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S’interroger n’est pas censurer
par Tina et Martin Winckler
Article du 10 août 2005

A la suite des textes sur la fiction consacrée à l’affaire Grégory, Tina m’écrit :

J’ai l’habitude de lire votre web-zine avec intérêt mais votre dernier article sur "l’affaire grégory" m’a un peu fait bondir.

D’abord, l’article de Sophie M.. Je trouve que c’est un peu n’importe quoi, si on n’a plus le droit d’avoir de fictions d’après des faits réels, comme vous le dites d’ailleurs vous-même par la suite, c’est de la censure. Peut-être qu’il y a un coté morbide à s’intéresser à de tels fait, mais honnêtement je trouve que ça me choque moins que les images choquantes qu’on nous montre parfois aux actus.

Dès qu’une enfant disparait quelque temps, on la retrouve, il faut vite dire "on a vérifié qu’elle n’a été victime d’aucun abus sexuel", qu’ils vérifient, je veux bien, mais qu’à chaque fois ils donnent l’info, comme s’il était évident que tous les hommes l’entourant n’étaient que des pédophiles en puissance, n’y a t’il pas un abus, un manque de respect vis à vis de l’enfant ? J’imagine les pervers sexuels s’excitant à ces mots en imaginant la "possibilité". Mais je m’égare. Pour revenir à l’affaire Grégory, je pense que si des gens ont besoin d’en parler, et d’autre écouter des histoire y ayant trait c’est tout simplement pour apprendre, pas forcément qui est le meurtrier, mais apprendre la nature humaine et comment ne pas renouveler de telles erreurs. Et écrire une fiction permet de prendre de la distance, de faire un deuil d’une certaine façon. Si la famille Villemin le souhaite, pourquoi l’en priver.

Pour ce qui est du documentaire, j’avais vu avec beaucoup d’attention "faites entrer l’accusé", elle était très intéressante, comme d’habitude, même si ce n’était pas la meilleure de la série, car il manque des parties de l’histoire, mais ça on n’y peut rien. Pour ce qui est de la fiction à venir, je demande à voir avant de juger. J’ai horreur des a priori, je n’ai rien contre France 3, j’aime beaucoup des racines et des ailes. J’aimais bien "docteur Sylvestre", et je ne me souviens guère de séries sur France 3 depuis. De toute façon, ce n’est pas pire que les émissions débiles de télé réalité de la concurrence, et puis c’est pas pire que les dolmens qui saignent (bon là j’ai rien à dire, j’ai dû regarder 15 min). Je n’ai pas la chance d’avoir à disposition comme vous tout un tas de télés étrangères, alors laissez moi espérer que je ne paye pas une redevance pour rien et que cette fiction sera intéressante.

Je vous remercie de m’avoir lue

Cordialement,

Tina


S’interroger est légitime

Vous avez raison, il n’est pas question d’interdire quoi que ce soit à qui que ce soit - et je ne crois pas que ce soit le propos de Sophie dans son texte. Elle exprime surtout un sentiment de gêne, elle est choquée, parce qu’elle a le sentiment qu’on ne peut pas faire des fictions avec une histoire aussi sensible sans une certaine indécence - ou le risque d’être indécent ou exhibitionniste.

Pour vous prendre un exemple ancien : on était en droit de s’interroger sur les intentions et le traitement que Steven Spielberg ferait de l’holocauste dans "La liste de Schindler", avant que le film ne soit tourné. Et beaucoup de personnes ne s’en sont pas privé. Or, le cinéma, il faut payer pour y aller. La télévision, elle, entre chez nous. Il est d’autant plus légitime de s’interroger sur ce qui s’y fait, comme il est légitime d’interpeller les hommes politiques, les juges, les journalistes sur ce qu’il font. C’est ce qu’on appelle le débat démocratique : ceux qui ont accès aux médias ne sont pas supérieurs aux autres citoyens, et tout citoyen a le droit de s’en mêler.

