aussi : j’aimerais bien connaître les sources scientifiques qui vous permettent pareille affirmation , voici des sources :




Le manque d’activité physique plus mortel que la cigarette, selon une étude

Ne pas avoir d’activité physique est plus dangereux pour la santé que fumer, affirment les auteurs d’une étude réalisée à Hong Kong, selon laquelle le nombre de morts par manque d’exercice a dépassé en 1998 dans le territoire le nombre de victimes de la cigarette.En 1998, sur 24.079 décès de Hongkongais de plus de 35 ans, plus de 6.400 étaient dus au manque d’exercice, contre 5.700 causés par le tabac, selon les conclusions de l’étude publiées samedi par le South China Morning Post.

Les chercheurs de l’Université de Hong Kong et du ministère de la Santé ont interrogé les proches des disparus sur leur mode de vie, notamment sur les activités physiques qu’ils avaient pratiquées pendant leur temps libre sur les 10 années précédant leur mort. "Nous avons calculé qu’environ 20% des décès de Hongkongais, âgés de 35 ans et plus, pouvaient être attribués à un manque d’activité physique.

Cela représente 6.450 morts", a expliqué Lam Tai-hing, responsable du département de la santé publique à l’université, cité par le quotidien. "Les morts dues à l’inactivité physique dépassent celles dues à la cigarette : 5.270 en 1998", a-t-il ajouté. D’après l’étude, seul environ un tiers des personnes décédées en 1998 avaient pratiqué une activité physique au moins une fois dans le mois précédant leur mort. M. Lam a donc mis en garde les non fumeurs, qui se croient en meilleure santé que les fumeurs : "C’est bien de ne pas fumer. Mais si vous ne faites pas d’exercice, vous courez quand même de grands risques".
AFP http://fr.news.yahoo.com/040724/202... " >

J.R.

Réponse de Martin Winckler :

En recherche médicale il y a deux types d’études.

- Les études prospectives qui consistent à suivre des populations en bonne santé, en les comparant à un groupe témoin, pendant des années, pour voir si elles sont différentes des autres. Par exemple, les Anglais ont suivi pendant des années les femmes qui prenaient une pilule contraceptive et des femmes qui ne la prenaient pas, réparties en deux groupes similaires pour l’âge, le milieu socio-économique, etc. C’est une procédure très lourde, mais qui fut la seule à pouvoir démontrer qu’il n’y a pratiquement pas de différence entre les deux groupes, vingt ans plus tard, quant au nombre de cancers du sein. En revanche, la même étude a observé (sans expliquer pourquoi) que les cancers du sein qui apparaissent chez les utilisatrices de pilule sont moins avancés que dans l’autre groupe. On s’est bien gardé de dire que la pilule " protège " contre le cancer du sein. Mais au moins, on sait qu’elle ne les provoque pas. Là, on est dans la démonstration.

- Les études rétrospectives - celle que vous me communiquez en fait partie - consistent à étudier après coup la survenue d’un événement précis et à essayer d’y rattacher des causes. Dans le texte que vous citez, on sait très peu de chose sur l’événement : un décès par infarctus, un décès par diabète, un décès par suicide, ne sont pas identiques. Quant à l’activité physique " au moins une fois dans le mois précédent leur mort " dont il est question ici, de quoi s’agit-il ? Ce n’est pas dit.

Et est-ce qu’interroger la famille des défunts c’est aussi précis et fiable qu’interroger la personne elle-même ? Pensez-vous que votre femme, vos enfants, votre mère savent mieux que vous ce que vous faites dans le mois ? Ne savez-vous pas que lorsqu’on est en deuil, on cherche à trouver un sens à la disparition d’un proche, une explication ? C’est ce qu’on appelle un "biais d’interprétation".

