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DIU et anti-inflammatoires : qui croire ?
par Martin Winckler
Article du 22 septembre 2005
J’ai lu avec intérêt votre site et je dois dire que, me considérant comme relativement renseigné (hé oui pour une fois c’est un homme qui vous écrit), j’avoue que votre site est extrêmement bien fait et précis, simple, bref je le trouve très pratique et utile. J’ai fait le choix avec ma femme du UT 380 après vous avoir lu. En fait le gynéco de ma femme nous avait plutôt orienté sur un Mirena, mais après avoir navigué sur les forums, il s’avère qu’il n’est pas sans beaucoup de désagréments.
Je vous fais part de mon inquiétude, puisque j’ai découvert que la contre-indication d’anti-inflammatoires figure quand même sur le data sheet du stérilet et je suppose qu’elle repose sur des enquêtes ou sur des statistiques ?
Cela voudrait donc dire qu’une partie de l’action du DIU consisterait à une inflammation locale empêchant la nidation... La fécondation passant totalement inaperçue par ce biais.... ce qui nous inquiète largement... et qui est en contradiction avec ce que vous écrivez. Pourriez vous nous éclairer sur ce point ? O.
La réponse à votre inquiétude est simple : les fiches descriptives des DIU (comme de tous les médicaments) sont agréées par une commission officielle, qui demande des mois (et de l’argent) pour toute modification.
Je ne suis pas l’inventeur des notions que je diffuse.
Comme en France, le "dogme" des AINS (anti-inflammatoires) et du DIU n’a jamais été officiellement levé, l’indication n’a pas été retirée de la fiche de certains DIU (le labo n’a pas envie de dépenser de l’argent pour ça). Mais l’état actuel de la science, ce n’est pas la fiche des labos, ce n’est pas mon avis personnel non plus mais ce sont les informations données par la communauté scientifique internationale et résumées dans l’article suivant
En France, la revue Prescrire, seule revue médicale française indépendante consacrée aux médicaments, a clairement déclaré qu’aucune interaction entre AINS et DIU n’a jamais été démontrée comme vous pouvez le lire ici
A noter que cette "interaction" n’existe pas non plus avec les corticoïdes. Il ne semble pas non plus que la prise occasionnelle de corticoïdes en cure courte "favorise" les infections sur DIU, comme on a pu le lire autrefois. En effet, en dehors d’une IST par germe spécifique - chlamydiae, en particulier, la flore bactérienne intra-utérine et la flore bactérienne vaginale sont identiques. La prise de corticoïdes en cure courte (pour une infection dentaire, par exemple) n’a pas de raison de favoriser une infection sur DIU. Seuls les corticoïdes à forte dose, susceptible d’affecter l’immunité, peuvent contre-indiquer le port d’un DIU (Source : John Guillebaud - Contraception : Your Questions Answered, 6th Ed, 2013. Guillebaud est le grand spécialiste international de la contraception.)
Je ne suis d’ailleurs pas le seul à dénoncer cette légende :
Voici ce qu’écrit le site Esculape
Et ce qu’on trouve sur le site médical de pharmacodépendance de Lyon
Dans un cours donné la faculté de médecine de Strasbourg en 2004-2005 on peut lire :
"XII. Quelles sont les principales complications des DIU ? *
(...) Ennuis mineurs : Douleurs pelviennes à type de contractions Leucorrhées [pertes blanches] exacerbées par la présence du DIU et de son fil Dysménorrhée [règles douloureuses] par concentration élevée en prostaglandines, avec les DIU au cuivre ; [Traitement :] proposer des AINS (Antadys®, Ponstyl®). En cas d’échec [des AINS] on peut proposer un DIU au lévonorgestrel [DIU hormonal "Mirena", pour traiter les règles abondantes et douloureuses] "
Beaucoup de facultés de médecine françaises devraient s’inspirer de celle de Strasbourg. Mais il est vrai que Strasbourg est une ville ouverte sur l’Europe... où personne n’interdit les AINS aux femmes porteuses de DIU...
Car il faut bien prendre conscience que cette "interdiction" des AINS n’est formulée qu’en France. Et que dans les pays du Nord de l’Europe, chez les Anglo-saxons ou les Scandinaves, mais aussi en Suisse, lorsque les femmes ont des règles douloureuses ou plus abondantes avec un DIU on les soigne par... les AINS.
Comme ces effets bénéfiques ont été montrés par plusieurs études, si les AINS avaient "provoqué des grossesses", on l’aurait vu parmi les femmes de ces études : ce n’est pas un effet secondaire qui passe inaperçu...
Bref, vous voyez que je ne suis pas, et de loin, le seul à faire ce type de déclaration...
