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"Culte du corps" ou haine du corps ?
par Mona Chollet - Edito de Périphéries, 4 octobre 2006 - Edito
Article du 11 octobre 2006
« Les Occidentaux n’ont pas besoin de payer une police pour forcer les femmes à obéir : il leur suffit de faire circuler les images pour que les femmes s’esquintent à leur ressembler. » Avec l’actuelle polémique médiatique sur le culte de la maigreur - qui fait suite à la décision du gouvernement régional de Madrid d’exclure des défilés de mode les mannequins dont l’indice de masse corporelle était jugé trop faible -, on repense à cette réflexion provocatrice de Fatema Mernissi dans Le harem et l’Occident, chroniqué ici l’année dernière (lire « Sortir du "harem de la taille 38" »).
L’intellectuelle marocaine ajoutait cette phrase relevée dans Le mythe de la beauté, de Naomi Wolf : « Une fixation culturelle sur la minceur féminine n’est pas l’expression d’une obsession de la beauté féminine, mais de l’obéissance féminine. » La décision madrilène fait suite à la mort, l’année dernière, d’une mannequin uruguayenne de 22 ans, Luisel Ramos, qui s’était écroulée en coulisses au terme d’un défilé. D’après son père, depuis des mois, elle ne se nourrissait plus que de salade et de Coca light, et elle avait cessé de manger deux semaines avant la présentation des collections.
L’obsession du corps parfait, c’est-à-dire du corps le plus mince possible, paraît cependant si profonde, si bien ancrée culturellement, qu’il y a tout à parier que cette affaire n’y changera rien. C’est en tout cas ce que laisse présager son traitement par la presse. Tout en consacrant un article au sujet dans sa rubrique d’actualités, le magazine Elle de la semaine dernière (25 septembre 2006) annonçait en couverture : « Trente conseils pour mincir sans y penser ».
A la lecture, on s’apercevait rapidement qu’en réalité, le propos était d’y penser tout le temps, bien au contraire ; et même, d’organiser sa vie en fonction de cet objectif : il s’agissait de « se dresser sur la pointe des pieds en se brossant les dents », de « contracter les abdominaux au volant », de « serrer le ventre et les fesses dès qu’on y pense », de passer tout son dimanche à alterner bouillon de légumes et jus de pamplemousse (« lundi, vous aurez déjà perdu kilo »), ou même... d’acheter un chien : « Bien sûr, c’est un engagement de longue durée [ah, tiens, un éclair de lucidité].
Mais vous serez obligée de le promener plusieurs fois par jour. » Il y a quelques mois, le même magazine avait proposé des « astuces » du même genre pour mincir et se muscler en faisant l’amour. Brrr... On ne souhaite à aucun homme une maîtresse aussi névrosée - ni à aucun chien, d’ailleurs. Il y avait eu quelques protestations dans le courrier des lectrices, certaines feignasses adeptes d’un laisser-aller coupable affirmant que, pour elles, le sexe avait un autre sens et un autre intérêt.
Bref, une femme qui se respecte est invitée à ne vivre que pour être mince, et à n’appréhender le monde extérieur et ses divers habitants que sous l’angle des occasions qu’ils lui offrent de tonifier ses abdominaux.
Le magazine people Closer, lui aussi (25 septembre 2006), tout en consacrant un dossier à la polémique (enfin... un « dossier » pour Closer, c’est-à-dire au moins, ouh là là ! 5000 signes !) [1] sous le titre « Maigrir à en mourir », annonçait également en Une, juste au-dessus : « Spécial forme : ventre plat, fesses galbées en 15 jours chrono ». A l’édition, il a dû se trouver quelqu’un pour s’apercevoir du télescopage malencontreux des deux titres, et pour remplacer à la va-vite « Spécial minceur » par « Spécial forme »...
En pages intérieures, le sommaire était plus explicite : « Exercices, menus, astuces : tous les conseils ciblés pour maigrir du bas ». « Il y a maigrir et maigrir, pontifiait l’édito. Maigrir en suivant un régime sain. Et puis maigrir en s’affamant, en mettant à mal sa santé, en risquant parfois jusqu’à sa vie. » Sauf que, quand il est martelé partout que le seul idéal qui vaille dans la vie d’une femme, c’est celui de la minceur, personne ne pourra jamais empêcher que tous les moyens soient bons pour y parvenir - et que, si se pourrir la vie en surveillant et consignant chaque aliment qu’on avale (dans l’un de ses « Spécial mincir » de printemps, Elle conseillait d’avoir toujours sur soi un carnet à cet effet) ne suffit pas, on finisse par la sacrifier complètement. (A noter que je ne parlerai pas ici d’anorexie : si cette maladie et l’obsession de la minceur peuvent parfois se rencontrer, il semblerait qu’elles renvoient à des réalités distinctes.)
Dans Libération (29 septembre 2006), l’angle d’attaque est un peu différent : Françoise-Marie Santucci accuse d’homophobie ceux qui insinuent que le modèle androgyne en vogue dans le milieu de la mode serait dû à l’homosexualité de nombre de couturiers. Et s’insurge : « La féminité implique-t-elle forcément de ressembler de ressembler à une "femme", avec des formes et un corps plantureux ? »
Procédé classique consistant à placer artificiellement le modèle dominant dans la position de la victime opprimée et menacée. Le problème, sans vouloir ôter trop brutalement ses illusions à la journaliste de Libé, c’est qu’une écrasante majorité de femmes ressemblent effectivement à des « femmes ». (...)
Lire la suite de cet épatant éditorial de Mona Chollet sur le site périphéries
[1] Note de MW : A titre de comparaison, l’intégralité de cet édito de Mona Chollet sur le site Périphéries fait 27 000 signes de long...
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