Vous comprenez ainsi qu’une enquête rétrospective n’a pas du tout la même valeur sur le plan prédictif, ni même statistique (observez, encore une fois, l’emploi du conditionnel dans le texte...) qu’une enquête prospective. La seule "preuve" que le "manque d’exercice" (par rapport à quoi, d’ailleurs ? Comment mesurez-vous l’exercice physique "normal" ???) est nocif consisterait à suivre pendant 10 à 20 ans deux groupes d’individus, l’un qui fait de l’exercice (toujours le même pour que ce soit comparable) et l’autre qui n’en fait jamais (mais qui a, par ailleurs, les mêmes activités que l’autre groupe) et de regarder, à la fin de l’étude, s’il y a une différence dans le nombre de décès... et seulement de décès ayant pu être influencés par l’exercice physique... ce qui est encore une autre paire de manches.

Quand on aura fait ça, on pourra peut-être affirmer que l’exercice physique ou le sport sont bons pour la santé. En attendant, je le répète, il y a bien trop d’autres facteurs qui influent sur la santé pour faire de l"exercice physique (ou du sport) un dogme à imposer à tout le monde. Quand les enfants descendaient dans la mine à partir de 5 ou 6 ans, on peut dire qu’ils faisaient de l’exercice. Est-ce qu’ils vivaient centenaires ? Non. Et je n’ai jamais entendu dire que les esclaves vivaient plus vieux que leur maîtres.

Ni même que les sportifs vivaient plus longtemps (au contraire, le sport à outrance délabre, et ça, en revanche, ça a été très bien étudié...) De plus, comparer l’exercice chez les fumeurs et chez les non-fumeurs est ce qu’on appelle un "biais de sélection". Les fumeurs qui font du sport (oui, il y en a) vivent-ils plus vieux que les fumeurs qui n’en font pas ? Certains oui, d’autres non...


Réponse de Jean Robin

Ce que je vois, moi, petit citoyen inexpérimenté et naïf, c’est qu’un médecin demande qu’on lui apporte des preuves scientifiques, qu’on lui enapporte, et qu’il continue à les nier... Mais est-il scientifique lui-même ? Dès lors, comment peut-il réfuter des preuves scientifiques apportées par des scientifiques ?
De plus, à ce petit jeu-là on peut tout réfuter, y compris que le tabac tue, en effet il existe de nombreux autres facteurs aggravant, qui viennent généralement s’ajouter aux fumeurs, qui, on le sait, boivent plus, et fontplus d’excès que les autres. Peut-on pour autant conclure que le tabac ne tue pas, et que ce n’est pas prouvé ?
Selon moi, pour être totalement honnête et permettre à vos lecteurs de se faire leur propre opinion, cette étude scientifique de Hong-Kong devrait être publiée sur votre site, éventuellement commentée par vous-mêmes, qu’endites-vous ?

J.R.

Cher Jean Robin
Je ne suis pas quelqu’un qui fait tourner le monde avec des diktats, et vous le savez bien. Quand on me pose des questions simples, j’essaie de donner des réponses simples qui sont des opinions forgées sur ce que je sais. Ca n’engage que moi, et je ne sais pas tout. C’est une opinion, pas un oracle.

Personne n’est obligé de me croire, pas plus aujourd’hui sur mon site que lorsque je causais dans le poste à France Inter. Et même moins, en fait... puisque mon " audience " est bien moindre. Alors ne confondez pas " péremptoire " avec " personnel ". J’ai toujours exprimé ce que je pensais. Et ceux qui me lisent sont toujours libres de me croire ou non : la meilleure preuve, c’est que je n’ai toujours pas de secte... Merci donc de prendre ce que j’écris ici comme des opinions, pas comme un oracle, et de ne pas me faire un mauvais procès.

Mais pour reprendre l’exemple que vous me donnez, tout ce que je peux vous dire - pour essayer de vous faire comprendre que la "preuve" que vous avancez n’en est pas une, c’est qu’on a démontré que le tabac tue, mais qu’on ne peut pas démontrer que l’ absence de sport est "mauvais pour la santé".