Malheureusement, l’état actuel de l’information sur la contraception en France est tel qu’on trouve encore plein de sites, de livres, de revues, et de médecins qui pérennisent cette contre-vérité. Si l’attitude scientifique consiste à remettre son savoir en cause en permanence, le moins qu’on puisse dire, c’est que beaucoup de médecins français ne sont pas scientifiques.
En tout cas, ce qu’il faut retenir, c’est que les indications des fiches proposées par les laboratoires ne sont pas du tout des références fiables. Si elles l’étaient, elles annonceraient clairement les effets secondaires mortels de certains médicaments...
Le cuivre est-il toxique pour les ovocytes fécondés ?
La question reste entière : une fois l’oeuf fécondé (à supposer qu’il puisse l’être) peut-il se fixer et commencer à se développer sur une paroi enflammée ou pas ? Si oui alors vous avez totalement raison et nous avons tort de nous inquiéter, sinon.... le doute reste permis pour 12% des utilisatrices... et j’aimerais mieux que nous n’en fassions pas partie...
Est-ce qu’un oeuf fécondé peut se développer malgré un DIU ? Oui, c’est possible puisqu’il y a des grossesses sur DIU au cuivre. Ce qui prouve bien que le DIU est surtout efficace sur les spermatozoïdes, et ne l’est plus une fois que l’oeuf est fécondé, lorsque cela arrive.
Si le cuivre était toxique pour les oeufs fécondés, il n’y aurait JAMAIS de grossesse avec un DIU au cuivre.
S’il provoquait des "mini-avortements", beaucoup (voire toutes) les utilisatrices de DIU auraient, régulièrement, un retard de règles correspondant à un oeuf implanté puis "éliminé" avec retard, or ça n’est pas le cas. Les utilisatrices de DIU au cuivre ont leurs règles "à l’heure..."
Quand elles ne les ont pas... c’est parfois parce qu’elles sont enceintes, mais pas toujours. La meilleure preuve, c’est que les tests de grossesse (fiables dès le premier jour de retard de règles) reviennent négatifs, ce qui prouve bien qu’il n’y a pas de grossesse, même microscopique, en route...
Par ailleurs, si le DIU au cuivre était couramment responsable d’une inflammation , il n’y aurait jamais de grossesses sur DIU, car un endomètre inflammatoire est impropre à la grossesse (les cellules de l’inflammation la digèreraient).
Rien n’indique une inflammation dans l’utérus des femmes porteuses de DIU
En l’état actuel des connaissances, rien n’indique l’existence d’une inflammation de l’endomètre au sens clinique et biologique du terme chez les patientes utilisant un DIU.
Les signes biologiques microscopiques de l’inflammation sont en effet : - la présence de cellules inflammatoires, de substances responsables de l’inflammation et des remaniements tissulaires. Mais ces remaniements peuvent être observés sans inflammation en cours, parfois après une inflammation terminée depuis très longtemps.
Les signes cliniques (ressentis par la personne et/ou observées par le médecin) d’une inflammation dans n’importe quel tissu sont : douleur, chaleur, rougeur (pensez à un bouton d’acné sur le nez), éventuellement fièvre. Sous l’effet d’un afflux de cellules et de la sécrétion de substances déclenchant les phénomènes inflammatoires, la vascularisation locale augmente, d’où la chaleur, qui s’accompagne d’un oedème (ça gonfle), et ça fait mal.
Une inflammation, c’est ce que vous observez aussi bien si vous avez une angine, un bouton sur le nez ou une entorse de la cheville, ou une crise de goutte : un tissu qui est le siège d’une inflammation, ça gonfle, c’est rouge, c’est chaud, ça fait mal.
Actuellement on considère que la notion de "micro-inflammation" isolée ne correspond à rien. Ou plutôt, qu’il existe une activité cellulaire constante (de "nettoyage des cellules") qui n’est pas inflammatoire (elle ne s’accompagne pas de signes cliniques d’inflammation) mais qui est faite par les mêmes cellules - ou des cellules similaires que dans l’inflammation.
En revanche, lorsque ces cellules déclenchent un phénomène inflammatoire (sécrétion de lymphokines, de substances vasomotrices, etc.) les phénomènes "microscopiques" d’inflammation s’accompagnent TOUJOURS de phénomènes cliniques, visibles.
L’utérus des femmes porteuses de DIU n’est pas inflammatoire, encore une fois, car il ne s’accompagne d’aucun des signes de l’inflammation. Autrement dit : si un petit bouton d’acné sur le nez fait un mal de chien, imaginez ce que fait un utérus vraiment inflammatoire !!!
