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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)
Les médecins, les patients, et tout ce qui s’ensuit... > Questions d’éthique >


En relisant le "serment d’Hippocrate"
un commentaire en trois mouvements, par Martin Winckler
Article du 29 septembre 2008

Premier mouvement : une chronique sur arteradio.com

Le fait que tous les étudiants en médecine prononcent le serment d’Hippocrate avant de - et peut-être pour - devenir médecins est présenté comme un événement-clé de la formation médicale. C’est vrai dans la mesure où cette prestation de serment est un rituel extrêmement ancien - Hippocrate, le plus ancien médecin et chirurgien connu, vivait dans la Grèce de l’Antiquité - et où elle clôt symboliquement la formation. Mais en général, les non-médecins ne connaissent pas la teneur du serment... et peu de gens le commentent. Aujourd’hui, je vais vous le lire, et vous dire ce que j’en pense.

Le serment commence par : " Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, tous les dieux et toutes les déesses, je les prends à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et engagement suivant..." C’est donc un serment équivalent pour l’époque du fait de prêter serment sur la Bible comme on l’a fait longtemps en Europe et comme on le voit faire régulièrement dans les séries télévisées américaines aujourd’hui. C’est un serment religieux.

« Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins.  » Cette phrase indique que celui qui a enseigné la médecine à l’étudiant est aussi important que les gens qui lui ont donné le jour. C’est tout de même une déclaration extrêmement sérieuse, puisqu’elle est porteuse d’une obligation de loyauté très lourde de conséquences. Selon ce serment, un « maître » de médecine (et par extension un confrère) ne peut jamais être contesté ni son comportement dénoncé.
Ce qu’on ne dit pas non plus, c’est que la phrase originelle ne signifie pas "je partagerai mon avoir", mais "je partagerai... ma substance". Autrement dit : mon sperme. Les relations de mentor et d’élèves étaient des relations pédérastiques, dans la Grèce antique... Je me demande pourquoi on oublie tout le temps de le rappeler... Pareil pour "je pourvoierai à ses besoins". Il s’agissait de ses besoins sexuels...

« Je tiendrai ses enfants pour des frères et s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. » Ce qui sous-entend qu’on doit transmettre la médecine aux enfants de ses maîtres mais pas aux autres... et renforce le caractère confidentiel de la transmission des connaissances médicales. Car la médecine est la continuation des anciennes pratiques de sorcellerie et de divination, qui ne se transmettaient qu’entre initiés.

« Je la leur enseignerai sans salaire ni engagement, je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et serment suivant la loi médicale, mais à nul autre  » renforce la notion de secret dans la transmission de cet art. Le serment d’Hippocrate est un serment qui assigne le médecin au secret de son art. Autrement dit : si l’on se conformait au serment d’Hippocrate aujourd’hui, il faudrait ne donner AUCUNE éducation sanitaire aux non-médecins...

« Je dirigerai le régime des malades à leur avantage suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. » Cette phrase sous-entend que le médecin est, de par le fait qu’il est médecin, habité de vertus qui lui permettent de décider à la place des gens de ce qui est bon pour eux, et aussi de ce qui est mauvais... Autrement dit, le médecin lui seul pourrait définir, parce qu’il est médecin, ce qui est bon ou mauvais dans son propre comportement...

« Je ne remettrai à personne du poison si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion.  » Autrement dit : je n’aiderai personne à tuer, mais aussi, à mettre fin à ses propres jours. Assassinat et suicide sont ici mis sur le même plan... Mais ce que ça ne dit pas c’est que le suicide était considéré comme honorable, en soi.

« Semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif.  » Un pessaire abortif est un petit objet - ou une décoction de plantes - que les femmes mettaient au fond du vagin pour avorter. La prohibition de l’avortement pour tout le monde y compris pour les médecins, date de l’Antiquité. Cette prohibition est aujourd’hui essentiellement religieuse, non sociale, puisque l’avortement est légal et médicalisé dans de nombreux pays du monde, en particulier en Europe. Ce qu’on oublie c’est que les femmes n’avaient pas d’autonomie dans la Grèce antique. Il n’était pas question de remettre un abortif aux femmes, dont l’utérus appartenait à leur époux... Mais on pouvait en donner à leur mari, s’ils le jugeaient utile.

« Et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté.  » Même remarque que pour le mal et l’injustice...

« Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille...  » Il s’agit de l’ablation de la vessie. On se demande ce que ça vient faire là, mais il est probable qu’historiquement cette intervention devait avoir une grande importance symbolique - peut-être similaire à une émasculation : un homme qui n’a plus de vessie ne peut plus uriner par les voies naturelles...

