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Françoise Dolto
Texte de la chronique d’ArteRadio.com
Article du 24 novembre 2004

Le plus souvent, quand on parle des choses qui nous font mal, on essaie de trouver des gens qui vont nous faire du bien. Ou qui en tout cas vont essayer de faire en sorte qu’on ait moins mal, après, qu’avant qu’on les ait rencontrés. Et je me souviens... j’ai eu beaucoup de chance, j’ai rencontré quelqu’un qui faisait du bien. Qui faisait du bien en parlant. Et c’était une dame, qui s’appelait Françoise Dolto.

Il y a beaucoup de gens qui ont oublié qui était Françoise Dolto. On sait que c’est une dame, qui écrivait des bouquins, qui s’occupait des enfants, etc.

Françoise Dolto était une femme, psychanalyste, médecin, qui a eu une grande influence sur beaucoup de gens dans les années 70, 80, parce qu’elle avait un discours qui sortait de l’ordinaire quand il s’agissait des enfants. C’était quelqu’un qui disait : " Il faut parler aux enfants. Il faut parler aux enfants dès qu’ils naissent. Il faut leur parler comme à des adultes, il ne faut pas leur parler bébé. Il faut leur parler un langage articulé, il faut s’adresser à eux en partant de l’idée qu’ils nous comprennent, et qu’ils vont faire quelque chose de ce qu’on leur dit."

Et je peux dire que tous les enfants que j’ai élevés sont des "enfants-Dolto". C’est-à-dire que j’ai parlé à mes enfants très tôt, très vite, tout de suite, en langage articulé, en verbalisant pour eux les choses que j’avais l’impression qu’ils voulaient dire, et en verbalisant aussi pour eux des choses que je ressentais, pour leur expliquer ce que je ressentais, au moment où je le ressentais. Pour qu’ils ne fassent pas la confusion entre l’attitude que je pouvais avoir avec eux, et qui était peut-être due à des choses intérieures, et ce que je ressentais pour eux. C’est-à-dire que quand j’étais énervé, je leur disais "ben tu sais, je suis énervé, parce que... - et ils pouvaient avoir six mois, hein -, j’suis énervé, parce que... ben, il m’est arrivé telle chose, j’suis énervé, mais c’est pas ta faute, c’est pas toi qui es responsable de mon énervement, c’est telle chose, ou telle chose."

Mais c’était pas exactement de ça que je voulais parler aujourd’hui, je voulais parler de Françoise Dolto. J’ai eu la chance de voir Françoise Dolto deux fois. Une première fois, j’ai assisté à une de ses conférences. Elle parlait de la maison bleue... la maison verte ? La maison verte. La maison verte, c’était une maison dans laquelle on accueillait les mères et leurs enfants, mais on les accueillait ensemble. C’était pas une crèche où les mères laissaient leurs enfants, c’était une sorte de crèche - mais c’était pas exactement une crèche -, dans laquelle les mères venaient avec leurs enfants pour apprendre à l’enfant qu’il pouvait être au contact d’autres enfants, d’autres mères, et petit à petit, l’enfant, dans la maison verte, se détachait de sa mère en allant jouer avec les autres enfants, en allant ramper par terre, en allant mettre les trucs dans sa bouche quand elle lui tombait sous la main, pendant que les mères, elles, elles discutaient avec les autres mères, avec la psychanalyste qui était là.

Et elle nous parlait de la maison verte, et elle disait qu’un jour où elle était d’astreinte à la maison verte, elle arrive, un matin, et elle trouve toutes les mères, toutes les assistantes, toutes les infirmières, enfin toutes les personnes qui travaillent à la maison verte en plein émoi, très très affolées, en disant : "une petite fille s’est fait violer à l’autre bout de Paris."
Et tout le monde était très très agité. Et madame Dolto dit : "attendez, attendez, qu’est-ce qu’il se passe, là ?"
Et elle coince tout le monde, elle dit : "vous la connaissez, cette petite fille ?" Alors tout le monde répond "ben, non."
 Quelqu’un sait ce qu’il s’est passé, exactement ?
 Euh, ben, non
 Et vous savez exactement ce qu’il lui est arrivé ?
 Euh, ben, non
 Alors qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
 Ben, on a entendu à la radio.
 Mais, vous ne la connaissez pas ?
 Non.
 Alors, on s’arrête, on se calme, parce que les enfants qui ont besoin de nous maintenant, ils sont ici. Cette petite fille, elle a des gens pour s’occuper d’elle là-bas, mais maintenant, ceux qui ont besoin de nous, ils sont ici.

Et ça a calmé tout le monde. Et j’ai jamais oublié cette leçon, qui est que, bien sûr, qu’il y a des milliards de misères dans le monde, partout, tout le temps, mais il y a des choses qu’il faut toujours faire ici, et maintenant. Et on est utile surtout quand on fait des choses ici et maintenant. Ça veut pas dire qu’il ne faut pas qu’on pense au reste du monde, ça veut dire aussi qu’il faut qu’on pense à ce qu’il se passe devant nos yeux.

La deuxième fois que j’ai rencontré Françoise Dolto, on cherchait à écrire des articles avec elle pour une revue de médecins, et elle nous a raconté l’histoire suivante, que j’ai jamais oubliée non plus, qu’un homme vient la voir avec une grande angoisse en lui demandant de la recevoir, elle l’a déjà vu quand il était adolescent, et puis là il est adulte, et il lui dit "madame Dolto, j’aimerais bien que vous me receviez, parce que je ressens une grande angoisse."

Et elle lui dit "mais je ne reçois plus d’adultes", et lui dit "mais j’ai besoin quand même de vous voir."
Alors elle le reçoit, une demi-heure, trois quarts d’heure, et au bout de trois quarts d’heure, elle lui dit : "vous devriez aller consulter un médecin." Lui dit "pourquoi ?" "Eh bien parce que quand vous êtes arrivé, vous étiez angoissé, et vous étiez essoufflé parce que vous étiez angoissé. Mais ça fait une demi-heure que vous êtes là, et vous continuez à être essoufflé, et je pense que c’est plus de l’angoisse."

Et le type est allé voir un médecin, et il avait une insuffisance cardiaque.

Françoise Dolto n’a jamais oublié qu’elle était médecin. Et ça, c’est une chose que j’ai aussi beaucoup admirée.

Lien librairie : Anthologie Radiophonique : Lorsque L’Enfant Parait (coffret)

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