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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)
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" Tact et mesure "
par Martin Winckler
Article du 5 janvier 2008

La notion de « tact et mesure » figure dans le Code de la Santé Publique (CSP) dans un article que tout médecin se doit de connaître. Le voici :

Article R4127-53
Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières.
Ils ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués. L’avis ou le conseil dispensé à un patient par téléphone ou par correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire.
Un médecin doit répondre à toute demande d’information préalable et d’explications sur ses honoraires ou le coût d’un traitement. Il ne peut refuser un acquit des sommes perçues.
Aucun mode particulier de règlement ne peut être imposé aux malades.

L’expression est utilisée de manière similaire dans les codes de déontologie des chirurgiens-dentistes, des sage-femmes, des biologistes et des pédicures-podologues.

Le gros problème c’est que cette expression n’est définie nulle part. Et pour cause. Car elle a pour but, essentiellement, d’appeler le professionnel concerné à « ne pas abuser » de sa position pour demander des honoraires excessifs.

Il est bien évidemment au moins stupide, au pire hypocrite, de penser que pareille expression peut avoir le moindre effet sur le comportement d’un professionnel lorsque celui-ci décide de ne pas respecter la réglementation des honoraires. Pour s’en tenir aux médecins : en France, pour les médecins conventionnés (qui s’engagent à appliquer des honoraires fixes afin que leurs patients soient remboursés sur cette base), le dépassement d’honoraire devrait être l’exception : en cas d’exigence particulière du malade - et perçue comme « excessive » par le médecin - en particulier.

Comme on l’a vu en lisant l’article de Salomé Viviana au sujet du décret récemment publié, les dépassements ne sont pas l’exception mais quasiment la règle parmi les spécialistes. Comme nombre de spécialistes exercent de plus dans une sorte de « zone de privilège » qu’on appelle le « Secteur 2 » (honoraires libres en partie remboursés par la sécu), on comprend que la notion de « tact et mesure » (qui n’est pas précisément définie, elle, contrairement aux tarifs officiels) a peu de chance d’avoir le même sens pour tous les praticiens.

Attendre d’un médecin de fixer ses honoraires « avec tact est mesure » est une hypocrisie : le tact et la mesure n’ont rien de « naturels », ce sont des mots porteurs de valeurs de classe, des mots codés en usage dans la bourgeoisie la plus archaïque, et aussi arbitraires que le fait de poser les couverts de chaque côté de l’assiette, dans l’ordre centripète des plats qui seront servis.

« Avec tact et mesure » est une expression qui présuppose que le médecin, de par son statut, de par sa fonction, de par son éducation, sait toujours agir de manière appropriée à l’égard des patients qui le consultent, non seulement par son comportement, mais aussi en fixant le montant de ses honoraires. Autrement dit, encore une fois, cela sous-entend que c’est au médecin de décider, et qu’il est le seul apte à le faire. C’est une valeur de classe dominante.

Pour le Conseil de l’Ordre, (et pour l’ancien code de déontologie, aujourd’hui inclus dans le Code de la Santé Publique) le « tact » et la « mesure » sont des notions laissées à la seule appréciation du médecin. Or, les textes (et les conceptions éthiques) les plus récents ont pour seul objectif de dire qu’aucun soin ne peut être pratiqué sans l’information pleine et entière et l’accord préalables du patient.

Dans Les Droits du Patient, Salomé Viviana et moi-même avons souligné la contradiction absolule qui persiste, dans le CSP, entre d’une part l’obligation incontournable d’informer le patient sur son état et la persistance d’un article de l’ancien code de déontologie (art. 35) qui autorise le médecin à décider « en conscience, dans certains cas » à ne pas révéler la vérité de son état au patient.

On ne peut pas dire une chose et son contraire. On ne peut pas d’une part affirmer « Le patient doit être informé avant tout acte médical » et d’autre part « le médecin peut décider seul de ne pas informer le patient ».

On ne peut pas dire d’une part « les tarifs des médecins doivent être clairement fixés et affichés à l’avance » et d’autre part « les médecins peuvent fixer leurs honoraires librement sous réserve que ça soit avec tact et mesure ». C’est incohérent. C’est inacceptable.

« Tact et mesure », expression archaïque, hypocrite et puant le XIXe siècle devrait, à mon humble avis, disparaître des codes. Le médecin doit appliquer les tarifs, un point, c’est tout. Et s’il est déconventionné, ou en honoraires libres, ces tarifs, il doit les afficher à l’avance, comme tout prestataire de services, les facturer et donner quittance au patient des sommes qu’il a reçues. Tout autre comportement - et en particulier la tarification fallacieuse, l’exigence d’un paiement en espèces sans reçu, les dessous-de-table et les « rallonges » pour convenance personnelle devraient être dénoncés systématiquement par les patients et sanctionnées immédiatement par la justice, par l’interdiction d’exercer et la condamnation pénale, comme le sont les agissements frauduleux d’un garagiste.

Or, quoi qu’en disent mes confrère, un médecin se doit d’être au moins aussi honnête qu’un garagiste et aussi respectueux de son métier qu’un pilote de Boeing.

Nous voulons tous avoir affaire à des garagistes aimant leur métier, scrupuleux, consciencieux et honnêtes et nous sommes très en colère quand nous nous faisons arnaquer ou flouer parce que nous ne connaissons rien à la mécanique. Et encore plus quand notre vie est mise en jeu par une réparation ou un entretien négligent.

Il en va de même des médecins. Il en est qui aiment leur métier et respectent les personnes. Il en est d’autres qui détestent l’un et les autres, et qui, sous prétexte de se « dédommager » de leurs insatisfactions professionnelles, de leurs frustrations personnelles, font payer sans vergogne ceux qu’ils sont censés servir.

Et puis il en est qui, tout imbus de leur importance, pensent que c’est à eux de fixer ce qu’ils valent, en monnaie sonnante et trébuchante. Ce n’est pas de l’escroquerie - ils sont persuadés d’être dans leur bon droit - c’est, tout simplement, de la vanité.

Mais soigner est un métier de relation et - sauf erreur de ma part - frustration, insatisfaction et vanité n’ont jamais été des qualités relationnelles et professionnelles.

Martin Winckler

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