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Fiction
Dernier jour de classe
par Julien S., classe de CM2 a...

16 janvier 2004

Ce matin, en entrant, dans la classe, j’avais le coeur léger : ce soir, c’est les vacances. J’accroche mon cartable au crochet de ma table, je soulève ma chaise à deux mains - comme le maître le répète toujours ! - et je m’assieds.




Il est debout, devant le tableau, il attend que le dernier s’asseye. " Bonjour " dit-il. " Bonjour " répondons-nous en choeur. Je lève le nez vers le tableau pour regarder le programme du jour. Que nous a-t-il réservé aujourd’hui ? Allons nous encore travailler ? Pour le dernier jour de classe ? Eh oui !

Programme matinal :
1. Calcul mental. En ce moment, ce sont les doubles, les moitiés, les quarts. J’aime bien. Et là, je devais préparer une série de dix nombres à dicter à la classe. J’ai un peu le trac, mais j’avais envie de le faire.
2. Dictée de mots. Je préfère ça à " la dictée tout court " qui est beaucoup plus longue, et surtout beaucoup plus difficile.
3. Lecture. Ça aussi, j’aime bien. C’est l’histoire de Bakou qui dit " non " à sa mère. C’est plutôt marrant. Heureusement, la mienne est nettement plus cool.

Pour l’après-midi, c’est :
1.Film. Ah oui ! Aujourd’hui, c’est le dernier jour de classe avant les vacances alors tous les profs utilisent leur télé. Film pour tout le monde ! Le nôtre, il l’utilise plus souvent parce qu’on fait un projet cinéma. Parfois il nous montre des films ou des extraits de films, comme La nuit américaine de Truffaut. J’ai trouvé ça super, surtout la scène du petit chat qui refuse d’aller boire le lait bien qu’il n’ait pas mangé depuis longtemps. C’est le chat du gardien du studio qui réussit la scène... Il faut qu’on connaisse tout sur les métiers du cinéma pour le spectacle de fin d’année qu’on est en train d’écrire. Alors c’est cinéma à toutes les sauces : dictée, lecture, grammaire ... il ne va sans doute pas tarder à nous sortir un problème sur le cinéma. Et aujourd’hui ? Quel film ? Mystère. J’irai lui demander tout à l’heure. Il me répondra sûrement : " Tu verras bien. " Il répond toujours ça. Mais j’irai quand même lui demander.

2.Conseil de classe. C’est vrai, j’avais oublié. On n’a pas réussi à élire le prochain président au premier tour. Les deux candidats sont arrivés ex-aequo à cause d’un bulletin nul. Les autres ont dit que c’est parce que j’avais écrit sur le bulletin que j’ai mis dans l’urne que Paul n’est pas passé. Moi j’y suis pour rien. J’avais pas vu qu’il était déjà imprimé au recto, le bulletin. Alors j’avais écrit en gros, au verso, au crayon à papier, " PAUL ". Même après l’avoir gommé, ça se voyait encore. Le maître a dit qu’un bulletin sur lequel était écrit quelque chose n’était pas valide ...

3.Exposé sur le cinéma (quand je vous dis que c’est à toutes les sauces !). C’est moi et mon copain qui présentons un sujet que personne ne voulait prendre : la post-production. C’était un peu compliqué, mais ça m’a plu. Même papa n’en savait pas autant.

4.Et puis " Bonnes vacances ". Qu’est-ce que c’est que ça " Bonnes vacances " ? Ça ne veut rien dire. C’est pas une matière. Il est un peu drôle son programme aujourd’hui. Mais il ne me déplaît pas. Finalement, nous ne travaillerons pas trop. Et puis, il faut que je lui rappelle de nous raconter son histoire. Il avait dit hier qu’il nous raconterait une histoire qui lui est arrivée ...

Neuf heures quarante-cinq. Je me suis plutôt bien tiré du calcul mental. Ma série a bien marché. Elle était ni trop dure ni trop facile. Y’en avait pour les bons et les autres. Et après j’ai réussi celle de mon copain Adrien sans aucune erreur. Maintenant c’est la dictée de mots. Quand c’est la dictée de mots, on ne la fait pas sur une feuille. On la fait directement sur le cahier de classe et on la corrige tout de suite après. Est-ce qu’il va nous faire échanger les cahiers pour corriger celle de notre voisin ? Il faut que je fasse attention à mon écriture sinon Elise ne comprendra rien à ce que j’ai écrit. Et c’est parti. Et ça commence. Je mets un nombre et derrière j’écris le mot. Il y en aura vingt. Enfin parfois, c’est plus qu’un mot, c’est un groupe de mots, voire une phrase entière. Ça dépend de son inspiration.

