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Existe-t-il un traitement pour faire "revenir les règles" ?
par Dr Marc Zaffran (Martin Winckler)24 décembre 2016
Les règles (pourquoi on en a, pourquoi elles sont - ou non - régulières, leur abondance, leur inconfort, leur durée, etc.) sont, tout naturellement, la préoccupation de bon nombre de femmes.
Pour faire le tour du sujet, j’ai publié un livre entier et consacré plusieurs articles de ce site, en particulier « Les règles : en avoir ou pas ? » Il est malheureusement épuisé, mais si vous m’écrivez, je peux vous en trouver un exemplaire.
Aujourd’hui je vais essayer de répondre à une question qui m’est souvent posée (et qu’on voit souvent posée sur les forums féminins) : « Comment faire revenir les règles ? » (sous entendu : quand on n’en a pas depuis longtemps, ou régulièrement).
Parmi toutes les questions que je reçois c’est l’une des plus fréquentes. Malheureusement, beaucoup de médecins lui donnent une réponse fausse et susceptible d’entraîner beaucoup de déconvenues. Car l’absence ou l’irrégularité des règles recouvre TOUJOURS une autre question : "Je n’ai pas des règles "normales". Est-ce que je peux (quand même) être enceinte ?"
Les choses que vous avez besoin de retenir sont celles-ci :
– le cycle menstruel n’est PAS toujours régulier chez toutes les femmes ; le rythme "normal" de 28 jours est une légende : un tiers seulement des femmes en bonne santé ont un cycle d’à peu près 28 jours. La majorité ont un cycle plus court, plus long ou... irrégulier ;
– il n’est pas nécessaire d’avoir des règles à intervalle régulier pour être fertile ; il n’est même pas nécessaire d’ovuler tous les mois ; aujourd’hui, la majorité des femmes désirant avoir un petit nombre d’enfants (entre 1 et 3...), beaucoup de femmes considérées comme « peu fertiles » (par rapport à d’autres) le sont suffisamment pour avoir les enfants qu’elles désirent SANS EXPLORATIONS NI TRAITEMENTS !
– les règles apparaissent le plus souvent quinze jours après une ovulation non fécondée, mais PAS TOUJOURS ! Il y a des femmes qui ont des règles sans ovuler, et des femmes qui ovulent sans avoir de règles au moment où elles les attendent, le tout sans être enceintes ;
– TOUT peut perturber un cycle apparemment « régulier » : une perte ou une prise de quelques kilos, un souci au travail, un décès dans la famille, la maladie d’un enfant ou d’un parent, un conflit conjugal, une saison très enneigée, etc. L’ovulation est déclenchée par une zone du cerveau très sensible aux émotions diverses et variées. Elle peut donc être bloquée et s’accompagner d’un arrêt ou d’un retard de règles plus ou moins long, sans que ça signifie une grossesse, ni que ça veuille dire qu’on est infertile !!!
Il faut cependant savoir que quand l’IMC (Indice de masse corporelle, que vous pouvez calculer ici) est inférieur à 18-20, l’ovulation peut être suspendue. C’est probablement un système de "protection" des femmes en sous-poids relatif, pour qu’une grossesse ne vienne pas les affaiblir encore (ce qui serait défavorable également au foetus).
Donc, si vous êtes en sous-poids, il peut être difficile d’être enceinte ou même d"avoir un cycle, tout simplement parce que votre corps n’est pas dans l’état propice.– à la liste qui précède, il faut évidemment ajouter la grossesse ! Après une grossesse et un accouchement (et une période variable d’allaitement, pour certaines femmes), le cycle peut être long à reprendre ou irrégulier pendant plusieurs mois. C’est fréquent. Ce n’est pas grave. C’est un phénomène physiologique destiné à protéger la femme (et l’enfant nouveau-né) contre une grossesse trop précoce, qui affaiblirait une femme dont les "réserves" ne sont pas reconstituées, et le nouveau-né. Ce n’est pas un phénomène absolu (certaines femmes peuvent être enceinte dans les mois qui suivent un accouchement), mais c’est fréquent.
– comme la grossesse, les contraceptifs hormonaux (presque tous) mettent le cycle en sommeil. Après l’arrêt d’un contraceptif pris pendant plusieurs années, le cycle peut être aussi capricieux qu’après une grossesse, car le corps a été en état de "grossesse" artificielle.
