|
Courriers et contributions >
Edito
Les sans papiers interdits de pélerinage à Lourdes
par Thierry La Fronde
Article du 30 août 2006
Samedi 19 août 2006, Paris gare Montparnasse, 10 heures.
Les derniers passagers s’empressent de monter dans le train bondé en partance pour Lourdes. Une foule multicolore, de tous âges. De nombreux prêtres, des groupes de jeunes chrétiens, des personnes souffrantes, de fervents chrétiens... partent en pèlerinage à Lourdes. L’ambiance est bon enfant.
Cinq heures plus tard, arrêt en gare de Pau. Les passagers, fatigués, ne sont plus qu’à 45 km de leur destination. La police monte dans le train ; contrôle d’identité, comme aux heures les plus sombres de l’histoire de notre beau pays...
De nombreux sans-papiers sont interpellés ; pourtant, ce ne sont pas des truands mais des chrétiens pratiquants, respectueux de l’ordre social, qui avaient payé leur billet aller-retour. Parmi eux, une femme stérile qui allait prier pour demander un enfant, une autre qui espérait obtenir la guérison de son diabète...Pour ces personnes, le voyage s’arrêtera là : un aller-simple ; le retour, payé avec leurs maigres économies, puisqu’ils ne peuvent pas légalement travailler, ne leur sera évidemment pas remboursé. Pourtant, on ne peut pas reprocher à ces étrangers en situation irrégulière d’être adeptes d’une religion qui serait incompatible avec les valeurs et la culture françaises.
La police ne va pas les ramener à Paris, ce serait trop compliqué ; trop long, trop loin, ça coûte trop cher. Elle va les escorter galamment jusqu’au flambant neuf centre de rétention administrative de Toulouse, prison qui cache pudiquement son nom, au motif qu’elle dépend du préfet et non de l’administration pénitentiaire.
Par souci d’efficacité, ce centre est situé à proximité de l’aéroport de Blagnac, ce qui permet aux sans-papiers de monter rapidement dans l’avion, en évitant à l’Etat de payer de longs trajets avec escorte policière.
Ce centre a déjà fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale parce que les avocats toulousains refusent de se rendre aux audiences du juge de la liberté et de la détention qui ont lieu dans des locaux contigus à ceux d’hébergement (puisqu’il ne faut pas dire « internement »).
L’implantation de cette antenne du tribunal est une initiative du préfet de la Haute-Garonne, qui a fortement incité les magistrats à tenir leurs audiences sur place, pour lui éviter d’avoir à organiser un incessant ballet de détenus, coûteux en « hommes-temps » pour la police, entre Blagnac et le centre ville de Toulouse où sont installés les tribunaux.
Au grand dam des avocats qui défendent encore l’idée que la justice doit être indépendante et non à la botte du préfet, les juges judiciaires, à l’étroit dans leurs locaux actuels, ont accepté de siéger sur place. Quant aux juges administratifs, juges de la reconduite, ils ont refusé, estimant que, loin de leurs sources documentaires et isolés de leurs collègues dont ils sollicitent parfois l’avis dans les couloirs, ils ne pourraient pas juger sereinement.
Ces privilégiés, qui défendent leur confort, ne comprennent pas non plus pourquoi ce serait à eux de se déplacer alors qu’en règle générale, ce sont les requérants qui se rendent devant le juge. Certains estiment même que leur temps est aussi précieux que celui des policiers.
C’est dans ce contexte que, isolés de leurs proches qui résident en banlieue parisienne, les sans-papiers les mieux informés, notamment grâce à la CIMADE, ont intenté des recours pour demander l’annulation des décisions de reconduite.
Il arrive qu’avec l’aide d’un bon avocat, certains d’entre eux obtiennent gain de cause. Les rares miraculés seront alors libres soit de poursuivre leur pèlerinage pour remercier le ciel de sa clémence, soit de rentrer chez eux par leurs propres moyens, leur billet de train étant périmé.
Moralité : sans-papiers, ne partez pas en pèlerinage à Lourdes, cela risque de vous coûter fort cher. Contentez-vous de prier chez vous, le Tout-Puissant vous le pardonnera.
Pour en savoir plus sur les méthodes actuellement utilisées pour arrêter les sans papiers
Imprimer
|