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Reconnaissance
par Martin WInckler
Article du 7 février 2007

Je ne me rappelle plus la date exacte, mais ça s’est probablement passé en 1989 ou 1990. J’étais médecin généraliste dans une commune rurale de la Sarthe.

Un jour, j’ai décroché mon téléphone et j’ai répondu à une voix féminine, sympathique, presque rieuse, qui demandait à prendre rendez-vous le mercredi matin avec le Docteur Zaffran. Je lui ai répondu que le mercredi matin, je recevais les patients sans rendez-vous, dans l’ordre d’arrivée. Elle m’a dit qu’elle attendrait sagement son tour.


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Le mercredi matin, j’ai vu entrer une petite femme pleine d’énergie, chaleureuse et très, très souriante.
Elle s’est assise sur un des fauteuils toilés et m’a déclaré de but en blanc : « Je ne suis pas malade ! Je ne viens pas parce que j’ai mal aux pieds, je viens pour voir à quoi vous ressemblez ! »

L’air très bête, probablement, tant j’étais désarçonné, j’ai marmonné :
- Euh... bon. Mais, est-ce que je peux faire autre chose pour vous ? »
Elle a ri et elle m’a dit :
- Vous êtes bien Martin Winckler, n’est-ce pas ? C’est bien vous qui avez écrit La Vacation ?

Je suis resté bouche bée. Mon premier roman, La Vacation, raconte l’activité d’un médecin dans un centre d’interruption de grossesses et ses interrogations sur son boulot un peu particulier. Par discrétion envers les patients de mon cabinet médical et les femmes du centre d’IVG où je travaillais, je l’avais signé d’un pseudonyme - Martin Winckler - déjà utilisé pour publier des nouvelles. À sa sortie, en 1989, le roman n’avait pas du tout été un best-seller - moins de mille exemplaires vendus. Peu de personnes connaissaient donc ce livre et moins encore savaient à l’époque que « Martin Winckler » était le pseudonyme du Docteur Zaffran, généraliste à Joué l’Abbé.

Mais, après l’avoir lu, cette lectrice, qui se nomme Anne-Marie, et qui est institutrice à la retraite, avait entendu dire que l’auteur en était un médecin sarthois qui travaillait au centre d’IVG du Mans. Comme il n’y a jamais eu beaucoup de médecins au centre d’IVG, elle m’avait identifié par élimination.

Anne-Marie et moi nous avons dû passer une bonne demi-heure à bavarder, et sa démarche et sa présence m’avaient évidemment beaucoup impressionné. Je me souviens qu’elle m’a dit : « Vous savez, ce qu’entendent un médecin de campagne et une institutrice, eh bien, c’est pareil ».

Je n’ai pas revu Anne-Marie pendant plusieurs années après cette rencontre, mais trois ou quatre ans plus tard, je me suis mis à écrire un roman intitulé La Maladie de Sachs. Il raconte la vie quotidienne d’un médecin généraliste de campagne et de ses patients. Par jeu, j’ai décidé très tôt de ponctuer toutes les histoires que je racontais avec les réflexions d’un lecteur ou d’une lectrice imaginaire, installé(e) dans la salle d’attente du cabinet de Bruno Sachs et observant les patients qui défilent.

À la fin du roman, ce lecteur, cette lectrice (on ne sait pas s’il s’agit d’une femme ou d’un homme) entre à son tour dans le cabinet et dit au personnage principal : - Vous êtes bien Martin Winckler, n’est-ce pas ? C’est bien vous qui avez écrit La Maladie de Sachs ?

Quand Anne-Marie a lu le roman, on s’était perdus de vue, mais évidemment, elle a tout de suite repensé à la visite qu’elle m’avait rendue sept ou huit ans plus tôt, et elle s’est dit avec amusement que dans ce gros roman, qui parle des rencontres d’un médecin avec ses patients, il manquait un chapitre qu’elle était la seule à connaître. Et puis, en terminant sa lecture, elle s’est rendu compte que je ne l’avais pas oubliée et que ce chapitre, qui transposait notre rencontre, je l’avais mis dans le bouquin.

Au mois d’octobre 2005, quinze ans après cette rencontre, et huit ans après l’avoir transposée dans mon roman, j’ai été invité à Colby, une petite université du Maine, en Nouvelle-Angleterre. Mon hôte, Arthur, m’avait invité à parler à ses étudiants de littérature française, et aussi aux étudiants de creative writing d’une de ses collègues, une femme fascinante nommée Jennifer Finney Boylan, dont je vous parlerai sûrement une prochaine fois.

Mais Arthur avait pensé que ça serait peut-être intéressant de nous rendre au centre médical d’Augusta, une petite ville près de Colby, et que j’y rencontre les médecins. Augusta est une toute petite ville du Maine, pas du tout une grande métropole, son centre médical compte en permanence une dizaine de médecins et d’infirmières et plusieurs médecins en formation qui soignent la population d’un secteur très étendu, et j’étais très content d’avoir cette occasion de rencontrer des généralistes si loin de chez moi.

Quand nous sommes arrivés, la secrétaire du centre médical nous a fait asseoir dans la salle d’attente en nous disant que les médecins allaient bientôt sortir de réunion pour nous accueillir. J’étais invité à me joindre à eux pendant la pause de midi, pour échanger autour des conditions respectives de la médecine rurale en France et en Amérique. Et au bout de cinq minutes, effectivement, deux médecins sortent d’une salle et viennent à notre rencontre.

Mon ami Arthur me présente au premier, un homme d’une soixantaine d’années, puis à la seconde, une femme de mon âge, en leur disant :
- Je vous présente le Docteur Marc Zaffran, qui est généraliste en France, dans la Sarthe.
Et à ce moment-là, je vois le visage de la femme s’éclairer et - je vous jure que c’est vrai sur la tête de mes enfants - je l’entends me dire (en anglais, évidemment) :
- Marc Zaffran ? Mais, vous êtes Martin Winckler ! C’est vous qui avez écrit La Maladie de Sachs ! Figurez-vous que je viens juste de le lire. Et vous savez, la médecine rurale en Amérique et en France, eh bien, c’est pareil !


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