– les saignements qui apparaissent entre deux plaquettes de pilule ne sont pas des règles ; ce sont des saignements provoqués artificiellement par l’arrêt de la pilule ; elles n’ont aucune signification quant à la fertilité (ou l’infertilité) de l’utilisatrice ;
– l’absence de règles juste après plusieurs mois ou années de prise de pilule ne veut rien dire ; la prise de pilule imite l’état hormonal de la grossesse ; or, pendant une grossesse et plusieurs mois après, pour certaines femmes le cycle est irrégulier, les règles plus ou moins absentes, etc. Donc, une « infertilité » apparente pendant quelques mois après arrêt de pilule n’a aucune signification en soi.
– si vous arrêtez votre pilule pour être enceinte, ne vous attendez pas à ce qu’une grossesse « prenne » dans les quinze jours ; si ça arrive, c’est un heureux hasard ; si ça n’arrive pas, c’est parce que pour 95 % des couples, une grossesse « prend » (et « tient ») dans les DEUX ANS qui suivent ; pour vous, ça peut être au bout de 3 semaines, 3 mois ou 20 mois. Alors, PATIENCE !!!!
De tout ce qui précède découlent des notions simples : après avoir arrêté une contraception pour être enceinte il n’y a que trois choses à faire 1° continuer à vivre sa vie comme avant ; 2° laisser le temps à une grossesse de débuter et de tenir (encore une fois : si ça ne fait pas deux ans que vous essayez sans aucun résultat, ça ne veut rien dire) ; 3° garder à l’esprit qu’une grossesse ne débute que si toutes les conditions favorables sont réunies (et il en faut beaucoup) ; une grossesse ne « tient » que si l’embryon est viable ; s’il ne l’est pas, la grossesse s’interrompt avant le 3e mois ; les fausses couches spontanées avant 3 mois sont dans leur immense majorité un phénomène d’élimination naturelle d’un embryon malformé.
Revenons à la question : « Y a-t-il des médicaments pour faire revenir les règles ? »
La réponse est NON. Pourquoi ? Parce que "FAIRE REVENIR LES REGLES" c’est prendre le problèmes par l’extrêmité de l’iceberg. Si les règles sont absentes (et si le cycle est perturbé), c’est parce qu’il y a une raison. C’est sur cette raison qu’il faut se pencher et non sur le fait de "déclencher" des règles.1er cas de figure : vous avez un retard de règles et vous ne voulez pas être enceinte.
Que faire : un test de grossesse. Oui. Même si vous n’avez pas envie d’être enceinte, il faut mieux aller directement au fait.
Rien ne prouve, jusqu’à ce que vous ayez fait un test, que vous êtes enceinte. Aucun symptôme d’accompagnement n’est probant : on peut avoir des nausées, les seins sensibles et la fringale sans être enceinte. Mais de toute manière, pour prendre une décision, il faut faire un test. Et ensuite dater la grossesse, afin d’envisager, le cas échéant, une interruption de grossesse.Il ne faut pas prendre de médicament pour "faire revenir les règles". (Ni en demander à un médecin.)
Pendant longtemps, avant que l’IVG soit légalisée en France (et ailleurs) il était courant que certains médecins prescrivent un « médicament pour faire revenir les règles » - en fait pour provoquer une fausse couche ou un avortement « en douce », sans que personne ne le sache. Ces médicaments n’avaient aucun effet abortif. Ils pouvaient en revanche être toxiques pour la mère ou provoquer des malformations chez l’enfant...
En dehors des médicaments agréés, utilisés pour interrompre une grossesse (mifépristone et prostaglandine) dans les centres agréés, aucun médicament ne peut « faire revenir les règles ».
C’est dur à accepter, mais c’est précisément parce qu’il n’existait aucun médicament sans danger (« naturel ») que les femmes se sont fait avorter dans des conditions innommables pendant des centaines d’années. Aujourd’hui, les techniques d’IVG existent, elles sont sans danger pour les femmes et sans conséquence pour leur fertilité ultérieure ; mais pour rester en sécurité, il faut absolument consulter dans un centre agréé.
Les médicaments de l’IVG ne sont pas en vente libre. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont efficaces que sur des grossesses très jeunes (moins de 7 semaines depuis les dernières règles, moins de 5 semaines de grossesse). Au-delà, n’interrompent pas la grossesse, mais sont toxiques. A noter que dans certains centres ou cliniques français, on donne mifépristone et prostaglandines au-delà de cette date. Sachez que c’est tout à fait illégal - et scientifiquement inadapté.
