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Pourquoi tant de gynécologues français (hommes et femmes) sont-ils/elles si obtus(es) ?
Article du 28 janvier 2005
Le courrier sur la contraception (et en particulier sur le comportement des médecins à ce sujet) est quasi-quotidien dans ma boîte à lettres. Deux messages récents m’ont paru synthétiser assez exactement l’irritation des femmes (et de leurs compagnons) et leurs interrogations au sujet du comportement des gynécologues. Les voici, suivis de mon point de vue sur le sujet.
NB : Légendes des illustrations : en tête d’article, un Mirena (DIU hormonal) dans une main (taille réelle). Si vous passez votre souris sur l’image, vous verrez un DIU au cuivre en place dans l’utérus. Les DIU au cuivre font la même taille que le Mirena. Ils tiennent dans la main, eux aussi. Ils sont souples, et ne peuvent absolument pas traumatiser (ou "perforer") un utérus. Comme le disait Lippes, un des inventeurs du DIU : "Ce n’est pas le DIU qui perfore, c’est le médecin !!!"
J’ai reçu d’abord, il y a quelques jours, un message de Sophie, que voici :
Je viens de lire votre denier article concernant les conditions de pose d’un DIU. J’ai consulté le moisdernier une gynéco que je ne connaissais pas pour changement de contraception et intention d’utiliser un DIU. Après examen durant lequel je lui ai fait part de ma préférence pour un DIU cuivre, elle m’a répondu : "C’est ce que j’allais vous prescrire parce que vous ne pouvez pas avoir un DIU hormonal." Moi, étonnée : "ah bon ? "
- "Oui, puisque vous avez eu des césariennes, vous n’avez pas accouché ; donc votre col est trop étroit. Et les DIU hormonaux sont plus gros.
Si je traduis, je dois comprendre deux choses :
- 1) Une femme ayant subi des césariennes est considérée comme nullipare vis à vis du DIU. [1]
par extension :
- 2) Une femme qui n’a pas eu d’enfants ne peut avoir recours à un DIU hormonal. [2]
Sur le moment, je n’ai rien dit. J’allais avoir ce que je voulais. Pourtant ça m’a gonflée d’entendre encore cette ineptie. Une fois rhabillée, je lui lance innocemment : " Je suis étonnée parce que j’ai lu .... " (Je vous passe le mini-exposé qui a suivi.)
Elle interrompt sa manipulation informatique, me regarde et me demande :
- "Je peux vous demander où vous avez eu toutes ces informations ?"
Ca ne m’a pas plu du tout. Cette question voulait dire qu’en tant que patiente je n’avais pas à connaître tout ça. J’ai répondu du tac au tac (je suis plutôt réservée mais lorsque je me sens vexée, je démarre au quart de tour) que j’avais quand même trente-six ans et que je commençais à connaître deux trois trucs sur la question. Et que comme les trucs en questions m’interessent, je me suis toujours documentée. Je lis notamment des articles publiés par Martin Winckler, vous connaissez Martin Winckler ?.
- Oui, oui... me répond-t-elle mi-figue mi raisin.
J’en ai conclu que Madame C. en a un peu marre de voir entrer dans son cabinet des patientes qui on noté dans leur petit carnet à spirales deux ou trois références de DIU. J’en ai conclu également, et je ne crois pas exagérer, que des patientes qui connaissent bien leur corps et qui entendent avoir le droit de choisir leur mode de contraception en accord avec le professionel qu’elle ont choisi de consulter sont des emmerdeuses.
Je voudrais rassurer madame C. ainsi que tous les médecins de tout bord : Nous ne voulons pas prendre leur place, nous ne prétendons pas détenir toutes les connaissance qui font qu’elles sont médecin et pas nous. Nous souhaitons simplement être acteur de notre santé - de notre vie, quoi !
Sophie
Quelques jours plus tard, c’était au tour de P. (un homme) de m’écrire un message dans le même sens.
Bonjour,
Tout d’abord MERCI !
Oui merci pour la clarté des informations que vous diffusez sur votre site. Et puis aussi merci pour cette émission sur RMC avec B.Lahaie diffusée le lundi 24 Janvier, où au fil des questions je n’ai cessé d’apprendre, et d’approfondir mes connaissances.
- Je vous écrit aujourd’hui sur une question récurrente (qui doit surement vous agacer) : Le stérilet sur des jeunes femmes qui n’ont pas encore eu d’enfant !
- Ma copine me soutient que son gynéco ne veut pas lui poser de stérilet.
J’ai bien lu toute vos questions réponses, mais je n’arrive pas à savoir pourquoi les gynéco disent cela ? Est ce que c’est ce qu’ils apprennent à l’école ? Ma question est simple : Pourquoi ? Pourquoi il y a-t-il deux positions sur ce sujet ? On a bien aujourd’hui des retours "d’expérience" à ce sujet ? Ce sujet a une importance, car de la contraception ressort obligatoirement les relations sexuelles entre deux personnes.
P.
Ma réponse à P.
Bonjour
Non, votre question ne m’agace pas... Je me la pose moi-même sans arrêt. Et votre message me permet d’y répondre...
