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Coup de gueule
"Quand va-t-on cesser de faire souffrir et d’emmerder les étudiants en France ?"
par Marieke

30 juillet 2010

Marieke voulait devenir psychologue. Elle a choisi d’étudier à l’université, en France. Elle raconte, et ce récit est terrible. MW


Il paraît que la France a le meilleur système d’éducation au monde.

A la moindre petite plainte sur les failles du système, on vous dit, en tout cas on me dit à moi :
"Oui ben va payer des études à 20 000 dollars !"... vous devinerez facilement de quel pays ces gens parlent. Ok. Donc éducation sensée et réfléchie rime avec billets maintenant.
On est quand même censé avoir un système d’éducation qui s’accorde avec le gouvernement. Les gens payent pour que leurs enfants aient accès à un système d’éducation correct et adapté et l’Etat a pour charge de s’occuper de ça comme il se doit. Donc on ne devrait pas se "contenter" de ça sous prétexte qu’on paye moins les études en universités françaises à la différence des USA qui proposent effectivement un système d’études supérieures avec des frais assez conséquent (quoique cela dépend des universités... il y en a beaucoup).

On retourne un petit peu en arrière pour comprendre :



Fraîchement sortie du lycée avec un baccalauréat littéraire à Ajaccio, je me dirige vers la faculté du Mirail à Toulouse pour démarrer une 1ere année (Licence 1) de psychologie. La psychologie étant le domaine qui me passionnait et dont je voulais absolument faire le métier et qui malheureusement ne s’enseigne que dans deux endroits : à l’université ou dans l’école de psychologie nommée psychoprat qui fait payer les étudiants quelques milliers d’euros chaque année (pour, je précise, le même contenu d’enseignement). Je me rends compte que le monde universitaire français est très fermé c’est à dire qu’il n’admet aucune remise en question, autant sur le fond que la forme.

On arrive dans le grand système par la porte du baccalauréat ou du DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires), on choisit une université, on arrive le premier jour et là, première panique.

On est des milliers, à s’inscrire sur place... oui oui, selon les facultés, soit vous venez chercher des papiers que vous remplissez dans un amphi et c’est fait mais ça vous a pris limite une journée. Soit vous faites la queue pour obtenir les papiers, les remplir en faisant toujours la queue, en prenant le guide de la fac, en choisissant les matières optionnelles et pour finir tout rendre et comprendre votre emploi du temps.

Encore un signe de retard compte tenu de la façon dont on enseigne dans les pays frontaliers de l’est de la France ou encore les pays nordiques. Dans ces pays, tous les étudiants peuvent prendre leurs cours sur leurs ordinateurs et il y a des prises dans les amphithéâtres pour que chacun puisse utiliser son ordi autant d’heures qu’il le souhaite (pas chez nous.. je n’ai vu au maximum que 2 prises électriques par amphi)

L’administration d’une faculté aujourd’hui, pour en avoir vu plusieurs, c’est la forêt amazonienne, quand vous voyez ça de loin vous vous dites bon ça va, et quand vous rentrez dedans, c’est le bordel. On ne sait plus qui dirige qui, qui peut prendre une décision par rapport à un problème... quand on sait où aller en cas de problème.

En effet, souvent, les étudiants ont des soucis d’abord avec leur inscription. On est inscrit à des matières que l’on n’a pas choisies, ou alors une UE (Unité d’enseignement, une matière en somme) n’est pas positionnée au bon endroit, ce qui va induire de réelles catastrophes dans la carrière d’un étudiant de fac, ou pire : on est en fait pas inscrit aux examens et on s’en rend compte tard et voilà pourquoi c’est la course dans les bâtiments pour régler le problème. Telle une vierge devant Dieu, j’ai souvent été confrontée à des administratifs qui me déclaraient que j’avais rêvé, qu’on ne pouvait pas m’avoir dit de prendre telle matière parce que c’est "mieux parce que les lois ont changé vous savez....". L’administration a vraiment tout à apprendre aux pauvres gamins paumés et sans défense...

