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Referendum
L’Esprit d’Escalier de Mona Chollet, ép. 13
Article du 7 juin 2006

(Une chronique qui a un an d’âge et qui pourtant reste d’actualité. MW)

Quand je suis arrivée en France, il y a quelques années, je ne comprenais pas pourquoi tellement de gens, à gauche, haïssaient les socialistes. Moi, il me semblait quand même que les socialistes, c’était les gentils, dans l’histoire, ou en tout cas, que, à côté de la droite, c’était un moindre mal.

Ecouter la chronique sur le site d’ArteRadio

Mais là, depuis quelques semaines, ça y est. C’est bon, j’ai compris. Plus besoin de me faire un dessin. A force d’entendre sur toutes les antennes les partisans socialistes du « oui » à la Constitution brandir leur renoncement comme un étendard de respectabilité, je me sens envahie par un mépris d’une virulence qui me surprend moi-même.

Voilà des gens qui voudraient nous faire croire que ce débat oppose les pro et les anti-Européens, et que si on vote non, c’est qu’on est un bouseux partisan du repli nationaliste, alors qu’eux-mêmes se foutent éperdument de l’Europe. La seule raison qui les pousse à faire campagne pour le oui, c’est qu’ils sont obsédés par l’échéance de 2007 - en témoigne encore la photo pathétique de Hollande avec Sarkozy en couverture de Paris-Match. Excusez-moi, mais si ça, ce n’est pas un raisonnement de bouseux incapables de voir au-delà de leurs petites frontières nationales...

Ces gens sont prêts à subordonner l’avenir de 450 millions de citoyens à leurs chances de récupérer leurs voitures de fonction dans deux ans. Que la finalité de l’action politique puisse être autre chose que de se maintenir soi-même en tant que parti, ça ne leur vient même plus à l’esprit, et ça, c’est quand même très grave.

Au passage, ça donne lieu à des contradictions flagrantes : par exemple, Fadela Amara, qui est devenue le porte-drapeau de la laïcité en tant que présidente de « Ni putes ni soumises », mais qui est aussi élue locale socialiste, se prononce pour le oui à la Constitution, alors que le mot « laïcité » n’y apparaît nulle part, qu’il y est question au contraire de « dialogue avec les églises », et que le seul droit explicitement reconnu aux femmes est le droit ébouriffant de « se marier et de fonder une famille ». Waouh...

Comme ce n’est sûrement pas dans le traité lui-même que les socialistes vont trouver de quoi persuader leurs électeurs de voter oui (à moins de faire dire au texte ce qu’il ne dit pas et de taire ce qu’il dit, mais au bout d’un moment ça se voit), ils sont obligés d’avoir recours au catastrophisme le plus grossier. Ce que je ne peux plus supporter d’entendre, c’est que si le non l’emporte, ce sera « un nouveau 21 avril ». Mais pourquoi il y a eu un 21 avril, bande de pignoufs ? C’est justement parce que la gauche a déçu, parce qu’elle n’a pas su être à la hauteur des attentes de ses électeurs.

Et à l’avenir, si cette Constitution est adoptée, cette Constitution qui répète de manière obsessionnelle qu’à l’intérieur de l’Union, la concurrence doit être « libre et non faussée », que rien ne doit contrarier la loi du marché même en temps de guerre (article III-131), eh bien, même si la gauche revenait aux affaires en France, et même si elle voulait appliquer un vrai programme de gauche, elle ne pourrait pas, parce que ce serait anticonstitutionnel. Ce traité, c’est comme si on prenait la politique du gouvernement Raffarin depuis trois ans, et qu’on l’inscrivait dans la Constitution française. Est-ce que ce ne serait pas plutôt ça, qui nous promettrait des 21 avril en rafale ?

Le vrai souci de l’Europe, c’est chez les partisans du « non » de gauche qu’on le trouve, au contraire. Ce qu’ils disent, c’est qu’il faut refuser ce texte pour se donner une chance d’avoir un jour une vraie Constitution européenne. C’est-à-dire un texte neutre, comme doit l’être une Constitution, qui permette de mener des politiques de droite comme de gauche ; de conserver leur sens aux alternances politiques, et donc à la démocratie.

C’est fou comme ceux qui nous bassinent avec la démocratie comme critère de distinction d’avec les barbares du tiers-monde sont aussi ceux qui, au fond, la méprisent le plus. Ce qu’ils défendent, en réalité, c’est la ploutocratie. Et quand ils sont obligés d’en passer par la volonté populaire, ils mettent tout en œuvre, chantage, mensonge, culpabilisation, infantilisation, pour persuader les gens de voter contre eux-mêmes.

Mais ce qui fait plaisir, depuis quelque temps, c’est qu’on dirait que ça ne prend plus. Si les électeurs réussissaient à résister jusqu’au bout aux tentatives d’intimidation, ce ne serait pas un cataclysme, comme on veut le leur faire croire : ce serait un événement historique. Je suis déjà très heureuse de vivre dans ce pays ; mais si ses citoyens étaient capables de faire ça, je crois que j’en serais carrément fière.

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