Comment ? C’est simple à comprendre : fumer est quelque chose d’actif, dont on peut mesurer la toxicité (ce que contient les cigarettes) et les effets (en comparant des poumons sains, des artères saines, à des poumons de fumeur, des artères de fumeur). Tandis qu’on n’a pas et on ne peut pas en l’état actuel des choses comparer des gens qui ont une activité physique suffisante à des gens qui ont une activité physique insuffisante, tout simplemement parce que ça ne se mesure pas. Autrement dit : pour être scientifique il faut bien définir précisément les facteurs de risques : fumer et ne pas fumer sont des activité très faciles à définir ; "Faire assez de sport" et "ne pas faire assez de sport" ne le sont pas.

Il faut aussi définir l’événement qu’on cherche à éviter : un "infarctus du myocarde" (pour étudier les effets nocifs du tabac), c’est un événement médicalement très précis ; un "décès" ou "une moins bonne santé" (pour étudier les effets nocifs de l’ "insuffisance d’activité physique"), ça ne l’est pas.

Aucune étude scientifique n’est sérieuse si elle ne définit pas très précisément les deux éléments étudiés ( la cause, l’effet) AVANT d’examiner si l’une et l’autre sont indiscutablement liées. Pour le tabac et l’infarctus, ça a pris 40 ans, mais c’est fait. Pour le "sport" (ou l’activité physique) et la "santé", ça ne sera pas fait de sitôt, parce que ce sont des notions beaucoup plus floues...

Entre vous et moi, par exemple, pouvez-vous différencier objectivement nos activités physiques quotidiennes ? Non. parce qu’en plus, pour chacun de nous elles varient d’un jour, d’une semaine, d’une année à l’autre. Et pouvez vous mesurer leur impact sur notre santé ? Non plus. Pourquoi ? Parce que L’ACTIVITE PHYSIQUE FAIT PARTIE DE LA VIE : on marche, on court, on monte et on descend des escaliers tous les jours, on fait un boulot plus ou moins "physique". Rester debout toute la journée, c’est une activité très physique, même si ça consiste à vendre des légumes sur un marché ou à faire le planton devant un ministère. Faire le ménage est une activité physique que plus de femmes que d’hommes pratiquent ; les femmes vivent plus longtemps que les hommes ; doit-on en conclure que faire le ménage permet de vivre plus longtemps ?

Le sport est une activité physique en plus de celle que nous avons chaque jour du fait de notre vie et de notre activité professionnelle, mais personnellement j’aime le bowling et la natation, pas la course de fond ou l’aerobic. Est-ce moins "physique" ? Qui peut le dire ? Est-ce qu’un sport violent comme le squash est meilleur que le bowling ? Il semble qu’on voie plus de gens mourir brusquement en faisant du squash qu’en faisant du bowling... Mais je n’interdirai jamais à personne de faire du squash, si ça lui fait plaisir. Parce que le plaisir, ça compte. Et le bowling, la natation, je n’en fais pas toutes les semaines. Est-ce "mauvais pour moi" ? Je ne sais pas. Et personne ne peut l’affirmer.

Il est aujourd’hui impossible d’apprécier quelle quantité exacte d’activité physique (de sport, de marches d’escalier, d’heures passées debout) est "bonne" pour la santé et laquelle ne l’est pas, exactement comme il est impossible de savoir combien de relations sexuelles par semaine (pour un homme ou pour une femme) sont "bonnes pour la santé" et combien (en trop ou en trop peu) ne le sont pas. Et c’est heureux !

Si on nous démontrait un jour que la bonne fréquence est de 1 rapport sexuel avec éjaculation 1 jour sur 2 pour les hommes (pour "nettoyer la prostate") mais 1 fois par semaine seulement pour les femmes (pour que le col ne soit pas trop agressé par le sperme), vous voyez le souk ? Vous croyez vraiment que ça changera le comportement des gens ? Non. Et c’est tant mieux. On ne peut pas tout régimenter sous prétexte de " vivre plus longtemps " (alors que cet allongement de la vie se mesure seulement en mois...)

Quand on parle de maladie grave, tout le monde est d’accord pour dire que la qualité de la vie, c’est au moins aussi important que la durée de vie, alors je ne vois pas pourquoi ce que nous affirmons pour les personnes malades ne serait pas vrai aussi pour ceux qui ne le sont pas. Si le sport améliore la qualité de vie de celui qui en fait, c’est bien. Si l’obligation de faire du sport pourrit la vie de certaines personnes, je pense préférable qu’elles n’en fassent pas.

