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Le médecin patraque, 4
Un hôpital qui fonctionne normalement, ce n’est pas tout à fait impossible.
Un médecin raconte son cancer

18 décembre 2010

Le médecin patraque est un médecin écrivain de grande expérience. Sa dernière expérience en date : un cancer. Il nous en parle à tous, médecins et non-médecins. MW
PS : Oui, c’est un médecin réel (et non, ce n’est pas moi) Son pseudonyme est destiné à lui permettre de prendre du champ.


Tout cancéreux, une fois son diagnostic posé, se trouve confronté à la question : dans quel hôpital aller me faire soigner ?

J’ai assez vite compris (avantage d’être médecin, même quand on s’aventure dans un domaine de la médecine sur lequel on ignorait tout) que la cancérologie est une branche de la médecine exceptionnellement bien standardisée, dans laquelle à tel type et stade de cancer correspondrait tel traitement, et où il n’y aurait pas de différences majeures selon les service que je choisirais.

Je n’accorde aucun crédit aux « classements des hôpitaux et cliniques » publiés par les magazines, car je sais qu’ils ne peuvent pas répondre à la seule question qui vaille : « où ce traitement est-il le mieux appliqué ? », c’est-à-dire : « où les résultats sont-ils les meilleurs, avec le même traitement ? » faute de disposer d’indicateurs de résultats...parce que de tels indicateurs n’existent pas en France, à quelques rarissimes exceptions près (taux d’infections nosocomiales, par exemple).

J’ai donc décidé de faire le choix de l’ hôpital traitant le plus grand nombre de cancers (45 000 par an environ), sachant très bien - n’en déplaise aux défenseurs des « petits hôpitaux de proximité » - qu’en médecine, on ne fait bien que ce que l’on fait souvent, qu’on le fait d’autant mieux qu’on le fait plus souvent, qu’à compétences égales c’est l’expérience qui fait la différence, et qu’un très grand débit constitue une garantie d’une grande expérience.



Mais alors surgit aussitôt une hantise devant toute structure hospitalière géante : si je suis un malade lambda parmi des milliers d’autres, les particularités de mon cas ne risquent-elles pas d’être ignorées ? Et ne vais-je pas me trouver à chaque fois devant un nouvel interlocuteur, compte tenu de la multiplicité des intervenants en cancérologie (chirurgiens, anesthésistes, oncologues, radiologues, médecins de l’hôpital de jour de chimiothérapie, etc. -plus les internes qui changent tous les six mois) qui ignorera tout de moi, auquel je devrai tout expliquer à nouveau, en risquant d’oublier quelque chose d’essentiel ?

Il se trouve qu’étant non seulement cardiologue, mais aussi enseignant en gestion des systèmes de santé, je savais que la réponse à cette question revenait à en formuler une autre : « comment le système des informations y est-il organisé ? » ; car -trop de gens l’ignorent- la majorité des erreurs et des dysfonctionnements médicaux ne proviennent pas de l’incompétence des personnels de santé, mais d’une mauvaise organisation, coordination et circulation de l’information.

Et bien je me dois de dire que, sur ce plan-là, j’ai été épaté.

Je n’entrerai pas ici dans les détails techniques (disons simplement que l’utilisation intelligente de l’informatique en est un élément essentiel), mais rien n’est aussi rassurant que de découvrir, chaque fois que vous vous trouvez face à un interlocuteur que vous rencontrez pour la première fois, qu’il sait tout sur vous.

Je me souviens, en particulier, d’une de mes premières consultations préopératoires, celles de l’anesthésiologie ; au départ, sensation d’anonymat, une salle d’attente devant un pool de cabinets de consultations d’anesthésistes, on est appelé chez le premier qui se libère : impression de faire la queue à la poste (« j’espère que je tomberai sur un guichetier compétent ») ; et, aussitôt introduit chez l’anesthésiste, accueilli par un « Ah, voilà notre cardiologue fumeur de pipe ! », comme s’il avait passé sa nuit à étudier mon dossier : extraordinaire sentiment de sécurité que de se rendre compte que, partout où vous alliez, qui que vous rencontriez, l’information complète vous suit, et même vous précède.

Et ceci ne concerne pas que l’information médicale, mais toute l’organisation : coups de fil à mon domicile avant chaque examen (« je vous rappelle que vous passez un PET-scan après-demain, et qu’il faut être à jeun depuis la veille à minuit »), après les séances de chimiothérapie (« nous vous appelons pour savoir comment vous l’avez supportée »), etc.

Ayant traîné mes guêtres dans toutes sortes d’hôpitaux pendant près d’un demi-siècle (en comptant les années d’études), je peux affirmer que ceci est rarissime ; d’où une question essentielle : « Pourquoi ce qui devrait être la règle est-il l’exception ? Pourquoi sommes-nous admiratifs lorsque les choses fonctionnent comme elles devraient toujours fonctionner ? »

Je n’ai trouvé la réponse qu’à partir d’un petit épisode qui n’a l’air de rien, mais qui permet de tout comprendre.

Après mon intervention chirurgicale, j’ai été mis dans une chambre à deux lits, avec promesse de me transférer dans une chambre seule dès que l’une d’entre elles se libérerait.

Tous les soirs, l’infirmière-chef passait en fin de journée, pour savoir si tout allait bien, pas de symptômes nouveaux, etc. Un soir, je lui signale des nausées, mais très supportables.

Le lendemain matin, on me transfère dans une chambre seule, dans un autre secteur du même service ; à un moment donné, se présente l’infirmière-chef de ce secteur, qui me voyait donc pour la première fois de sa vie, et qui me demande : « Et vos nausées, ça va mieux qu’hier soir ? ».

Je ne sais pas si vous vous rendez compte de tout ce que cela implique : non seulement que l’information d’un symptôme somme toute mineur ait été écrite puis transmise, mais que, derrière, il y ait une volonté permanente de contrôle de ce processus sans laquelle il disparaîtrait très vite.

Or rien, dans la culture et la formation des médecins, surtout préoccupés de faire de la bonne médecine (le reste, « c’est de la paperasse ! »), ne les sensibilise à l’importance de ce qui leur paraît aller de soi, mais qui ne peut être que le fruit d’une motivation et d’une surveillance constantes.

Et voilà pourquoi ce qui devrait être la norme reste l’exception.

"Le médecin patraque"

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