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Hommage
Les boutons de Bruno et l’appendicite d’Emmanuel
par Bruno S.

4 avril 2004

Apprenant la disparition de Robert Merle, Bruno S. m’a envoyé ce beau texte, dont je le remercie.
MW.




A l’âge de 6 ans, quand je me suis aperçu que ma vocation médicale était sincère mais qu’il fallait en persuader mon entourage, j’ai entrepris la réalisation d’un classeur de maladies. Je ne soupçonnais pas l’existence de livres de sémiologie tel le " Mathé et Richet ", qui me sert maintenant à caler un synthétiseur dans ma salle de musique, le " Harrison " ou le " Godeau ", aujourd’hui encore indispensable à mon exercice.

C’était un classeur de petit format, de couleur bleu roi, dans lequel j’ai inséré une feuille simple perforée où j’avais dessiné un corps humain couvert d’une éruption généralisée, de couleur rouge, maintenant je dis érythémateuse, de laquelle partait une flèche arrivant à une légende où j’avais écrit " bouton ", terme des plus irritants pour un dermatologue.

Ma tentative nosologique s’est arrêtée là et pendant la dizaine d’années qui a suivi, mes parents n’ont cessé de me demander " alors tu es certain que tu veux faire médecine ? Les études sont longues et le concours de premières année est vraiment difficile... " l’opinion générale était unanime, un " pion " de mon lycée de proche banlieue parisienne m’a même dit " Essaie en province, à Tours par exemple, ça a l’air plus facile... " Tant et tant que j’ai fini moi aussi par douter.

En 1975, en fouinant dans la bibliothèque de mes parents, un dimanche, je suis tombé sur Malevil, roman de Robert Merle publié en 1972 qui décrit le retour à la vie d’une petite communauté de survivants après une catastrophe, probablement nucléaire.

Sa reconstruction, sa réorganisation, ses problèmes, les rapports humains y sont magnifiquement décrits. Le livre m’a tenu en haleine et depuis mes quinze ans, je l’ai relu régulièrement. Je ne le range pas dans la bibliothèque, mais sur ma table de nuit avec Sachs, Moon Palace de Paul Auster, High Fidelity de NicK Hornby et un Benacquista (on ne sait jamais, je pourrais avoir une urgence littéraire...).

J’oubliais : Un jour, le héros de Malevil, Emmanuel, grand personnage charismatique qui réussit à faire vivre tout son monde dans cette ambiance post-catastrophe, ressent de violentes douleurs abdominales, localisées en fosse iliaque droite. Le diagnostic d’appendicite aiguë ne pose de problème à personne dans le livre mais Emmanuel meurt en quelques jours, faute de soins adaptés : une intervention chirurgicale dont on m’a toujours dit qu’un étudiant un peu sérieux pouvait la faire en dix minutes !!!

Je fus alors certain que c’était bien ce métier de soignant que je voulais faire, être utile même lorsqu’il n’y a plus rien...
Il m’est même arrivé d’écouter avec un certain amusement mes copains de classe parler de leur carrière de "contrôleur de gestion", de leur "sup" de leur "spé" - qu’ils me pardonnent, ici et trente ans après,l’étincelle ironique de mon regard...

(c) Bruno S., 2004




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