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L’éthique dans les séries télé : une émission radio hebdomadaire en ligne sur Radio Créum

Les séries TV et le soap opéra

Conférence donnée à l’université de tous les savoirs le 17/04/2004.


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Barack Obama et "Law & Order" ? --- Only in America !!!
par Martin WInckler
Article du 5 novembre 2008

Ce matin, 5 novembre 2008, après avoir passé deux heures à dévorer en direct sur CNN les résultats des élections américaines, j’ai été appelé par un journaliste de la presse écrite. Il me demandait dans quelle mesure les fictions télévisées américaines avaient joué un rôle dans l’élection d’un homme noir à la présidence du pays le plus puissant du monde.

Je lui ai répondu que, bien sûr, les fictions ont certainement une petite part dans ce processus, mais que si l’impact de leur engagement politique sur le public est difficile à mesurer, le contenu de nombreuses fictions reflète surtout les idéaux et l’esprit critique des scénaristes hollywoodiens, qui sont pour la plupart démocrates et, pour certains, très à gauche ; là-bas on les qualifie de liberals (progressistes) voire de radicals (gauchistes !!!)

Beaucoup de séries américaines sont engagées, mais du fait de la documentation souvent très sérieuse sur laquelle s’appuient les scénaristes, ce sont surtout des sources d’information - historique, juridique, scientifique - et des outils de réflexion et de débat, politique et social.

On peut évidemment citer The West Wing (A la Maison Blanche), qui pendant sept ans a décrit par le menu le fonctionnement interne des institutions américaines d’une manière exemplaire, par sa clarté, son engagement, son humour, sa précision.

Je pense également à WIthout a Trace (FBI : Portés disparus) qui examine avec humilité la vie quotidienne des Américains aujourd’hui et à et à Cold Case, qui réexplore l’histoire des Etats Unis au 20e siècle à travers des destins individuels. Cette dernière a régulièrement abordé l’histoire de la ségrégation, les luttes pour les droits civiques, le droit à l’avortement, le statut et les luttes des femmes au cours des 60 dernières années...

On peut également citer 24, série dont l’idéologie est beaucoup plus imprécise, pour ne pas dire trouble, mais dont l’un des principaux personnages pendant ses deux premières saisons - le Président Palmer (Dennis Haysbert), est tout de même un président noir et manifestement progressiste porté par le peuple à la Maison Blanche.

J’ai enfin cité au journaliste qui m’interrogeait la série que je respecte le plus, à la fois pour sa description tenace de la société américaine et de ses contradictions, pour ses positions courageuses vis-à-vis de l’administration Bush et de la guerre en Irak (entre autres) et bien sûr pour sa longévité. Il s’agit bien sûr de Law & Order, dont j’ai parlé déjà dans mon blog consacré aux séries et qui entame sa 19e saison le 5 Novembre.

Et je ne croyais pas si bien dire.

Depuis la fin de la 17e saison, René Balcer, scénariste et producteur exécutif au cours des 10 premières saisons, est de nouveau le showrunner (le scénariste-producteur qui tient les commandes) de Law & Order. Depuis, la série a retrouvé son punch, son a-propos et son ancrage critique dans la réalité sociale et politique du pays.

Dans le season opener (premier épisode de la 19e saison), diffusé pour la première fois le 5 soir aux Etats-Unis, mais déjà diffusé le 4 au soir, à 21 heures, sur CTV, grande chaîne télévisée canadienne, l’un des inspecteurs, interprété par Anthony Anderson, dit en découvrant l’identité d’un homme mort après avoir été battu : "Un stockbroker (courtier en bourse) battu à mort ? Dans le contexte économique actuel ? Ca pourrait devenir à la mode..."

... Et cela, dans un épisode écrit plusieurs semaines avant le krach boursier.

L’épisode est plus que d’actualité, puisqu’il soulève la question de savoir si, dans un état de droit, un réglement de compte collectif entraînant la mort de passants innocents est ou non assimilable à un acte de terrorisme (les procureurs se fondent sur une loi passée juste après le 11 septembre).

