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Le médecin patraque, 6
"J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : vous êtes guéri !"
Un médecin raconte son cancer...
Article du 27 décembre 2010
Le médecin patraque est un médecin écrivain de grande expérience. Sa dernière expérience en date : un cancer. Il nous en parle à tous, médecins et non-médecins. MW
PS : Oui, c’est un médecin réel (et non, ce n’est pas moi) Son pseudonyme est destiné à lui permettre de prendre du champ.
Et maintenant, j’en suis à un stade très étrange : j’ai été opéré, j’ai fini ma chimiothérapie, et je suis censé « être guéri ». Seulement, voilà, en matière de cancer, le terme de guérison n’a pas du tout le même sens que dans les autres maladies. ..au contraire.
Une guérison, ça signifie, le plus souvent, qu’on peut tourner la page et tout oublier ; et même parfois (certaines maladies infectieuses) qu’on est immunisé contre les récidives.
Pour le cancer, au contraire, une fois « guéri », on est condamné à vivre éternellement avec l’épée de Damoclès de la récidive, qui peut se produire n ‘importe quand, dans quinze ans comme dans trois mois ; et cette récidive est d’un pronostic bien plus sombre que la manifestation initiale dont on est « guéri » ; elle témoigne de l’inefficacité relative des traitements classiques qu’on a subis, et oblige le plus souvent à passer à d’autres traitements, plus lourds et plus expérimentaux.
Et ma vie sera désormais rythmée par les contrôles systématiques que j’aurai à subir tous les trois mois pour rechercher une récidive ( scan ou PET-scan, échographies, marqueurs biologiques, etc.), et qui m’empêcheront de croire que « je suis guéri » ; d’ailleurs, le cathéter laissé en place pendant deux ans au moins est là pour me rappeler à la réalité si j’avais tendance à l’oublier.
Il paraît que j’ai de la chance ( ? ? ?) : contrairement à bien d’autres cancers, la probabilité de récidive des cancers du colon diminue avec le temps ; elle deviendrait beaucoup moins probable si elle ne s’est pas produite dans les trois ans, et très improbable au-delà de cinq ans (je vous fais grâce des chiffres), ce qui permet alors d’espacer la fréquence des contrôles : vivent donc les statistiques...même si je ne peux pas savoir où se situera, dans les statistiques, mon cas particulier, qui, je l’avoue avec honte, m’intéresse beaucoup plus que les autres, allez savoir pourquoi.
On a beau avoir résolu de mener une vie normale entre deux contrôles et de ne plus y penser tous les jours (ça, j’y arrive assez bien : la capacité d’accoutumance de notre psychisme aux pires situations est vraiment étonnante), il y aura toujours un petit suspense à chaque contrôle, en attendant le résultat ; là encore, avec mon contrôle tous les trois mois, j’ai de la chance : ma copine, qui a fait une récidive de son cancer du poumon au bout de six mois, a droit à un contrôle tous les deux mois...
Les réactions à cette étrange situation de « tout à fait guéri mais absolument pas guéri » varie beaucoup selon la personnalité de chacun : ma copine me dit qu’elle ne fait plus aucun projet à une échéance supérieure à deux mois ; moi, au contraire, je me lance dans des projets à long terme, et je réfléchis à un nouveau livre ; et si je meurs avant de l’avoir terminé, l’humanité devra s’en passer : dur, pour l’humanité ! S’en remettra-t-elle ? Je ne serai plus là pour en juger.
Mais au fond, qu’il y a-t-il de si extraordinaire dans cette situation où, à intervalles réguliers, mes bilans me rappelleront ma condition de mortel ? Quelle différence avec les trappistes, qui ne se rencontrent jamais sans que l’un ne dise : « Frère, il faut mourir », et que l’autre ne lui réponde : « Frère, mourir il faut » ? Comme je le disais dans une précédente chronique, un cancéreux n’est qu’un mortel comme les autres, mais qui sait qu’il va mourir un jour, alors que les autres croient le savoir.
"Le médecin patraque"
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