"4. Martinet ". Il s’arrête. Il nous demande si on se souvient de ce que ça veut dire. Il nous prend pour des gruyères pleins de trous ? Je lève le doigt. Je me demande pourquoi je le fais, il ne m’interroge jamais. Sauf quand je ne lève pas le doigt. Et voilà, c’est encore Léa qui a la parole ... Pourtant, j’aurai pu dire que je me souvenais très bien de ce que racontait la dictée qu’il nous avait fait faire. Dans l’histoire, les enfants ne savaient pas ce que c’était, un martinet, et ils l’avaient décrit avec des lanières et des clous partout ... ils l’avaient surnommé ... Moi, moi, je sais !

Un MARTIFOUET à CLOUS ! Ah ! J’avais juste ! Tu vois que ma mémoire n’est pas pleine de trous ! Bon, d’accord j’aurai dû attendre que tu me donnes la parole et ne pas le crier à travers la classe, mais tu ne me donnes jamais ... Et je baisse la tête dans mon cahier. Je fais la moue. Je le sais que j’aurais dû attendre que tu me donnes la parole ... Mais si tu m’interrogeais plus souvent aussi, je ne serais pas obligé de m’imposer en criant le mot avant qu’un autre ne me le souffle ! Euh, mince, dans tout ça, le voilà repartit et j’ai raté un mot. Qu’est-ce que c’était ?

" Quelque fois " ?
En deux mots.
" Parmi " ?
Sans " s ".
" Certes " ?
Avec un " s ".
Je les connais, tous ses trucs ... Il en est au sept ! Tant pis, j’essaierai de les rattraper à la relecture, ses mots...

Quinze heures trente. Plus qu’une demie heure et c’est la libération. Mon exposé s’est bien passé. J’ai rien oublié de ce que je voulais dire, j’ai juste un peu regardé mes notes et ça ne se voyait pas trop que je connaissais presque tout par c ?ur. Je lui ai jeté des regards de temps en temps - pas trop parce que ça me déconcentre -, j’ai vu qu’il prenait des notes, ça devait lui plaire. Peut-être que lui aussi, il a appris des choses.

Et on a fait les élections. Et Paul a été battu. C’est Jérémie qui a été réélu. Douze voix contre huit. Ça veut dire qu’il y en a cinq qui ont voté blanc. Sans doute qu’ils ne savaient pas pour qui voter. Il faut dire que les deux sont sympas. Moi j’avais voté pour Paul, pour changer, même si je trouve que ce qu’a fait Jérémie, c’est bien. Tant pis, il passera peut-être aux prochaines élections.


Le film, j’ai bien aimé. C’était Le cirque, de Chaplin. Je l’avais déjà vu car on l’a à la maison. Mais j’aime bien le revoir. J’aime surtout au début quand il est à la fête foraine et qu’il a tellement faim qu’il mange le goûter du bébé que son père tient dans les bras. À la fin, il essuie la bouche du bébé alors que c’est lui, Charlot, qui a tout mangé !

Et maintenant, c’est " Bonnes vacances ". Comme je m’en doutais, quand je suis allé lui demander ce que ça voulait dire, il m’a répondu " Tu verras. " Peut-être qu’il ne veut pas le répéter vingt-cinq fois. Ben il n’a qu’à le dire qu’une seule fois à tout le monde, et comme ça ce sera plus facile pour lui. Va comprendre ce qui se passe dans la tête d’un prof, parfois ! Il nous dit quelque chose sans nous le dire complètement. Et lui, il est spécialiste pour ça. Et moi, ça m’énerve. Alors je vais lui demander ...

Mais le voilà qui arrive avec un gros sac poubelle. Ah oui, je sais ce qu’il y a dedans. C’est comme ça chaque année avant les vacances de Noël. Et comme maintenant je suis en CM 2, je connais le truc. C’était donc ça son " Bonnes vacances ". Mais qu’est ce qu’il fait ? Il demande à Jeanne - la plus jeune de la classe - d’aller se cacher sous la grande table du fond ? Il a grillé toutes les ampoules de sa guirlande électrique ! Ça doit être la perspective de Noël qui le met dans cet état...

Ah non ! Jeanne nous appelle un par un et nous devons, à l’aveuglette, plonger notre main dans la hotte en sac poubelle du père Noël ! J’en tire un sachet avec des chocolats et une peluche. Ah non, tiens, cette année c’est une tirelire. Oui, pourquoi pas. Mais je regarde ma voisine : elle a la même chose. Et mon voisin de devant aussi. Et celui de derrière, et ... Alors à quoi ça sert d’aller piocher au hasard dans le sac si on a tous la même chose ? Ah, les profs ...

