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Avec du recul...
De l’indécence en général et de la règle de trois en particulier
par Béatrice Duval
Article du 24 janvier 2004
S’éloigner, ça donne du recul. S’éloigner de France, ça donne du recul sur la manière dont on parle en France des affaires du monde. Béatrice Duval exprime bien ce sentiment, en un mot plutôt qu’en cent. (Note de MW)
Je n’ai jamais été très douée en maths et je l’assume complètement.
Pourtant, j’aurais besoin d’aide pour effectuer une règle de trois tout à
fait basique : Je m’explique : le 27 décembre dernier, je m’envole comme
prévu pour une semaine de marche dans le désert d’Algérie. Au programme :
rencontre avec les gens du pays, marche toute la journée, dunes de sable à
perte de vue, nuits à la belle étoile, nourriture très simple, hygiène
très sommaire pour l ’Occidentale gâtée que je suis, mais c’est justement
pour retrouver des bonheurs simples, naturels mais tellement plus riches,
que je pars dans ces "virées".
A la radio, le jour de mon départ, on ne
parle que du tremblement de terre en Iran et du sinistre bilan des
victimes qui augmente d’heures en heures. Je m’envole vers l’Algérie avec
dans la tête 20 000, 25 000 ou, on n’ose à peine l’imaginer, 40 000
morts... Je savoure néanmoins ma semaine de "bonheurs simples" en gardant
une toute petite pensée pour les malheureux survivants : ils crèvent sans
doute de faim et de froid quand je déguste des oranges délicieuses et que
je passe toutes mes nuits à la belle étoile comme eux, mais dans ma
polaire et mon duvet spécial recommandé par Décathlon...
Ce n’est certes
pas en mangeant moins et en ayant moi-même froid que je soulagerai leur
calvaire, mais quand même, ça met un peu mal à l’aise... Je rentre une
semaine plus tard, dans la nuit de dimanche à lundi, et au petit matin,
j’écoute la radio pour connaitre finalement le macabre décombre des
victimes iraniennes.
Je passe alors quelques journées surréalistes,
bombardée par le flot d’informations mélodramatiques sur la mort de 100
Français partis en vacances en Egypte et, c’est tout à fait regrettable,
explosés en vol sans avoir rien vu venir. C’est vrai que les vacances
Fram, ça aurait pu être moi, l’Egypte, ça m’a toujours tentée, le
Réveillon en famille, c’était une bonne idée, et tous ces gens étaient des
Français....
Mais, je reste perplexe et j’en reviens à ma règle de trois
du début : qui peut me dire, si on a 40 000 Iraniens morts d’un côté, 100
Français morts de l’autre, combien vaut la vie d’un Français en Iranien ?
Béatrice Duval, janvier 2004
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