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Le médecin français et le consentement éclairé
par Martin Winckler (Pratiques, n°31, Octobre 2005)
Article du 22 octobre 2005
Le numéro 31 de la revue Pratiques est consacré à "Justice et médecine". Entre bien d’autres textes passionnants, il publie un article rédigé par Salomé Viviana sur le cadre juridique du consentement. Voici le texte que j’ai écrit, sur la suggestion de Salomé V., au sujet du consentement "vu par le médecin".
La principale difficulté que rencontre, en France, la mise en place du consentement éclairé du patient à un geste médical - quel qu’il soit - réside, en grande partie, sur la manière dont les médecins sont (dé)formés dans leur manière d’appréhender la personne qui leur fait face.
Ce qu’il est difficile de comprendre (car c’est proprement incompréhensible) c’est que l’idée de demander au patient son consentement est profondément opposée, dans sa nature, aux idées qui président à la formation des médecins dans notre pays.
En France, les facultés de médecine n’enseignent pas le soin mais la médecine - autrement dit : un savoir qui fut longtemps empirique et aspira au même statut de reconnaissance que les sciences exactes, et qui compense ses - très nombreuses - incertitudes et zones d’ombre par une rigidité souvent névrotique. (...)
Le site de la revue Pratiques
(...) Or, la question du consentement est au cœur de toutes les activités médicales. Ainsi, il semble « naturel » qu’un médecin examine le patient qui vient lui présenter des symptômes. Mais est-il « naturel » que le médecin ne lui en demande pas l’autorisation ? Est-il « naturel » que le médecin fasse déshabiller le/la patient(e) entièrement ? Qu’il l’examine seul ou (à l’hôpital) devant un aréopage d’autres professionnels, chevronnés ou en formation, voire devant un(e) autre patient(e) dans une chambre à deux lits ?
Non, ce n’est pas naturel mais ici, c’est l’usage. Il en va très différemment dans d’autres pays (l’Angleterre, les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Scandinavie) où l’on n’examine jamais un patient nu (mais vêtu d’une chemise fine, qui n’entrave pas l’examen), où le praticien met toujours des gants en latex, où l’examen se fait souvent en présence d’un tiers (une infirmière) qui sert de repère aux deux protagonistes et où, par exemple, le refus du patient d’être examiné ou soigné est considéré comme l’expression d’une liberté inaliénable.
Dans ces pays, la question du consentement, posée dès la rencontre entre patient et soignant, fait l’objet d’une réévaluation permanente. En revanche, selon l’idéologie dominante dans le corps médical français, cette rencontre présuppose de la part du patient une confiance qui confine au renoncement : sous prétexte que tout malade est en position de faiblesse (ce qui est souvent vrai), on laisse entendre que la maladie annule toute capacité décisionnelle de sa part (ce qui est souvent faux) ou que tout patient qui consulte est un malade qui s’ignore (ce qui est encore plus faux).
Cette vision des choses résulte d’une vision de soi - toujours très ancrée, sinon dans l’enseignement, du moins dans l’esprit des praticiens et dans les exemples de comportement qu’ils livrent aux soignants en formation - qui représente le médecin comme un être supérieur à ceux qu’il reçoit.
Il en découle de la part de nombreux praticiens une fâcheuse tendance à porter sur le patient qui consulte une série de jugements - sur sa manière de présenter les symptômes, l’interprétation qu’il en fait, les conclusions qu’il en tire, les attentes qui en naissent... et bien sûr les réticences qu’il peut, légitimement, opposer aux déclarations du médecin.
Cette propension au jugement (le plus souvent négatif) est évidemment défensive et névrotique, car elle témoigne d’une grande immaturité affective chez le médecin qui en est le jouet. Sans compter (et cela mériterait un développement en soi) que la maladie (réelle ou fantasmée) « apportée » par le patient renvoie également le médecin à sa propre peur de la maladie, de la déchéance ou de la mort alors qu’il n’a, le plus souvent, jamais eu la possibilité d’aborder ces questions pendant ces études car on lui a laissé entendre qu’elles n’avaient rien à voir avec son métier...
On comprend donc que nombre de médecins se sentent violemment remis en question par un patient qui refuse un traitement, voire déclare qu’il ne veut pas vivre - et qu’ils cherchent à tout prix à le plier à leur vision parfois « bienveillante » mais pas du tout « neutre ».
Sommé (par ses maîtres) de faire le bien des malades (qui sont réputés ne pas savoir ce qui est bon pour eux), le médecin inexpérimenté se trouve ainsi pris entre deux options contradictoires : appliquer à la lettre les règles qu’on lui a enseignées (donc, contraindre ou persuader le patient à faire quelque chose que le médecin juge approprié) ou « se plier » aux diktats des patients (et donc, trahir ce qu’il croit être son serment).
Or, dans la réalité complexe des rapports humains, les choses ne sont jamais aussi simplistes que cela : le patient qui fait appel au médecin lui livre ce qu’il veut bien livrer, il a des aspirations, des craintes, des demandes plus ou moins formulées, et le médecin lui fait des propositions fondées sur ce qu’il croit avoir compris, en cherchant à s’accommoder de ce qui chez le patient le choque, le dérange, l’attire ou le met mal à l’aise.
Bref : la relation de soin est une négociation permanente, souvent longue, qui nécessite patience, respect, intelligence, tolérance, imagination, humour... des deux côtés - autant dire : une grande maturité de la part des protagonistes.
S’il n’est pas toujours facile de faire preuve de maturité quand on est malade, on pourrait cependant attendre du médecin (qui, en général, est en bonne santé) d’être suffisamment bien formé pour avoir appris cette maturité, et l’humilité qui en découle. Malheureusement, maturité et humilité ne font pas partie des objectifs d’enseignement.
Lors d’une relation de soin « idéale » - vers laquelle il est toujours possible de tendre, ce que font le plus souvent les praticiens qui ont participé à des groupes Balint, par exemple -, après une patiente « mise à plat » du problème par les deux parties, les options thérapeutiques sont choisies par le patient parmi les propositions explicitées par le médecin et le médecin soutient le patient dans son choix. Ainsi, le patient exerce son autonomie ; le médecin exerce son métier au mieux de ses compétences, et la question du consentement n’est plus un problème, puisqu’il s’agit d’œuvrer à un projet commun.
En revanche, tant que les médecin concevront leur travail comme une « mission » quasi évangélique qui consiste à mettre le patient sur la voie de la sagesse (celle de la médecine), le consentement restera une question épineuse, qu’aucune loi ne pourra résoudre.
Martin Winckler
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