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Visitation
par Bruno S.
Article du 22 août 2004
Vous vous êtes déjà certainement demandé : Où et comment les médecins apprennent-ils à prescrire le BON médicament ? Vous imaginez peut-être que la réponse se trouve dans les livres et les revues de médecine. En pratique (et en réalité), en France, ça se passe autrement. Premier épisode d’un feuilleton de Bruno Schnebert.
- Vous êtes l’interne de spécialité de la salle ?
Sans aucune hésitation possible, la jeune et jolie femme qui m’adresse la question est une visiteuse médicale : dans un service de cardiologie la population a généralement deux, voire trois fois son âge, donc ce n’est pas une patiente, de toute manière si c’était le cas, elle ne serait pas en civil, si elle faisait partie de la famille, ce n’est pas l’heure autorisée des visites et parce que nous sommes en fin de matinée, qu’elle est particulièrement apprêtée, qu’elle tient une grosse sacoche, rappelant presque celle d’un médecin en visite à domicile et qu’elle s’est adressée à moi sans aucune hésitation après avoir traversé le couloir de ma salle comme si elle était chez elle, après un salut poli et enjoué destiné aux infirmières de la salle, qui ne l’ont pas - filtrée - , c’est une visiteuse médicale ! On peut dire - déléguée - , ça fait plus chic, certains patients qu’elles doublent en salle d’attente les appellent les - voyageuses - ...ça l’est moins !
Elle ajoute :
- Je ne vous ai encore vu dans aucun service, vous êtes nouveau ?
- Oui, je suis en premier semestre d’internat de cardiologie
- Toutes mes félicitations ! Je me présente : je suis Coralie Douste et je représente les laboratoires Caspienne et je vous souhaite la bienvenue
C’est marrant, c’est elle qui m’accueille dans ma salle, voire dans la corporation des internes de spécialité !
- Oui ?
Elle ne m’a pas demandé si elle me dérangeait pendant ma visite, mon enseignement pratique et informel aux externes ou tout simplement si j’avais envie de la voir ! D’un autre côté, quel homme normalement constitué n’aurait pas envie de la voir ? elle est à croquer...
- Ecoutez Arnaud - en un clin d’oeil, elle a imprimé mon badge dans son disque dur cortical - je ne vais pas vous apprendre votre métier, les inhibiteurs du calcium vous les connaissez mieux que moi, le mien c’est le bildiadème et c’est un des meilleurs, vous vous ferez votre propre expérience dans cette salle -
Elle est très pro...
- Et puis, pour que vous pensiez à moi - là elle me lance une ?illade appuyée d’un sourire ambigu - je me ferai un plaisir de vous aider dans votre spécialisation, si vous avez besoin d’un ouvrage de cardiologie ?
- ?
- Oui, vous êtes dans un service de rythmologie, vous ne voulez pas que je vous en offre la bible, le Lama et Botté ?
Qui ne dit mot consent et puis le prix dudit bouquin de cardiologie équivaut presque au cinquième de mon salaire d’interne ou encore à trois gardes de réanimation médicale !
- Allez, je vous l’apporte la semaine prochaine, au revoir à bientôt !
Et elle me tourne ses hauts talons !
Je tâche de reprendre le cours de ma visite, d’un air imperturbable qui essaie de cacher mon trouble, d’autant plus que mes jeunes externe ont copieusement charrié mon teint rosi par cette rencontre.
Il va sans dire que les patient de la journée et des suivantes bénéficient sans restriction des découvertes les plus récentes de la cardiologie, en particulier du bildiadème.
Le mercredi suivant, c’est le jour de la grande visite, celle du patron, qui réunit l’agrégé, le chef de clinique, l’interne responsable de la salle, les externes et les infirmières.
Mon patron, je l’adore, il est sympathique sans jovialité extrême, juste, rigoureux et surtout quand il accorde sa confiance, avec parcimonie, c’est clair et définitif, ainsi en à peine quelques mois de stage, c’est lui qui viendra me demander si après mon internat, je désire être chef de clinique chez lui, dans son service.
Donc ses visites, je ne les crains pas mais je les attend avec impatience, car elles me permettent de régler les problèmes des patients, d’apprendre plein de notions fondamentales et de perfectionner certaines de mes connaissances.
- Ca va mon petit Arnaud ? On attaque ?
J’adore quand il m’appelle « mon petit Arnaud », j’ai l’impression de vraiment faire partie du service et de ne pas être là seulement pour six mois, ce qui est le cas quand on est interne.
Fin de la présentation du premier patient, pas de problème, nous revoyons ensemble le traitement.
- Tiens vous lui avez donné du bildiadème ? Essayez, donc le sasadate, vous verrez c’est aussi efficace mais bien mieux toléré !
Deux patients plus loin, le patron en sortant de la chambre hèle mon infirmière - Mademoiselle, transformez donc ce bildiadème en sasadate, c’est mieux...
Le manège se reproduira à presque toutes les chambres.
- Au revoir Arnaud, à la semaine prochaine
Fin de visite, au bout du couloir, un individu cravaté, sacoche à la main m’attend :
- Vous êtes l’interne de la salle, bonjour je représente les laboratoires Defond, ont le médicament leader est le sasadate, je peux vous dire un mot ? J’ai vu tout le monde dans le service ce matin, mais je ne vous connais pas encore !
Ainsi, je n’avais pas été le seul visité mais quels argument a-t-il pu présenter à mon patron ?
Le midi qui suit en déjeunant à l’internat, avec mes collègues du service, une question fuse :
- Hé les mecs, vous avez eu la visite du patron cette semaine ?
- Oui et ? -
- Il vous a fait le coup du sasadate ?
Eclat de rire général...
- Les labos Defond ont du faire un joli petit don à l’association du service...
- Oui mais tu sais ce fric, il sert aussi à envoyer les internes en congrès ou en post-internat à l’étranger, alors...
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