Pendant le procès, le detective noir interprété par Anthony Anderson parle de la terreur qu’exerçaient les gangs dans le quartier où il avait grandi et laisse clairement entendre que le "terrorisme" n’est pas seulement le fait d’agresseurs extérieurs. Il peut aussi naître et se développer à l’intérieur d’un pays, du fait même du non-respect des lois.

Et bien évidemment, l’épisode est inscrit clairement dans le contexte électoral, puisque McCoy (Sam Waterston), le procureur général de New York, brigue un nouveau mandat le même jour que le président des Etats-Unis, toutes les élections à des postes officiels de responsabilité ayant lieu là-bas le même jour. [1]

En regardant cet épisode impressionnant, j’ai pensé très fort, avec émotion, aux Américains qui le verront ce soir, et à tout ce qui, dans cet épisode, fait écho à la situation actuelle et aux élections qui viennent de se conclure. Et je me suis senti, encore une fois, impressionné et admiratif.

Les Etats-Unis sont vraiment un grand pays. Un pays où un homme issu de deux cultures extrêmement différentes et né à une époque où il lui aurait été très difficile de voter, de par la couleur de sa peau, peut aujourd’hui devenir président.
Un pays où les fictions sont vivantes et puisent en temps réel dans la réalité économique, sociale et psychologique d’une population pour décrire et souvent anticiper les bouleversements sociaux et politiques du pays.
Les Etats-Unis sont un pays d’inspiration et de liberté, de débat et d’expression, et des fictions comme Law & Order reflètent, chaque jour, et avec éclat, cette impressionnante réalité.

A Barack Obama et aux citoyens qui l’ont élu, à René Balcer et aux scénaristes de Law & Order et, à travers eux, à tous les Américains, je tire humblement mon chapeau.

Mais j’aimerais que mon propre pays puisse en dire autant, tant sur le plan de la politique d’intégration (Lire CECI)que sur le plan de la rédaction des séries télévisées. Au risque de sembler faire de l’anti-francisme primaire, je crains que la liberté et la diversité artistiques et politiques ne (re)voient pas le jour en France avant longtemps...

Dans l’article dont je donne le lien ci-dessus, on peut lire : "Ce qui irrite beaucoup de gens, c’est d’entendre les responsables politiques applaudir Obama quasiment unanimement tout en ne faisant pas grand chose, au fond, pour qu’un Obama français puisse un jour émerger", analyse Pap Ndiaye, historien spécialiste des Etats-Unis à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)."

Je pourrais ajouter, pour ma part :

"Ce qui irrite beaucoup les écrivains et les critiques de fictions télévisée, c’est d’entendre les responsables de chaînes télévisées françaises applaudir unanimement des séries de qualité comme 24 heures CHrono ou Six Feet Under ou The Sopranos tout en ne faisant pas grand-chose, au fond, pour que des scénaristes français puissent, un jour, produire des séries de cette carrure..."

Et les raisons de cette immobilité mériteraient (mériteront ?) à elles seules un autre article.

Martin Winckler


Farewell, Dr Crichton

En raison de l’élection présidentielle, peu de gens en France sauront que le 5 novembre, un grand écrivain-médecin a disparu à l’âge de 66 ans. Michael Crichton s’est éteint brusquement, il souffrait d’un cancer. Il était l’auteur de nombreux romans, dont Jurassic Park est probablement le plus connu, mais aussi du scénario qui donna naissance à la série Urgences. A mes yeux c’était un exemple d’écrivain-médecin (formé à Harvard, quand même...) et de cinéaste autodidacte.

Si vous n’avez rien lu de lui, je vous recommande un roman peu connu : Extrême urgence (A case of Need, Ed. Pocket) et trois films un peu oubliés mais absolument épatants qu’il avait réalisés lui-même : Mondwest (Westworld, 1973), La grande attaque du train d’or (The First Great Train Robbery, 1979) et Looker (1981). Et bien sûr, toutes les saisons de ER (Urgences), qui a entamé il y a quelques semaines sa 15e et ultime saison.

Farewell, Dr Crichton. You’ll be missed.


[1Oui, aux Etats-Unis, les procureurs et les juges sont élus par les citoyens, et non nommés par l’administration centrale...

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