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Le médecin chroniqueur a été remercié par France Inter.
Winckler muselé par les labos ?
Isabelle Roberts, Libération du 22 juillet 2003

1er août 2003

Le puissant lobby de l’industrie pharmaceutique a-t-il obtenu la tête de Martin Winckler, chroniqueur à France Inter ?



Depuis septembre 2002 et jusqu’au 4 juillet, tous les matins, l’écrivain et médecin (1) assurait une chronique « scientifique au sens large du terme », comme il la décrit, intitulée Odyssée. Au menu : des sujets aussi variés que le ronronnement du chat, le fonctionnement du cerveau ou les médicaments génériques.

Le 27 juin, Jean-Luc Hees, directeur de France Inter, appelle Martin Winckler au Mans, où il vit et d’où il fait sa chronique quotidienne en direct, et lui annonce qu’il n’est pas reconduit à la rentrée. « Il m’a dit qu’il n’avait pas besoin de chronique médicale, ayant déjà des gens pour ça au sein de la rédaction de France Inter », raconte Winckler. Selon l’écrivain, sa chronique doit se poursuivre jusqu’au 11 juillet, mais le 4 on lui annonce par lettre recommandée qu’il vient de faire sa dernière prestation. « C’est une censure de dernière minute, fulmine Winckler, alors que jusqu’ici j’avais toujours eu une liberté totale ! » Que s’est-il passé ? « Je l’ai compris le 11 juillet », explique l’écrivain. Ce jour-là, à 7 h 50, en lieu et place de la chronique de Winckler, un droit de réponse du Leem. Le Leem ? Un organisme qui représente l’ensemble des entreprises du médicament, soit les plus gros laboratoires pharmaceutiques.

Spots de pub. Le droit de réponse concerne la chronique du 15 mai 2003 intitulée : « Pourquoi entend-on sans arrêt des spots de l’industrie pharmaceutique en ce moment ? » Winckler y fustigeait le LEEM et ses campagnes de pub qui « ne sont qu’une façade. Pourquoi ? Parce que depuis une vingtaine d’années l’industrie ne découvre pratiquement plus aucun médicament majeur ». Se basant sur un ouvrage de Philippe Pignarre, Winckler poursuivait en expliquant comment les laboratoires, pour compenser, truquaient les résultats cliniques, effectuaient des tests au rabais dans le tiers-monde, corrompaient la communauté médicale ou encore inventaient des maladies de toutes pièces...

Petit détail : la campagne de pub vilipendée par l’écrivain était diffusée du 12 mai au 21 juin sur Radio Classique, France Info et... France Inter. Radio France, qui n’est pas autorisée par la loi à diffuser des pubs de marques mais seulement des réclames collectives ou d’intérêt général, pouvait-elle se permettre de mécontenter un tel annonceur ? De là à penser que le LEEM, courroucé, aurait pu menacer Radio France de représailles, il n’y a qu’un pas que Winckler franchit allègrement : « Dix minutes avant ma chronique et dix minutes après, les spots du LEEM passaient, explique-t-il, j’étais donc certainement en porte-à-faux. » D’autant que ce n’est pas la première fois que l’écrivain attaque les laboratoires pharmaceutiques. En avril déjà, il a signé une chronique fustigeant une campagne contre le cholestérol parrainée par Pfizer et en janvier il a sorti un polar qui critique l’industrie du médicament. Pour Winckler, l’affaire est entendue : « Avec ce droit de réponse, le LEEM a signé la cause de mon licenciement. »

« Petit médecin mégalomane ». France Inter a-t-elle subi des pressions du LEEM pour interrompre la chronique de Winckler ? « Je n’accepte pas qu’un petit médecin mégalomane insinue des choses pareilles, tonne Jean-Luc Hees. J’ai 52 ans, je dirige cette antenne depuis cinq ans et, sur mon honneur, je vous jure que je n’ai pas subi de pressions ! » Pourquoi licencier Winckler alors ? « Une chronique, il faut que ce soit bon neuf fois sur dix et pas une fois sur deux. » Il aura tout de même fallu près de dix mois à Hees pour s’en apercevoir... Il dit avoir pris sa décision lors de la guerre en Irak, quand la chronique de Winckler a été interrompue pendant plusieurs jours : « Il a piraté le site Internet de France Inter pour écrire des choses du genre : "Comment ? Ma chronique est supprimée ? Il n’y a pas que la guerre dans la vie..." Depuis cette époque il y avait un loup dans la bergerie », conclut Hees. Qui ne décolère pas : « En plus pour la première fois de ma vie, j’ai dû manger un droit de réponse ! Normalement, je les refuse tous : je vais systématiquement au procès, mais là notre service juridique m’a dit que ce n’était pas plaidable, qu’on était dans la diffamation. »

Contrairement à la presse, où un journal est quasi systématiquement obligé de passer un droit de réponse, à la radio et à la télé les règles sont beaucoup plus strictes. Pour éviter que les antennes soient envahies par des droits de réponse, il faut que le passage incriminé soit proche de la diffamation, « susceptible de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation », dit la loi.

« Liberté d’expression ». Pour Blandine Fauran, directrice des affaires juridiques du LEEM, c’était bien le cas de la chronique de Winckler du 15 mai : « Elle contenait des affirmations attentatoires à l’honneur et à la réputation du LEEM, nous avons donc demandé un droit de réponse qui devait être diffusé dans un espace similaire à celui de la chronique de départ. ça s’est passé très simplement, car notre droit de réponse n’a pas été contesté. » Un peu trop simplement ? Bien sûr, Blandine Fauran nie toute pression ou tout chantage au retrait de la pub exercé sur France Inter : « Ce n’est clairement pas le cas, nous sommes respectueux de la liberté d’expression, de toute façon quand nous avons décidé de diffuser cette campagne sur France Inter, nous savions que Martin Winckler faisait cette chronique. » Pourquoi attaquer la chronique de Winckler et pas le livre de Pignarre dont il s’est inspiré ? « C’est la liberté d’expression de Philippe Pignarre, son point de vue d’auteur, répond Blandine Fauran, et puis les termes utilisés par Winckler étaient à la fois plus forts et plus flous que ceux de Pignarre. »

Le LEEM respectera-t-il de la même façon la « liberté d’expression » de Martin Winckler quand sortira à l’automne un recueil de ses chroniques ? Une chose est sûre, France Inter n’y apposera pas son logo et n’en fera pas la promotion, comme elle en a l’habitude avec les livres de ses collaborateurs. Amère pilule.

P.S.

(1) Prix du livre Inter en 1998, pour la Maladie de Sachs...




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