Mais pendant qu’on déguste notre pain au raisin - ou au chocolat, suivant les goûts, mais moi je préfère au raisin - et qu’on sirote un lait chocolaté, le voilà qui s’assied et sort un gros livre blanc. " Je vais vous relire la dictée que je vous avais donné il y a quelque temps ", nous dit-il. Et le voilà parti. On n’entend plus rien dans la classe. Personne n’ose plus toucher à son sac de friandises qui ferait trop de bruit ... sauf Benoît qui n’a pas dû pouvoir résister à la tentation. Alors bien sûr, il se fait rappeler à l’ordre.

J’aime bien quand il lit. Les mots coulent, nets et clairs. Mais bientôt il s’arrête. Il a déjà fini l’extrait. Il nous regarde pour voir comment nous réagissons. Il nous donne la parole - même à moi ! Et il nous sort un vieil instrument de torture : un martinet. Un vrai. Un vieux, " De sa grand-mère ", nous dit-il. Avec un manche en bois et des lanières en cuir. Il nous dit même que s’il manque certaines lanières ce n’est pas parce qu’elles étaient trop usées mais parce que les enfants à qui elles étaient destinées les ont coupées ! Moi je dis qu’ils ont eu raison ... Il n’a pas l’air très sympathique son martinet même si sa place est plus dans un musée que dans une maison.


Mais le voilà qui repart. Il a posé le gros livre blanc et il se met à nouveau à lire. Mais il ne lit pas un livre, juste trois feuillets. Et ses mots résonnent à nouveau dans la classe. On n’entend plus rien. Même Benoît a résisté à la tentation des friandises dans le sac bruyant. Ils coulent, ils tombent et rebondissent sur le sol pour sauter sur notre table, gagner nos yeux, nos oreilles, notre cerveau. J’aime bien ses mots. Surtout qu’il nous a dit que ceux-ci, c’étaient les siens, que c’était lui qui les avait écrits, pas pour être lus par des enfants mais qu’il pensait qu’on était assez grand pour les comprendre.

En effet, je les comprends très bien. Je comprends bien qu’il nous raconte l’histoire d’un homme qui prend le métro aux heures de pointe, qu’il a le nez écrasé contre la porte vitrée, qu’il ne peut pas lire, qu’il est éjecté par une poussée humaine hors du wagon à la station suivante, mais que finalement il remonte un peu plus loin par une autre porte maintenant que le wagon s’est vidé ...

Et cet autre homme ? Qui le regarde ? Qui essaie de lire par-dessus son épaule ? Qui est-ce ? C’est lui ? L’auteur ? Ah oui, l’auteur ! L’auteur du livre blanc ... du gros livre blanc qui est posé sur son bureau ? Mais alors, il a rencontré l’auteur du livre qu’il était en train de lire ? Mais alors l’homme dont il parle dans son histoire, c’est lui ? Il a rencontré l’auteur du livre qu’il était en train de lire dans le métro. Mais c’est génial, ça !

Certains ont applaudi quand il a fini de lire son texte. Max a demandé si c’était bien vrai cette histoire, et si on ne pouvait pas lui demander de venir en classe, à l’auteur. Il nous a répondu que ça lui semblait difficile, mais que par contre, hier, il nous avait demandé de dessiner un martifouet à clous parce qu’il voudrait bien lui envoyer nos martifouets à clous par Internet, pendant les vacances. Du coup, Marie se réveille et demande s’il est encore possible de le rendre après les vacances, le dessin du martifouet à clous ... Et bien, si j’avais su que mon dessin serait envoyé à l’auteur de notre dictée, je me serais appliqué. Mais si je m’en souviens bien, il n’était pas si mal que ça mon martifouet à clous ...

C’est alors que la sonnerie a retenti. Cette fois, c’était bien les vacances. C’était vraiment " Bonnes vacances ". Et elles allaient être bonnes, puisqu’en plein milieu il y avait " Noël " et " Jour de l’an ". Et que moi, ces vacances-là, c’est celles que je préfère. Et puis il avait raison. Il était bien, son programme. Et j’ai bien aimé ses " Bonnes vacances " ... tant pis si je ne savais pas ce que ça voulait dire. C’était mieux comme ça.

" Bonnes vacances et Bon Noël, Monsieur. ", je lui ai dit, en sortant de l’école.

Julien S.
Classe de CM2 a
Année 2003/2004
(p.c.c. : Alain Bouhours)




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