En psychologie, pour ne pas nommer les autres UFR (Unités de Formation et de Recherche), dès la première année de licence, on est amené à parcourir tous les champs existants dans le domaine, de la psychologie clinique, à la cognitive en passant par la biologie cellulaire (neurosciences dès la 2e année) et à être évalué dessus en 1 ou 2 temps, j’y reviendrai.

Les cours filent à la vitesse de la lumière et les professeurs sont là sans être là, c’est à dire que pour avoir un renseignement, une aide, une explication sur un devoir raté, et bien une fois sur deux on vous répond d’aller lire le cours. Les différents enseignants ne sont pas du tout présents pour vous expliquer pourquoi vous n’avez pas réussi, et ce qu’il manque à votre raisonnement.

Pour être honnête, j’ai fantasmé l’idée que l’université est un lieu d’échange dans lequel j’aurais pu apprendre, acquérir des connaissances via des personnes heureuses d’enseigner et heureuses de transmettre leur passion. Parfois même, je fantasmais de longues discussions sur des sujets passionnants, par mail ou face à face.

Malheureusement, cela n’a toujours été que du fantasme, car je me suis aperçue que j’étais un numéro d’étudiant parmi d’autres numéros d’étudiant et je ne me souviens pas avoir réussi à réellement discuter avec un maître de conférence de manière à comprendre mes erreurs aux examens.

Alors, une autre aberration c’est que les examens de psychologie de 1e et 2e année, ce sont majoritairement des QCM, et quand ce ne sont pas des QCM, ce sont des questions ouvertes mais attention... des questions ouvertes qui n’ouvrent certainement pas à la réflexion du candidat. On nous demande du dégueulé d’informations stockées pour l’occasion !

Les QCM ne font appel qu’à du par coeur : exemple de ce que l’on peut trouver

"la théorie piagetienne fait appel au domaine :
 endocrinien
 neuronal
 du développement de l’enfant

Je caricature évidemment... mais on en est presque là. C’est comme si on demandait à un peintre si Van gogh était cuisiner ou peintre et de quel genre.

Quand ce ne sont pas des QCM, on nous pose des questions ouvertes. Très ouvertes. Béantes.

" Vygotsky ?"

(Un auteur connu en matière de développement de l’enfant avec des théories opposées à celles de Piaget dont je vous parlais plus haut)

"En quoi le groupe influence-t-il ceci ou cela ?"..

(Ca c’est de la psychologie sociale, la question porte sur les influences que les gens se renvoient tous les jours lorsqu’ils sont dans des groupes)

Même si le domaine ne vous dit rien, la question fait appel à un apprentissage par coeur du genre "Tel auteur a parlé de ci et a étudié ça.." On ne va pas plus loin. On ne nous demande pas d’appliquer concrètement de la psychologie, sur des victimes par exemples, ou dans des scénarios cliniques... ça non ça n’existe pas.

On ne sort pas du système scolaire que l’on a eu pendant des années à l’école primaire par exemple où l’on avait des devoirs avec des fiches à apprendre parce qu’il fallait les apprendre et c’est tout et j’allais dire : à ce niveau, c’était logique ! Mais arrivée en Faculté, définir et comprendre un concept, une méthode ou un élément de concept chez un auteur de référence, c’est beaucoup plus dur, et on n’imagine pas en rester au par coeur...

Tout ce qui est proprement scientifique dans l’enseignement de la psycho fait l’objet d’apprentissage par cœur et de répétitions. Un concept tel que "le soi, le moi, le groupe" peut être pilonné de manière répétitive pendant deux années alors qu’il n’apporte rien à la pratique du psychologue en France ou n’importe où ailleurs. Pour faire un parallèle, on peut dire que ça reviendrait à répéter deux années de suite la définition d’un symptôme en médecine, je préfère supposer que ça n’arrive jamais. Malheureusement, en psychologie, le "scientifique" c’est 90% de l’enseignement.

Les 10% restants ? L’enseignement clinique et psychopathologique, dans lequel on étudie toutes les pathologies psychologiques et les grands troubles de la personnalité du monde (les névroses, les perversions, la psychose, la schizophrénie, etc etc) lui se démarque (un peu) du reste en faisant l’objet d’examens qui font "plancher" (traduire : "réfléchir") les étudiants.