«  Dans quelque maison que j’entre, j’y entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait, et de tout acte volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons libres ou esclaves. » Ici, Hippocrate nous rappelle en passant que, dans la Grèce antique, on pouvait séduire indifféremment les filles ou les garçons, et que le statut du médecin pouvait l’amener à avoir un comportement séducteur - et d’user de son autorité pour obtenir les faveurs sexuelles des personnes dont il s’occupait. C’est bien entendu toujours le cas aujourd’hui.

« Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice, ou même hors de l’exercice de ma profession, je le tairai, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. » Là encore, on sous-entend que le médecin est seul apte à décider ce qui est bon à dire ou à taire. Aujourd’hui, la notion de secret médical est source de bien des interprétations, de bien des manipulations, de bien des confusions...

«  Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes. Et si je le viole et que je me parjure, puissè-je avoir un sort contraire. »

(Extrait des Oeuvres complètes d’Hippocrate, traduites par Emile Littré, Paris, Baillière 1819-1861. )

*

Deuxième mouvement : le serment revu par l’Ordre des médecins français

En France, le serment d’Hippocrate a été « réactualisé » par Bernard Hoerni, médecin, écrivain et membre influent de l’Ordre des médecins, en 1996. (Bulletin de l’Ordre des médecins - n°4 - avril 1996). Voici ce texte. Je vous laisse le soin de le commenter vous-même et d’identifier en quoi il est - ou non - plus adapté à la pratique médicale du 21e siècle.

Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité.

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions.

J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.

Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité. J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.

Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.

Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera.

Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.

Admis(e) dans l’intimité des personne, je tairai les secrets qui me seront confiés.

Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les moeurs.

Je ferai tout pour soulager les souffrances.

Je ne fournirai aux femmes aucun abortif

Je ne prolongerai pas abusivement les agonies.

Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.

Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission.

Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences.

Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.

J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.

Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque ».

(Pr Bernard Hoerni - Bulletin de l’Ordre des médecins - n°4 - avril 1996)

*

Troisième et dernier mouvement : le serment des Trois Médecins

Lorsque j’étais étudiant, je vouais au serment d’Hippocrate une vénération farouche. Jusqu’au moment où j’ai pris conscience de ses a-prioris idéologiques, et de son inadéquation à la médecine que je voulais exercer. En 2004, à la fin de mon roman Les Trois Médecins, j’ai réécrit le serment d’une manière qui me paraissait plus proche de mes aspirations. Contrairement à celles d’Hippocrate et de Bernard Hoerni, « ma » version du serment des soignants (le serment que rédigent et prêtent les quatre personnages principaux du roman) n’a évidemment pas vocation à devenir universelle. Elle ne fait qu’exprimer mon propre engagement. Et je pense que, dans l’absolu, chaque professionnel de santé devrait écrire et dire à haute voix son propre serment. Car c’est en lui que résident les valeurs auxquelles il doit prêter serment, et c’est à lui d’y rester fidèle, après l’avoir prononcé devant les témoins de son accession au statut de soignant professionnel.

Sous le regard de nos soeurs et de nos frères humains, nous jurons d’être intègres et loyaux envers tous ceux qui souffrent et feront appel à nous.

Nous jurons que jamais, et sous aucun prétexte, nous ne refuserons nos soins à celle ou celui qui en ont besoin, et que jamais nous ne vendrons au prix fort le savoir dont nous sommes les dépositaires.

Accueillis à l’intérieur des maisons, nos yeux ne jugeront pas ce qui s’y passe, mais ne se détourneront pas des souffrances infligées ; notre langue ne trahira pas les secrets qui nous seront confiés mais elle ne restera pas muette s’il faut soutenir les victimes et appeler à la révolte contre ceux qui les oppriment. Nous n’utiliserons jamais nos connaissances ou notre savoir-faire pour manipuler, détourner, exploiter, maltraiter, expérimenter, ou exercer la moindre pression sur qui que ce soit, au profit de quiconque. Et nous ne laisserons jamais quiconque agir ainsi, sous prétexte de soin, sans nous dresser devant lui. Même et surtout s’il s’agit d’un médecin.

Respectueux et reconnaissants envers les humains qui nous auront formés - ceux qui souffrent et ceux qui soignent - nous jurons de transmettre à tous ceux qui nous le demanderont l’instruction que l’on nous a confiée et l’expérience que nous aurons acquise.

Puissions-nous être toujours dignes de donner nos soins et de mériter la confiance de ceux qui les reçoivent. Puissions-nous offrir à la vie et aux humains autant que ce qu’ils nous donnent.

Et que l’on nous arrache les yeux, la langue et le cœur si nous trahissons ce serment.

(Extrait de Les Trois Médecins, POL, 2004 - Folio, 2006)

*

Ce texte avait été rédigé pour ARte Radio et a été repris dans mon recueil "J’ai Mal Là".

En 2007, j’ai voulu aller plus loin, et à l’occasion d’un séminaire sur l’éthique du soin, j’ai rédigé un "Décalogue de la relation de soin" que vous pourrez lire ICI.

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