Ne croyez pas les médecins qui vous disent : "Je vais faire revenir vos règles". Si vous êtes enceinte, ça ne marchera pas. Car si le médicament qu’il vous donne est abortif, il risque d’être toxique POUR VOUS (et il n’a pas le droit de vous le prescrire). Si le médicament n’est pas abortif, il risque de vous faire perdre du temps. N’oubliez pas qu’en France, l’IVG n’est autorisée que dans un délai limité. Alors allez faire un test de grossesse, et s’il est positif, adressez vous à votre généraliste, à une sage-femme, à un.e gynécologue ou directement dans un centre de planification/centre d’IVG. Si le test est négatif, UTILISEZ DES PRESERVATIFS JUSQU’A CE QUE VOS REGLES REVIENNENT !!! (Car sinon, vous risquez de vous retrouver enceinte quand même...)
2e cas de figure : vous n’avez pas de règles depuis plusieurs semaines, et vous voulez être enceinte mais vous ne l’êtes pas (ou : vous avez un cycle irrégulier ou suspendu, et comme vous voulez être enceinte, ça vous inquiète...)
(Lisez aussi : "J’ai arrêté ma contraception et je ne suis toujours pas enceinte")
Il n’est ni judicieux, ni nécessaire, ni utile de prendre un traitement pour « faire revenir les règles ».
Pourquoi ? Parce que ce n’est pas de règles que vous avez besoin, mais d’une ovulation. Or, les seuls médicaments qui peuvent déclencher une ovulation ne sont donnés qu’aux femmes qui ont des problèmes d’ovulation. Autrement dit : une infertilité démontrée - c’est à dire qui ont essayé de débuter une grossesse depuis au moins deux ans avec un homme qui est lui même fertile (30% des infertilités sont liées à la qualité du sperme, et une proportion variable à l’incompatibilité génétique entre les deux partenaires).
D’autre part, comme je l’ai dit plus haut, le fait de ne pas avoir de règles (et donc, de ne pas ovuler) n’est pas du tout un signe d’infertilité. Il peut être le signe de tout plein de choses qui perturbent le cycle parce que l’évolution a doté le cerveau d’un « bloquage de l’ovulation » quand le corps « sent » ne pas être physiquement apte à mener une grossesse à bien. C’est pour cette raison que les femmes qui perdent beaucoup de poids en peu de temps, ou qui en prennent peuvent pendant quelques semaines ou quelques mois, si elles n’ont pas un poids adéquat, être sans ovulation et sans règles. Le traitement, alors c’est... de revenir au poids adéquat. Ça n’est pas de « faire revenir les règles »
POURQUOI ALORS TANT DE MEDECINS DONNENT-ILS DES MEDICAMENTS "POUR FAIRE REVENIR LES REGLES" ?
En gros, pour trois raisons :
– parce qu’ils ne savent pas que ça ne sert à rien. Eh, oui, malheureusement, les médecins français ne sont pas formés pour connaître les aléas de la physiologie ovarienne... On leur apprend les maladies, et non les variantes de la normale chez les gens en bonne santé.
– parce que les femmes sont inquiètes et demandent une solution - et, comme les médecins ont envie de les aider et ne savent pas expliquer ce qui précède, et sont surtout formés pour prescrire des médicaments, ils prescrivent un médicament...
– parce que des marchands de médicaments commercialisent, depuis longtemps, des produits destinés à répondre à ce type de « problème » et en font depuis toujours la promotion auprès des médecins
Le prototype du produit utilisé pour « faire revenir les règles » est le Duphaston° (dydrogestérone). C’est un produit proche de la progestérone mais qui a des effets modestes, pas très différents de ceux d’un placebo. Il a été commercialisé il y a très longtemps, en 1961, à une époque où les exigences en matière d’efficacité des médicaments n’étaient pas du tout ceux d’aujourd’hui (on commercialisait alors à peu près n’importe quoi...)
Théoriquement la dydrogestérone peut être utilisée en cas de « manque de progestérone » c’est à dire dans deux situations :
– en cas de syndrome prémenstruel intense (lié à la « chute » de la progestérone dans le sang en l’absence de grossesse) ou à une « hyperestrogénie » temporaire (seins gonflés, en particulier) ;
– en cas d’irrégularités du cycle à l’approche de la ménopause ; et, dans ce second cas, c’est également pour lutter contre des symptômes désagréables similaire au syndrome prémenstruel.Mais c’est seulement de la théorie : encore une fois, les effets de ce médicament n’ont jamais vraiment été mesurés. Un labo a essayé de le "recycler" dans le traitement de la ménopause, mais la Revue Prescrire, qui fait autorité en la matière, conclut à ce sujet "il n’est pas justifié d’utiliser (ce médicament) dont l’efficacité symptomatique est à peine différente de celle d’un placebo". (La Revue Prescrire, n°388, février 2016, p. 103).
