Être un(e) adulte autiste... >
Une journée à la libraire
par Suki, du réseau DÉesCAa
Article du 4 mai 2012
Chroniques extra terrienne, un après midi en ville...
J’ai dans ma vie la chance d’avoir une forme de perceptions sensorielle un peu particulière, et je vais tenter de décrire, divers moments de mon quotidien, avec mes perceptions. Pour, d’une part, partager celles ci, et, d’autre part, faire comprendre à tous ces visages que je croise, chaque jour au coin de la rue, dans la rue, dans les magasins, dans les situations qui font une vie en somme, que ce que je vis, ils ne le vivent pas de la même manière... Ou pas tout à fait.
Car je suis née avec un petit quelque chose qui m’a toujours empêché de vivre les choses comme vous. Mais je ne m’en plains pas... Non, je ne suis pas malheureuse, au contraire, je pense que ce que je vis est parfois un trésor, que vous ne connaissez pas ou autrement.
Par contre, parfois, quand j’ai l’occasion de vous « ressentir », tous, autour de moi, je me sens triste.
Je vous ressens juste, naturels, sans réflexions particulières dans l’instant vécu, alors que, moi, je pédale avec ma machine à faire comme si. [1]
Cet après midi, je suis allée en ville, pour acheter un livre.
Une aventure qui semblera bien simple aux yeux de nombreux d’entre vous, une broutille dans une journée bien remplie de mère de famille, ou d’étudiant, etc... Qui pourra devenir selon les jours, pour moi, une expédition.
Je me prépare à sortir de ma maison, lieu de prédilection pour mon bien être intérieur, de zenitude, ou je contrôle encore à peu près certains éléments...
La clé tournée dans la serrure, je prend tout d’abord une bouffée d’oxygène extérieur, avec sa clarté aveuglante qui se résorbe peu a peu... Les réglages se font et les couleurs se fixent... Je prends donc le chemin de mon seul moyen de transport accessible rapidement, le bus, car je ne conduis pas.
Pour cela je dois descendre la rue, et souvent c’est l’occasion de repenser au fil de la journée dans mon esprit. Restituer le reste des taches a effectuer, les lister, afin de me donner un confort de penser pour la suite.
En marchant, j’analyse les éléments du décors qui change peu, finalement, les pots de fleurs des maison de la rue, les façades, les voitures garées.
Cela m’amène rapidement a l’arrêt du bus, où je dis poliment bonjour a la personne qui attend, si je la sens réceptive.
Mon premier réflexe sera d’intégrer mon casque a mes oreilles, arme ultime anti-extérieur, qui diffuse de plus une musique fort agréable dans les oreilles et le protège des intrusions dans ma bulle.
Le bus arrive, et je monte, pour me poser de préférence toujours a la même place si celle ci est libre. Je ne sais pourquoi, cette place est là comme rassurante. C’est la place où j’aime me mettre, pour tout observer, et surtout, je suis très facilement malade dans les transports alors je me mets devant par habitude et confort.
Durant le trajet, j’observe attentivement le paysage... Certains points de vue balisent le chemin. C’est souvent l’occasion de fermer les yeux car les odeurs m’arrivent très fort à la tête [2].
L’arrivée au terminus est souvent synonyme de grand soulagement car entre temps, je commence à avoir des nausées, et l’air me manque... Et puis je me sens enfermée dans le bus.
Je dois maintenant trouver au plus vite, une librairie.
Je me rends dans la station de métro où comme d’habitude une foule attend aux heures de pointes [3] et je feints la nonchalance avec mon casque audio, me balançant en rythme...
Métro, je rentre. La rame est pleine. Je me case dans un petit coin et tente d’oublier que je reçois en pleine figure les micros-univers de chaque personne qui entrent ou sortent de la rame.
J’entends les bribes de conversations un peu partout sans faire le tri, et je tente de monter le son de ma musique...
Une fois sortie, commence le merveilleux ballet de la rue...
Là, j’avance d’un pas assuré, et virevoltent autour de moi tous ces corps colorés, et sonores, et odorants. Je garde le cap car, moi, je dois trouver un livre...
Direction la librairie.
Je marche dans la rue. Les gens que je croisent vivent leur vie, se parlent, rient, c’est étrange car parfois, j’ai l’impression qu’on vit dans des univers parallèles mais qui cohabitent... Malgré tout. Je ressens des tas de choses, mais je dois me refermer sur mon propre univers pour rester concentrée.
J’ai une tache à accomplir...
Mes yeux se posent naturellement sur les détails de la rue. Les toitures, les gouttières, les plaques sur le sol, les vitres aux reflets brillants, le petit oiseau posé sur l’antenne n’échappera pas a mon regard.
