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Pourquoi écrit-on ?
Ironie du sort
un texte de Sophie Martinet
Article du 24 janvier 2004
On écrit, et on aimerait bien que ce qu’on écrit soit lu. Mais il faut être publié, et ça, ce n’est pas de la tarte. Sophie Martinet nous parle de sa récente expérience et nous fait partager ses impressions mitigées. Avec talent et humour. (Note de MW)
J’ai vite réalisé que mon manuscrit ne trouverait pas d’éditeur. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je le sais.
Depuis le premier refus, j’attends les quatre autres avec impatience. J’ai hâte d’en finir car je suis mal à l’aise. J’éprouve un certain embarras aujourd’hui d’avoir envoyé mon manuscrit. Il a fallu que je l’envoie à des éditeurs pour que je comprenne qu’il ne fallait pas que je l’envoie.
A présent, je voudrais me faire oublier ; tout reprendre à zéro. Sophie, tu n’es qu’une sale orgueilleuse", me répète chaque jour une petite voix au creux de moi. Je n’aime pas toujours l’entendre cette petite voix ; je n’aime pas l’entendre dire la vérité qui blesse.
Bien sûr, j’envisageais l’échec. J’avais si peu de chance d’être publiée. Pourtant, l’espoir que je nourrissais, si faible fut-il, je l’avais magnifié. La goutte d’espoir dans l’océan de lucidité ; elle ne pesait pas si lourd ! Mais c’était sans compter la puissance de cette goutte, de l’essence d’espoir, du substrat. Je n’avais en bouche que la saveur sucrée de cette goutelette qui masquait l’amertume et l’apreté de la lucidité.
L’attente du courrier ou du coup de fil, l’espoir, les rêves, comme si je repassais mon bac. J’avais du mal à penser à autre chose. Pourquoi pas moi ?
Les jours qui avaient précédé l’envoi de mon manuscrit chez cinq éditeurs avaient été les plus beaux.
Transportée, presque ivre de joie, je n’ignorais pas pour autant que mon manuscrit et moi étions en train de vivre nos meilleurs moments. Ma petite voix ne cessait de me chuchoter à l’oreille "Chante beau merle !" Je l’entendais mais j’entendais aussi celle qui me disait "Tu as travaillé pour ça et quoiqu’il advienne, tu l’auras fait."
Le jour où j’ai posté mes cinq enveloppes, j’ai été prise de terribles mots de ventre. Des contractions ?
Je confiais à d’autres mon nouveau-né, attendant qu’ils me disent s’il était réussit ou pas.
IRONIE DU SORT : Dans Télérama, une critique littéraire porte le titre de mon manuscrit. Mon fils voit ça et s’écrit : "T’as été publiée maman !" J’ignorais qu’il guettait à ce point la publication du livre-de-maman.
Le comique de la situation m’amuse et je pourrai me consoler en me disant que le titre de mon bouquin a été cité dans Télérama (On se raccroche aux branches comme on peut).
Depuis plus d’un mois, je n’écris plus du tout.
IRONIE DU SORT : Mon ordinateur a attrapé un mauvais rhume. Depuis, il a recouvré toutes ses facultés sauf une : Le traitement de texte. Je peux le réinstaller autant de fois que je veux, rien à faire, les fichiers sont inaccessibles. Ils sont tous là mais...verrouillés.
Je m’occupe, je m’étourdis devrais-je dire. Je fais la gueule à celle qui a écrit un manuscrit dont on ne voudra pas. Je suis en désamour de ce que j’ai écrit avec amour. Je le renie, le répudie ; je ne l’aime plus.
Arrive la question qui tue : "Suis-je vraiment faite pour l’écriture ?" Et pourquoi pas "to be or not to be ?" Je me sens encore plus ridicule.
Je joue la fille de l’air ; j’ai un emploi du temps de ministre. Que c’est bon de ne pas écrire. Quelle tranquilité d’esprit, quelle paix intérieure ! J’ai enfin le temps de ranger le sous-sol de fond en comble, d’aller donner un coup de main à la bibliothèque, de faire de grandes ballades dans les bois...Ah non vraiment, écrire, quel sacerdoce !!!
Pourtant dans mon sous-sol, à la bibliothèque, dans les bois et un peu partout où je vis, j’écris. Je n’ai pas encore repris mes instruments et pourtant j’écris ce que j’écrirai lorsque j’aurai digéré. Ce nouveau projet s’impose à moi. J’y pensais depuis si longtemps déjà !
Mais je ne déroge pas. Je boude, je me mets en veilleuse, usant de cette expérience douloureuse comme d’une leçon d’humilité. Positive ai-je décidé de rester, à profit mettrai-je mon vol plané. Je suis déçue mais surtout vexée (ça, c’est ma petite voix qui me le dit) "Tu as mal parce que tu as confié tes sentiments et qu’on ne te l’a pas bien rendu. Reconnais que c’est ça", renchérit-elle.
Elle a raison cette petite voix. Mon père et l’Ecrivain (l’Ecrivain, c’est Martin Winckler), c’est d’abord pour eux que j’avais écrit. Comment avais-je pu ignorer ce fait incontournable ? Demain, j’irai encore marcher ; ça me fera du bien.
IRONIE DU SORT : Sur son site, Martin Winckler annonce la parution d’un ouvrage collectif auquel il a participé "Le père disparu". Je lis ces mots " On le croit disparu et il revient sans cesse se mêler à nos vies, fantôme terrifiant surgi soudain des eaux noires du passé, ou bien, tout au contraire, bon génie tutélaire, compagnon invisible veillant à nos côtés". Cette phrase résume mon manuscrit. Ca me torture sur le moment, ça m’apaise ensuite. L’après-midi même, je me rends à la librairie où il n’ont jamais en stock le bouquin que je souhaite.
Celui-là, ils l’ont. Le père disparu, c’est mon manuscrit disparu. Disparu en tant que tel et pourtant existant. Je me dis que finalement, ce manuscrit était seulement fait pour être écrit et non pour être lu.
C’est décidé ; je reprendrai bientôt mes stylos (j’en ai acheté deux à la librairie).
Sophie Martinet, Janvier 2004
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