S’il s’agissait de TF1, il n’y aurait pas grand chose à dire : c’est une chaîne privée, elle fait ce qu’elle veut. S’agissant d’une chaîne publique, les citoyens qui, vous le rappelez très justement, la financent, sont en droit d’interpeller ce qui s’y fait. Ca n’est pas de la censure, c’est du débat, l’expression d’un point de vue, d’une opinion. Et les opinions, on peut les exprimer a priori (avant que les choses ne se fassent) à l’égard des intentions des producteurs et a posteriori (au vu du téléfilm ) à l’égard du produit fini.

Quant au fait que la famille Villemin veuille ou non s’exprimer, vous avez raison, c’est son droit absolu, et il est respectable. Mais publier un livre écrit pour exprimer sa souffrance, c’est une chose : on peut en contrôler la moindre virgule.

Donner son accord pour un téléfilm retraçant un épisode personnel douloureux qui sera réinterprété par des scénaristes, un réalisateur, des acteurs - et qui mettra en jeu des sommes considérables, sans même parler des droits d’auteur que, bons ou mauvais, le téléfilm rapportera à ses auteurs chaque fois qu’il sera diffusé sur une chaîne, ça me paraît tout à fait autre chose : tout échappe au contrôle des premiers intéressés, car beaucoup d’intérêts sont en jeu, des intérêts qui n’ont souvent rien à voir avec le respect de la personne. Le risque d’exploitation de la souffrance des victimes à des fins d’exhibitionnisme est alors très, très grand ; et tout le monde pourra voir cette série sur France 2 sans débourser un centime de plus, alors qu’il faut aller dans une librairie et acheter volontairement un livre pour le lire.

Un des deux médiums est privé (le livre). L’autre est public et très exhibitionniste (la télévision). Et la télévision, si vous regardez les programmes des grandes chaînes, est de plus en plus exhibitionniste tant pour ce qui est des sentiments que des corps ou des secrets de famille. Ca n’est pas anodin.

C’est cela qui choque Sophie, et si son opinion ne vaut pas plus que la vôtre, elle a également - tout comme vous - le droit de l’exprimer sur ce site, qui est un site d’échange et de débats.

De mon côté, je suis très philosophe à cet égard : je ne suis pas obligé (personne n’est obligé) de regarder une fiction télé. Mais en tant que lecteur, auteur et critique de fiction, et en tant que citoyen qui finance le service public, je m’interroge légitimement sur la qualité possible d’une fiction comme celle-là. Je pense justifié de s’interroger avant, avec l’espoir que ces interrogations viendront aux oreilles des producteurs, et qu’ils en tiendront compte - les spectateurs réticents sont aussi respectables que les autres, et il y a sûrement moyen de garder leurs réticences à l’esprit. Je pense aussi justifié de dire que, si l’on doit dépenser l’argent public pour faire des fictions, il serait peut-être plus opportun de les consacrer à des faits réels peu connus (mais qui méritent de l’être) plutôt qu’à une affaire sur laquelle on a déjà beaucoup, beaucoup parlé, glosé, montré.

Or, mon expérience dans ce domaine en témoigne : les chaînes françaises susceptibles de produire des fictions (TF1, F2, F3, Arte, M6) préfèrent le plus souvent se consacrer à des sujets "spectaculaires" (et rebattus) plutôt qu’à des sujets nouveaux, plutôt que d’explorer la société sous des angles inédits. C’est exactement l’opposé de la démarche adoptée par exemple en Angleterre, où les fictions sont mille fois plus innovantes, incisives, et passionnantes qu’en France. Sans, d’ailleurs, se priver de parler des histoires vraies, mais sans la complaisance quasi omniprésente dans les fictions françaises.

Quelles que soient les qualités de l’équipe qui tournera cette minisérie, le sujet et éminemment délicat et nécessite une grande pudeur, une grande maîtrise dans le scénario, la mise en scène, l’interprétation et la direction d’acteurs, et surtout une grande discrétion, un grand respect des protagonistes et une grande humilité. Ce que j’ai lu pour le moment ne me semble pas indiquer que toutes ces conditions soient réunies... Encore une fois, je ne demande qu’à être détrompé.

Amitiés et merci de votre contribution.

Martin W.

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