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Un géant de l’industrie pharmaceutique reconnaît que ses médicaments sont inefficaces
Une déclaration singulière... pas encore commentée par les médias français.
Article du 14 décembre 2003
Comme le révélait le 8 décembre le très sérieux quotidien britannique "The Independant", Allen Roses, l’un des hauts responsables du laboratoire GlaxoSmithKline a déclaré tout récemment, et tout de go, que les médicaments de sa firme ne sont pas efficaces sur une grande partie des patients à qui ils sont administrés.
D’après lui, moins de la moitié des patients qui reçoivent les médicaments les plus récents y réagissent positivement.
The Independant donne une liste de maladies et le pourcentage des patients qui tirent bénéfice des médicaments qui leur sont prescrits pour la traiter :
– Médicaments de la maladie d’Alzheimer : 30 %
– Antidouleurs récents (Cox-2) : 80 %
– Asthme : 60 %
– Troubles du rythme cardiaque : 60 %
– Dépression : 62 %
– Diabète : 57 %
– Hepatite C : 47 %
– Incontinence : 40 %
– Migraine (traitement de la crise ) : 52 %
– Migraine (traitement préventif) : 50 %
– Médicaments du cancer : 25 %
– Polyarthrite rhumatoïde : 50 %
– Schizophrénie : 60 %
" La grande majorité des médicaments - plus de 90 % ", déclare Roses, agissent seulement sur 30 à 50 % des gens. Je ne dirais pas que la plupart des médicaments sont inefficaces, mais qu’ils ne le sont que chez ces 30-50 % là."
Pour appuyer ses dires, Allen Roses cite une étude de Brian Spear, " senior scientist " des Laboratoires Abbott, une société de diagnostic médical de Chicago, sur l’efficacité de différents médicaments, étude publiée... il y a 3 ans.
Cet aveu confirme ce que tout le monde savait depuis longtemps, mais que les fabriquants (et, souvent, les médecins) avaient fâcheusement tendance à nier : tous les médicaments n’agissent pas sur tout le monde.
Les proportions de cette inefficacité ont de quoi surprendre, car il est probable qu’une plus grande proportion d’utilisatrices de traitement pour la migraine trouvent que leur traitement est efficace. Mais cela, nombre de médecins (j’en fais partie) le savent, et tentent de faire comprendre à ceux de nos concitoyens qui vouent une confiance excessive aux traitements médicamenteux : tout traitement - que son efficacité ait été démontrée ou non - est doté d’un fort effet placebo. Même si un médicament n’a pas d’effet pharmacologique sur vous, il peut être efficace, au moins temporairement, par le biais de l’effet placebo.
Lire ici les chroniques sur l’effet placebo reprises dans Odyssée, une aventure radiophonique.
La déclaration d’Allen Roses, reprises sur de nombreux médias internet anglo-saxons (mais, curieusement, je n’en trouve pas trace sur les sites francophones, merci de me les signaler si vous en connaissez...) est tellement énorme qu’on est en droit de s’interroger sur les motifs d’une sincérité qui tranche - c’est le moins qu’on puisse dire - avec la langue de bois dont l’industrie est coutumière.
Pour avoir un élément de réponse, il suffit de regarder la fonction de M. Roses. Il est en effet vice président du département génétique de Glaxo ; son domaine de prédilection porte sur la recherche de facteurs génétiques permettant de repérer les personnes qui seront, ou non, sensibles à un médicament donné. Il travaille sur ce qu’on appelle le polymorphisme génique, dont l’étude a permis d’identifier les patients chez qui l’utilisation d’un médicament anti-HIV, l’abacavir, pouvait être mortelle.
Pour Roses, l’avenir réside dans la recherche chez tout patient des caractéristiques génétiques qui le rendent sensibles à un médicament - ou l’exposent à ses effets secondaires. De là à penser que sa déclaration n’est pas sans arrière-pensée, il n’y a qu’un pas. Quoi de plus logique (mais aussi, rentable), en effet, que d’identifier au plus tôt les personnes à qui on peut prescrire une substance ? Même quand elles n’en ont pas encore besoin.
Seulement, cette logique a ses revers. Imaginons que vous souffriez d’une maladie chronique grave, qui nécessite un traitement approprié. On aimerait savoir si vous allez répondre au médicament de référence. On examine votre profil génétique. Il montre que le traitement ne vous apportera rien - ou risque d’être dangereux. Certes, cela signifie que vous ne recevrez pas ce médicament-là pour rien. Mais est-ce que cela incitera pour autant les fabriquants à investir dans un second médicament qui sera efficace pour vous et pour les 30 à 50 % de patients qui ne répondent pas au premier ? Rien ne permet de l’affirmer. Dans un premier temps, cela permettra essentiellement au laboratoire de rentabiliser ses ventes de produits, en ne traitant que les personnes sur qui le produit agit et au système de santé (la sécu) de faire des économies... Bref, ça sera surtout plus rentable. Il est probable que ce type de dépistage sera effectué principalement sur les patients à qui l’on administre des traitements coûteux. Pour les autres (les plus nombreux), le jeu risque de ne pas en valoir la chandelle.
Par ailleurs, le caractère " sincère " de la déclaration de M. Roses doit être relativisé par... le contexte économique. Le 4 décembre 2003, Jean-Pierre Garnier, PDG de Glaxo, déclarait à la presse que sa société expérimentait une vingtaine de nouveaux médicaments dont certains (en particulier une molécule destinée à soigner plusieurs formes de cancer) pourraient se révéler " révolutionnaires ". Malgré cette annonce triomphaliste, les actions en bourse de Glaxo chutaient de 19 à 13 £ en quelques heures, car entre les projets et leur réalisation, il peut se passer plusieurs années, et les financiers le savent très bien.
(Voir The Guardian du 4 décembre 2003)
Quatre jours plus tard, tel un chevalier arrivant à la rescousse, Allen Roses reconnaît publiquement les imperfections des médicaments, laisse entendre que Glaxo " a la solution " et donne de son employeur l’image d’une société qui " veut parler vrai ".
Quant on connaît le rang de GlaxoSmithKline dans le Classement des compagnies pharmaceutiques en 2001, par résultats de ventes, on se dit que faire brusquement preuve d’une pareille "sincérité", c’est peut-être, tout de même, un peu trop beau pour être crédible.
Martin Winckler
GlaxoSmithKline se mêle aussi de l’enseignement de la médecine en France, comme on peut en juger en lisant cet article !!!
(Merci à Jean Robin, de l’AQIT de m’avoir signalé cette information)
AQIT - Association pour la Qualité de l’Information et de sa Transmission
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