Le refus de poser des DIU aux femmes sans enfants résulte effectivement de ce qu’on enseigne dans les facultés de médecine. En France, on a décrété il y a 30 ans que le DIU pouvait être cause de stérilité par infection des trompes. Cela a été démenti par les faits et par de nombreuses études, menées dans le monde entier, en particulier dans des milieux très défavorisés où on pouvait craindre que le manque d’hygiène et la fréquence des MST rendrait la pose des DIU dangereuse. Or, il n’en est rien.
Ce qui provoque des infections et éventuellemnt des stérilités, ce sont les partenaires sexuels, et non le DIU. Et cela, quelle que soit la méthode de contraception. Et le risque n’existe qu’au moment de la pose (si la femme est porteuse d’une MST à ce moment-là). Donc, dans un couple monogame (sans risque de MST) il n’y a aucun risque à poser un DIU.
Malheureusement, le mode de formation des gynécologues français est tel que ces messieurs-dames ne se mettent pas à jour de leurs connaissances. Comme, en plus, on les a terrorisés ("le DIU est dangereux" ; "attention aux procès que les patientes risquent de vous faire", etc.) et, comme la formation les porte plutôt à inciter les femmes à avoir des enfants (et non pas à ne pas en avoir), ils voient les choses de manière complètement partiale. Et bien sûr, un gynécologue pense qu’il doit tout faire pour aider les femmes à avoir le plus d’enfants possibles (en tout cas, c’est l’idée qui prédomine dans la spécialité) - y compris l’inciter fortement à en avoir même quand elle n’en veut pas.
Pendant longtemps les grossesses tardives (après 40 ans) étaient considérées comme à risque. Ce n’est plus le cas (on peut accoucher sans problème à 45 ans, car les femmes sont en bien meilleure santé qu’il y a 30 ans) mais les gynécos voient avec inquiétude l’âge moyen de la première grossesse s’élever : beaucoup de femmes choisissent d’avoir leur premier enfant après 30 ou 35 ans. Certains gynécos voient ça comme une menace... Allez savoir pourquoi !
Il faut une certaine maturité (cela, trop de médecins en manquent) pour comprendre que les gens qui consultent un médecin sont seuls maîtres de leur vie et que ce n’est pas au médecin de décider pour eux ou pour elles.
Je comprends qu’on veuille être prudent ; je comprends mal qu’on ne se renseigne pas, et qu’on impose une prudence ou un diktat irrationnels alors que l’état des connaissances scientifiques est rassurant.
De plus - c’est moins connu du public, mais nous l’observons tous les jours - les préjugés sexistes ont la vie dure dans la profession médicale, et beaucoup de médecins (y compris les femmes médecins, malheureusement) continuent à voir leurs patients comme des irresponsables et leurs patientEs comme étant encore plus irresponsables !
Alors que l’attitude la plus saine consisterait à se tenir à jour de ses connaissances, à accueillir toute nouvelle notion avec intérêt, et à appliquer ce qu’on sait pour le profit des personnes qui se confient à nous...
Bref, si les gynécologues disent encore qu’on ne peut pas poser des DIU à des femmes sans enfants, c’est parce que leur idéologie, leur immaturité ou leur manque d’intelligence les empêchent d’admettre la réalité... et de mettre leurs compétences au service des femmes. (Souvent, on a le sentiment que beaucoup de médecins veulent, au contraire, que les patients se plient à leur savoir... même si ce savoir date).
Ce n’est pas une réponse très gaie que je vous fais là, mais au moins elle peut vous permettre de "tester" la personne que vous avez en face de vous.
Si votre amie a un problème avec son gynéco, qu’elle lui fasse lire les recommandations officielles de l’ANAES - affichées sur cette page
Si le/la gynéco n’est pas rassuré(e) par ces recommandations, alors, il vaut mieux qu’elle change de gynécologue.
Amitiés
Martin W.
[1] Note de MW : Effectivement, c’est ainsi que les gynécologues les voient, parce que le col (l’orifice) de l’utérus n’a pas été agrandi lors de l’accouchement. Mais ça n’empêche nullement de poser un DIU... puisqu’on en pose aux femmes qui n’ont jamais eu d’enfant
[2] Note de MW : Il est vrai qu’un Mirena (DIU hormonal) a un diamètre un peu plus grand, ce qui rend la pose plus délicate chez une femme n’ayant pas d’enfant ou n’ayant pas accouché par les voies naturelles, mais on peut quand même essayer de le poser si la femme le désire ! ! ! ! ! Et il y a des moyens simples (anti-inflammatoires avant la pose ou, en dernier recours, anesthésie locale ou prostaglandines) - pour rendre le col " franchissable " sans que ce soit pénible pour la femme. Encore faut-il VOULOIR le faire... et rassurer la femme. Aucune femme rassurée, décidée et bien préparée ne s’est jamais tordue de douleur quand je lui ai posé un DIU. La plupart sont étonnées de n’avoir pratiquement rien senti. Il faut dire aussi que je n’utilise plus jamais de pince de Pozzi pour poser un DIU Lire ce que j’écris ailleurs à ce sujet...
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