On nous demande d’identifier les processus mis en cause dans des troubles, et comment ils surviennent, et voilà ce que j’appelle du "concret" mais je vous rassure, le corps professoral n’est toujours pas là. La guerre qui fait rage en psychologie aujourd’hui entre d’un côté la psychologie dite cognitiviste et de l’autre la psychopathologie entraîne un abandon des professeurs, j’entends par là qu’ils ne sont pas plus passionnés que les autres, du moins ils amènent à penser que la guerre est dure et qu’il faut surtout s’en plaindre avant d’avancer. Qui en pâtit ? L’étudiant.

Pour ma part je me suis dit que passée la 1e année, ce genre de choses s’arrêterait. Mais non, jusqu’à au moins la 3e année, celle qui valide la licence, on est dans du par cœur à dégueuler : en janvier, en mai, (1ere session d’examens) et... en juin, 2e session dite de "rattrapage" et elle porte vraiment bien son nom, on joue à la pêche aux étudiants, c’est à dire qu’on rattrape ceux que l’on désire et puis hop les autres à la trappe.. une usine en somme.

A l’issue du rattrapage on sait si on passe en année supérieure ou non.

Cette méthode et cette façon d’évaluer les étudiants, qui se retrouve dans la majeure partie des universités françaises tout domaine confondu, engendre des échecs énormes et une incompréhension de la part des étudiants de tous les horizons. En psychologie, j’ai vu jusqu’ici 50% d’échec de passage d’année en année.

Alors oui on emmerde les étudiants des facultés en France aujourd’hui parce qu’ils ne peuvent pas s’exprimer librement sur leurs connaissances, les discuter, les critiquer, car tout est enseigné selon les dogmes et méthodes datant de Mathusalem !

Dès que l’on essaie de critiquer une théorie, une partie du cours qui nous semble inappropriée, ou de remettre en cause des croyances qui se sont installé en psychologie à un moment donné, on est confronté au mur du silence des enseignants qui ne veulent plus répondre à cette jeunesse beaucoup trop rebelle... Car souvent les interrogations sont vues comme une rebellion...

Je pense que bonne façon d’enseigner la psychologie en France serait de toujours mettre les étudiants en face de réalités concrètes du milieu, de remettre à jour les données actuelles en psychologie - cognitiviste, sociale ou psychopathologique. Et d’enseigner certaines matières en priorités parce que celles ci permettent de professionnaliser les étudiants, de leur permettre de devenir de bons praticiens.

La psychologie clinique est celle qui nous permet de mener un entretien, de faire face à une personne en souffrance, une victime, un tueur, un violeur. Ces approches cliniques sont essentielles pour orienter et guider les personnes au mieux et malheureusement, elles ne sont que très peu évoquées dans le cursus actuel.

J’ai rencontré jusqu’à l’été 2010 beaucoup d’étudiants qui redoublaient et qui ne comprenaient pas leur échec dans ce système qu’ils avaient pourtant choisi.

Beaucoup disaient à quel point l’enseignement et l’administration semblaient flous, et malgré tout, ont tenu à continuer, persévérer, malgré la difficulté ; d’autres comme moi ont préféré tout stopper. D’autres ont réussi et se sont accommodé de ce milieu, 40% par année en psychologie et il faudrait leur demander comment ils ont réussi car moi, je ne sais pas. J’ai donc mis fin à ma formation en psychologie cet été, en 2010 après quatre années d’études assez infructueuses, alors que c’était mon rêve, mon ambition : devenir psychologue et aider des victimes à comprendre pourquoi elles en étaient arrivées là.

J’ai suivi en université, uniquement le cursus de psychologie, donc je ne peux affirmer certaines choses que pour ce domaine, mais j’ai malgré tout rencontré du monde et entendu des échos semblables pour d’autres domaines de lettres et sciences humaines. C’est donc bien le système qui est ici visé.

Aujourd’hui, je poursuis mon choix de vie professionnelle autrement. Sans l’université, en tout cas.

Marieke




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