Pendant des décennies - dans les années 40 à 70 - il a été interdit aux hommes ayant fait un infarctus de reprendre leur activité sexuelle ensuite. C’était "dangereux", d’après les médecins ; ça n’avait bien sûr jamais été démontré... Ceux qu’on avait terrorisés (ou dont les femmes avaient été terrorisées) ont-ils vécu plus longtemps ? Ce n’est pas sûr. Or, depuis vingt ans, on ne dit plus ça. On dit même le contraire : l’activité sexuelle est bonne pour le cardiaque qui a envie d’en avoir une car elle est bonne pour son équilibre psychologique... C’est ce que je disais déjà, moi, à mes patients cardiaques dans les années 70 alors que je n’étais qu’ interne. Intuitivement, cela me paraissait bien plus sensé, et bien plus "soignant" que de le leur interdire. En le disant, à de nombreuses reprises, j’ai ainsi levé la culpabilité d’hommes et de femmes qui ne pouvaient pas s’empêcher de continuer à s’aimer... mais se sentaient menacés de mort (lui) ou potentiellement responsables de mort (elle)...

J’étais à contre-courant, à l’époque, mais il me paraissait évident que je n’étais pas là pour leur pourrir la vie, mais pour les aider à la vivre le mieux possible. Ai-je eu tort ? Personne à ce jour ne m’a reproché d"avoir "raccourci" la vie de quelqu’un en la lui facilitant, en la lui rendant plus douce...

Vous voyez, dans mon appréciation des choses, il y a un élément anti-scientifique que je ne sacrifierai jamais : c’est le plaisir. Je serai toujours du côté du plaisir, contre les diktats scientifiques, même s’ils sont démontrés. Celui du "sport bon pour la santé" (de qui ?) ne l’est pas. Si ça fait plaisir à quelqu’un de faire du sport, qu’il en fasse. Si ça fait plutôt plaisir à quelqu’un d’autre de faire du hamac, ça ne me gêne nullement, tout médecin que je suis.

J’espère que je me fais bien comprendre. Ma défiance à l’égard de ce qui concerne "le sport" ou l’activité physique n’est pas le moins du monde du mépris pour vous ou pour la "preuve" que vous apportez c’est tout simplement une question de bon sens, un bon sens qui n’est malheureusement pas toujours présent, même chez les scientifiques - ce qui permet à certains scientifiques d’être, eux, du côté des diktats.

Encore une fois, je suis opposé au terrorisme médical. Même quand il s’agit du tabac et de l’obésité (qui est, elle, parfaitement mesurable avec un mètre et une balance, et dont les effets nocifs sont parfaitement connus) je me refuse à être terroriste ou autoritaire avec les gens qui fument et ceux qui sont obèses : s’ils veulent arrêter de fumer ou maigrir, je les aide et je les soutiens, mais je ne me comporte pas comme un gardien de prison. S’ils ne me demandent rien, je ne les harcèle jamais. C’est leur vie, pas la mienne. Alors je ne vais pas contribuer, sur mon site, à véhiculer des notions qui n’ont jamais été démontrées et qui ne peuvent pas l’être à moins de régimenter entièrement la vie des gens. J’écris sur mon site comme je parle en consultation avec les gens qui se confient à moi. Par cohérence, par loyauté.

Mais encore une fois, tout ceci n’est qu’une position personnelle. On démontrera peut-être un jour qu’une activité sportive strictement codifiée et très précise améliore la santé ; aujourd’hui, ce n’est pas le cas, et pour en avoir.... le coeur net (!) je vous incite à approfondir vos recherches à la source - dans les revues médicales, non dans les dépêches de l’AFP - et non à me croire sur parole. Les sites médicaux québecois sont, à cet égard, très lisibles.

MW

P.S.

Lire la réaction d’Agnès à cet article




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