S’il l’était, elles sauteraient au plafond chaque fois qu’elles ont un rapport sexuel ou que le médecin les examine. C’est d’ailleurs ce qui se passe quand elles ont une infection de l’utérus (endométrite) qui, elle, s’accompagne d’une inflammation. La femme qui souffre d’une infection de l’utérus a alors mal (sans contact), elle a de la fièvre, elles saignent. Et le simple fait de toucher à leur utérus pendant l’examen réveille la douleur. Dans pareille situation, on recherche une bactérie, on la trouve, et on la traite... [1]
Comment un DIU au cuivre agit-il ?
Pour résumer, ce sont les limites mêmes de l’action du DIU au cuivre (les grossesses sont rares, mais possibles) qui démontrent, paradoxalement, qu’il n’est ni abortif, ni "enflammant"...
Le mode d’action du DIU au cuivre a été identifié de la manière suivante : les Britanniques ont fait des microprélèvements d’endomètre chez des femmes porteuses de DIU au cuivre et des non-porteuses de DIU le lendemain d’un rapport sexuel. Chez les non-porteuses de DIU, on trouve des spermatozoïdes actifs (qui bougent). Chez les porteuses de DIU, on n’en trouve pas. Comme ce n’est pas l’armature en plastique qui est contraceptive (il existe des DIU au cuivre sans armature), ni la présence d’un corps étranger (les DIU en plastique seul n’empêchent pas les grossesses, mais provoquent des fausses couches tardives !!!! ), c’est donc le cuivre qui est spermicide. CQFD.
Mais encore une fois, tout ceci est l’état des connaissances scientifiques, et non la vérité absolue (la vérité absolue, je ne l’ai pas plus qu’un autre). Nul n’est tenu de me croire sur parole, mais on ne peut pas réfuter des acquis scientifiques. Cela dit, le mode d’action du DIU hormonal Mirena - qui provoque simplement une "barrière biologique naturelle" en rendant la glaire cervicale épaisse et imperméable aux spermatozoïdes, comme cela se passe pendant la grossesse - devrait vous rassurer complètement. S’il existe encore dans votre esprit un doute minuscule sur le fait qu’un DIU au cuivre puisse interrompre une grossesse microscopique après fécondation, le Mirena, lui, n’a aucune raison de le faire. Si une grossesse se développe malgré un Mirena, l’hormone qu’il contient aurait plutôt tendance à la stimuler !!!
Pour en finir avec le mythe des anti-inflammatoires et du DIU...
Quant à l’interaction entre anti-inflammatoires ou aspirine et cuivre, je n’ai pas de notion physico-chimiques à ce sujet, mais je ne peux que vous renvoyer aux nombreux essais américains et britanniques sur le traitement des ménorragies (règles longues) des utilisatrices de DIU par les anti-inflammatoires. Ces essais comparatifs ont montré que les AINS étaient plus efficaces qu’un placebo pour réduire les crampes (musculaires) des règles et leur durée. Si les femmes porteuses d’un DIU qui ont reçu des AINS pendant l’essai s’étaient retrouvées enceintes plus que les femmes des groupes témoins (sans DIU ni AINS, ou avec DIU sans AINS), ça se serait vu très vite : une grossesse est typiquement le genre de phénomène qu’on relève immédiatement. Mais ça n’est jamais apparu.
L’existence d’effets des AINS sur l’efficacité des DIU au cuivre est une hypothèse franco-française basée sur la fameuse notion "de micro-inflammation". Celle-ci n’a jamais été démontrée. Les effets des AINS non plus - j’ai participé, dans le centre d’IVG où j’ai travaillé, à une grande étude multicentrique qui recherchait si les femmes enceintes avec DIU avaient pris AINS ou aspirine dans les semaines précédant la conception. La dite étude, qui a couvert tous les centres d’IVG de France, n’a rien montré de tel.
A contrario, les études que je cite plus haut, (faites dans des pays où la théorie de DIU/ micro-inflammation/AINS n’existait pas...) démontrent que, lorsqu’on administre des AINS aux porteuses de DIU, elles ne sont pas plus enceintes qu’avant.
Et si ces notions étaient plus répandues parmi les médecins français, cela éviterait bien des angoisses aux utilisatrices actuelles ou potentielles de DIU. Et, probablement, bien des souffrances, car plus on battra en brèche les idées reçues sur le DIU, plus grand sera le nombre des femmes qui l’adopteront et éviteront des grossesses non désirées.
Martin Winckler
[1] A noter que 6 mois après (une fois que tous les phénomènes inflammatoires dus à l’infection ont disparu ) si la femme désire un DIU on peut lui en mettre un, car ce type de bactéries est transmise sexuellement, et non par le DIU lui-même.
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