Le Duphaston n’est donc EN AUCUN CAS un médicament qui « régularise le cycle ». (D’ailleurs, sur la fiche d’indications sur le site grand public du Vidal (dictionnaire subventionné par l’industrie), la mention "régularisation du cycle" n’apparaît pas.)
Pourquoi les médecins le prescrivent-ils, alors ?
Parce que ça "rassure" les femmes ; parce que ça rassure les médecins ; parce que ça leur fait gagner du temps grâce à un tour de passe-passe pratique : quand on donne de la dydrogestone à une femme qui n’a pas ses règles pendant dix à quinze jours, à l’arrêt du médicament elle va faire ce qu’on appelle une « hémorragie de privation » et va saigner comme si elle avait ses règles. Ça ne veut pas du tout dire qu’après ces fausses règles elle va recommencer un cycle normal, comme si on l’avait « remise en marche » ou fait « repartir à zéro » et ovuler. Car ce ne sont pas les règles qui déclenchent l’ovulation, c’est le cerveau... Et si le cerveau ne veut pas, on peut prendre toute le Duphaston qu’on veut, l’ovulation n’aura pas lieu.
Pourquoi les médecins donnent-ils du Duphaston et pas un autre progestatif ?
Parce que la plupart des autres progestatifs sont contraceptifs ! Alors s’ils en donnaient un autre, évidemment, ça n’aiderait pas beaucoup l’ovulation. En donnant du Duphaston, ils espèrent que ça n’empêchera pas une ovulation de se faire, et ils tranquillisent la femme en lui donnant un traitement qui va l’occuper pendant un mois, et des saignements qui vont la rassurer pendant un mois de plus. Jusqu’à ce qu’elle ait de nouveau un retard de règles sans grossesse et s’inquiète à nouveau. Ce « tour de passe-passe » semble parfois marcher parce que la plupart des femmes n’ont des retards de règles sans grossesse que de manière passagère. Et leur cycle reprend de toute manière. Le Duphaston° n’y est pour rien, mais le médecin peut passer pour un grand homme (ou une grande femme).
Bref, c’est ce qu’on appelle du paternalisme médical : une attitude qui consiste à traiter les femmes comme des demeurées, au lieu de leur expliquer ce qui se passe.
Prescrire du Duphaston° à une femme qui n’a pas de règles ou qui a un cycle irrégulier et qui désire être enceinte depuis moins de deux ans est une escroquerie morale et scientifique.
Personnellement, j’ai toujours préféré expliquer la situation et encourager la patience chez les femmes qui venaient me consulter pour ce type de problème. Dans l’immense majorité des cas, elles ont fini par être enceintes sans avoir besoin du moindre traitement, et m’en ont été reconnaissantes, puisque je les avais rassurées sur leur fertilité. Celles qui, en revanche, avaient un vrai problème de fertillité n’ont pas été faussement rassurées par les fausses règles d’un traitement comme le Duphaston° et, lorsque le temps est venu d’explorer leur infertilité (qui, une fois sur trois, était due à leur compagnon...) étaient reconnaissantes de ne pas avoir été induites en erreur et de ne pas avoir avalé des traitements inutiles.
A noter que le Duphaston a été retiré du marché britannique en 2008.
Pourquoi ? Parce que les médecins britanniques ne le prescrivaient plus. Il faut savoir que les médecins britanniques sont probablement les mieux formés de la planète... Ce qui explique qu’ils ne prescrivent plus les médicaments inutiles...Pourquoi les médecins français ne sont-ils pas francs avec les patientes et prescrivent-ils des médicaments qui ne servent à rien ?
Parce que pour être franc, il faut connaître les bonnes réponses et être sûr de soi. Parce que la formation continue des médecins français n’est pas assurée par des praticiens qui leur apprennent à parler aux patientes (et à les rassurer), mais par des entreprises pharmaceutiques qui les incitent plutôt à prescrire des médicaments. La France est l’un des pays développés où l’on consomme le plus de psychotropes, le plus d’antibiotiques, le plus de médicaments anticholestérol - et aussi le plus de médicaments inefficaces. Parmi ces médicaments inefficaces, il y a... les traitements pour faire « revenir les règles ».
Dr Marc Zaffran (Martin Winckler)
Source - https://www.martinwinckler.com/article.php3?id_article=1049 -