Dans le magasin, un autre univers s’offre a moi, un univers de couleurs criardes.
Des corps me frôlent, des visages , pleins de sens, des vies me frôlent... Mais moi je ne vois que les livres, et les titres des présentoirs, puis je vois le gilet du vendeur, qui me sera utile en cas de besoin.
Mais je me débrouille fort bien dans ces cas là, je sais où chercher, et je trouve même assez facilement... Quelquefois, je prends même le temps de trainer un peu, car les livres sont ma passion... Mais si je me trouve ailleurs que dans une librairie, les choses sont fort différentes et j’en reparlerai dans peu de temps...
Avec mon livre trouvé et feuilleté rapidement, je me dirige vers la caisse, et devant moi 4 clients attendent, visiblement très pressés. Alors je plonge dans le livre en attendant mon tour, pour éviter d’avoir a trop entrer dans leur frustration perçue de manière animale.
La caissière me fait payer, me demande si j’ai la carte. Je réponds en fonction, d’une phrase machinalement répétée avec intonation « de circonstance » et un sourire, même... Trop forte.
Je paie, je sors, et là, le brouhaha du magasin, chaud et coloré, clignotant de publicité pour tout partout, débordant de consommation outrageante, pour retourner dans la rue, autre brouhaha qu’il faut de nouveau gérer, différemment.
Encore les tonnes de visages qui passent à gauche, et à droite, des intentions, des tranches de vies entendues malgré moi, et, sans que je l’ai décidé, analysées.
Mais je décide de prendre un moment pour me poser, et observer des choses jolies et apaisantes : le ciel, dans ces moments là, me sauve... La forme des nuages, et les agrémentations architecturales, etc.
Je vais acheter un pain au chocolat à un vendeur dans sa guérite externe. Les formules sortent toutes seules, « oui », « s’il vous plait », « merci ». Mais elles ne sont pas spontanées.
Si le vendeur à l’idée de pousser la conversation à autre chose, je ressens un bref moment de panique, et de malaise... Oh je sais parfaitement discuter, oui, des heures, je suis complètement capable.
Mais je n’aime pas ça... Du tout.
Je m’assois quelques minutes avant de rentrer. Des tas de choses restent à faire à la maison. Je suis heureuse de les retrouver...
Je mange deux bouchées de mon pain au chocolat, car j’ai un mal fou à avaler lorsque je suis seule où dans la rue. Je prends le temps de faire un break interne, histoire de me ressourcer avant le retour. Là, je vais voir surtout les oiseaux, entendre leur bruits et le vent dans les feuilles, et souffler de l’intérieur...
Alors il peut m’arriver d’observer du coin de l’œil des passants, ils ont tous l’air occupés et résolus à quelque chose. Certains s’amusent, d’autres réfléchissent... Une chose est sûre, ils sont dans leurs vies sans y penser. Ils vivent en direct ce que j’ai l’impression de vivre en différé...
Je vis ma vie bien sur, mais dans l’analyse, et ce surtout lorsque je sors de chez moi, afin d’entrer dans une sorte de mouvement perpétuel... Et je fais un effort.
Dans chaque étape de ma vie quotidienne, je fais des efforts qui n’en sont pas pour les personnes non autistes. Mais j’ai la chance immense de me connaitre et de savoir qui je suis, et d’adapter les choses en fonction.
Ce qui n’a pas toujours été le cas.
Je vais ensuite rentrer, reprendre le chemin de la maison, sur le chemin parfois, je vais être amenée à voir des détails un peu partout. Je focalise sur tout, sans arrêt. Ce pourquoi souvent , je me souviens de tas de choses amusantes...
Par contre le poids de la fatigue, lui, est déjà là, et je ressens une forme de soulagement en poussant la porte de la maison, même si tout reste à faire en terme de gestion... Enfants, repas...
Mais je suis en lieu connu.
Plus de brouhaha, d’énergie de la foule, du mouvement collectif... De gestion du moi et de mon attitude. [4]
Je vous parlerai d’une visite au supermarché la prochaine fois... Et d’une journée de travail, d’une journée de weekend avec les enfants, etc.
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Merci de m’avoir lue ! :-)La semaine prochaine... Une autre petite tranche de la vie quotidienne de SukiLes sorties au restaurant ou dans un bar et le sentiment de nostalgie...
[1] Oui, j’ai mis au point, cette machine toute petite, afin de vivre au milieu de vous sans trop me faire repérer...
[4] traits autistiques éventuels... Tics de la main, balancements...
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