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Formation
D’un amphi à l’autre
par Sandrine, étudiante, puis enseignante en faculté de médecine
Article du 7 février 2004
Je viens seulement de lire votre article dans Le Monde Diplomatique, suite à un retard de la Poste mais je l’attendais avec impatience. Oui, oui, il y a des enseignants en fac de médecine qui lisent le MD, en tout cas, j’en connais au moins un autre à part moi :-))
Je ne peux qu’abonder dans le sens de ce que vous dites dans cet article, voilà juste quelques remarques sur mon expérience personnelle.
Je viens cette semaine de faire mes premières armes en PCEM 1, comme prof, 20 ans après les avoir faites comme étudiante. Deux heures de cours magistral devant 500 étudiants (et rebelote le lendemain). Les deux cours se sont bien passé pour une seule et unique raison : les redoublants avaient eu un autre enseignant l’année dernière et donc pour eux, c’était un cours "nouveau", qu’ils ne pouvaient pas trop se permettre de perturber.
Car sinon, l’occupation principale des "carrés" (les redoublants) est bien d’empêcher leurs futurs collègues de prendre des notes, afin de gagner quoi, 1/2 point au concours ?
Chaque fois que je faisais référence à l’intérêt que pouvait avoir tel ou tel point de physiologie (puisque c’est ça que j’enseigne...) dans l’évaluation d’une maladie, il y en avait toujours un ou deux pour hurler "On s’en fout".
Les soit-disant meilleurs d’entre eux, je les retrouve en P2 pour des TP, pendant lesquels ils essayent de truander en me rendant froidement des cahiers de TP avec 3 ou 4 noms, alors que seulement 2 étudiants étaient présents ; puis en D1 pour des stages de maîtrise en sciences, biologie et médecine où là je suis effarée de leur absence quasi-totale de sens critique et de motivation (ils font une maîtrise parce que cela va les rendre plus compétitifs...).
Je tremble à l’idée que l’un d’entre eux soit le/la futur/e cardiologue dont j’aurais peut-être besoin dans 20 ans.
(...)
Entendu ce matin : "Madame, ce qui tombe au concours, c’est ce que vous dites ou ce qu’il y a écrit sur les diapos parce que quelquefois vous dites des choses qui ne sont pas écrites ?"
(...) Je ne cesse de repenser à diverses expériences personnelles :
– un cours sur les traitements par les corticoïdes où il y avait 7 profs intervenants et 5 étudiants dans l’amphi, les 180 autres étant en train de potasser l’internat (sans doute la question sur les corticoïdes ?) ;
– un stage d’internat de 6 mois dans un [service de renom] où le seul soutien que nous avions était la réunion hebdomadaire avec Gilbert Desfosses et son équipe ambulante de soins palliatifs (!) (et, ce dans un service où l’on pouvait parfaitement arriver un dimanche matin pour une contre-visite et apprendre qu’un "entrant" de la veille s’était suicidé...) ;
– mon mentor de l’époque, dans le même hôpital, se tenant les côtes à l’idée que je puisse justement être intéressée par les soins palliatifs (pour une future pneumologue confrontée tous les jours au cancer bronchique, aux insuffisants respiratoires et patients atteints de SIDA en phase terminale, il y avait en effet de quoi rire) ;
– mes patients actuels me racontant l’infini mépris des anesthésistes auxquels ils signalent leur syndrome d’apnées du sommeil et la nécessité de porter leur appareil de PPC [masque de ventilation porté la nuit pour éviter les apnées] en post-opératoire ;
– mon généraliste, pourtant un homme gentil et compétent, lors de ma première consultation avec lui, me regardant de haut et offusqué que je puisse lui dire toute seule que je venais le voir pour une sinusite (diagnostic qui demande effectivement d’avoir fait de hautes zétudes !!!).
Mais aussi quand même heureusement, mon prof de physio respiratoire en P1, Henri Gautier, nous disant que prendre le pouls ne servait pas à grand-chose, sauf établir un contact avec le patient ;
– Charles Mayaud en réa pneumo à Cochin, accueillant les externes (!!) et leur parlant de tout, sauf de médecine ;
– Claude Gaultier, aux EFR de Trousseau, qui vouvoyait les externes dans un environnement où nous étions traités comme des moins que rien...
Bref, des anecdotes disparates, mais que je retrouve synthétisée dans votre article.
Avez-vous lu "The House of God" par Samuel Shem ? C’est un roman à clé hilarant (enfin, un rire bien jaune) sur la vie d’étudiant en médecine au Beth Israel Hospital à Boston qui ne date pas du tout malgré les années. On est très loin de l’attitude de la fac de médecine de Kansas City...
Sandrine, aujourd’hui enseignante en faculté de médecine
PS : Je voulais aussi vous dire que votre expérience malheureuse avec France Inter m’est bien utile pour illustrer certains propos que je tiens pendant un cours que je fais à des ingénieurs en technologie de la Santé sur l’analyse critique de l’information biomédicale :-)), même si du coup je n’écoute plus la radio en prenant ma douche !!
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