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Jeunes Médecins : les raisons d’un mouvement
par Fabien Quédeville, et Martin Winckler

7 octobre 2007

Les jeunes médecins (externes, internes, chefs de clinique et assistants) ont entamé depuis plusieurs jours un mouvement de protestation contre les mesures inscrites dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale, remettant en cause la liberté d’installation des praticiens.
Ce mouvement n’est pas un mouvement corporatiste pour défendre un quelconque privilège, mais son but est bien de défendre le système de soins solidaire, contre la menace d’une médecine à deux vitesses.

Afin de résoudre les inégalités de répartition des médecins sur le territoire, le gouvernement souhaite mettre en place des mesures limitant l’installation des médecins dans les zones les plus dotées.
De telles mesures auraient un seul effet : détourner les étudiants de l’exercice libéral et notamment de la médecine générale. Des expériences concrètes chez nos voisins européens nous le prouvent, notamment en Allemagne, où de telles mesures ont entraîné une crise des vocations et d’énormes difficultés d’accès aux soins pour les patients.



Existe-t-il vraiment une inégalité de répartition des médecins ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, les médecins sont mieux répartis aujourd’hui qu’à la fin des années 60.
De plus, selon un rapport sur la démographie médicale, 95,9 % du territoire ne présente pas de problème de répartition, 3,5 % du territoire est dit à risque et seul 0,6 % du territoire est dit en danger.


Quelles sont les mesures que veut mettre en place le gouvernement et que cachent-elles ?

Le projet de loi prévoit la mise en place du conventionnement sélectif selon la zone d’exercice. Les médecins s’installant dans des zones dites surmédicalisées, selon des critères définis par l’Assurance Maladie, ne seraient plus conventionnés. En clair, pas de conventionnement pour le médecin = pas de remboursement pour le patient.
Qui alors aura la charge des dépenses ? Le patient ? Les assurances privées ? On peut croire que M. Sarkozy a choisi cette voie aux vues de ses récents propos.

La soi-disant inégalité de répartition des médecins est donc un prétexte, nous sommes dans la même logique que la mise en place du système des franchises : la fin du système de soins solidaire et à terme la privatisation de la Sécurité Sociale.

Quelles sont les revendications du Syndicat des Jeunes Médecins Généralistes ?

Nous demandons donc le retrait pur et simple de l’article 33 du PLFSS, prévoyant les mesures de conventionnement sélectif.
Nous demandons également la tenue d’État Généraux de la Santé, regroupant tous les acteurs du système de santé (y compris les patients), afin de déboucher entre autre sur la mise en place d’une véritable politique d’incitation à l’installation en agissant à la fois sur la formation des médecins (meilleure connaissance de l’exercice libéral et notamment rural), sur l’installation (définition des besoins de médecins selon les communes), l’exercice ( développement des maisons pluridisciplinaires, organisation de la Permanence des soins), tout ceci accompagnée d’une véritable politique d’aménagement du territoire.

Depuis 10 ans, nous tirons la sonnette d’alarme.
Depuis 10 ans, nous expliquons que sans réforme de fond, nous allons droit dans le mur ;
Depuis 10 ans, nous ne sommes pas écoutés, mais aujourd’hui le mur se rapproche et il se rapprochera encore plus vite avec les mesures prévues par Mme Bachelot.

Il est aujourd’hui encore temps d’inverser la tendance, en ayant une réelle réflexion
sur le long terme et pas uniquement en ayant comme objectif les échéances électorales de l’année prochaine.

Qui a dit qu’on nous aurait menti sur la politique de rupture ? Pas moi, enfin pas encore.

Fabien Quédeville, président du Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes


Signez l’appel contre les franchises


Une procédure autoritaire qui ne résout rien aux dépenses de santé

Peu avant que je ne reçoive cette contribution de Fabien Q., j’avais reçu d’une lectrice un message concernant ce mouvement des jeunes médecins. Elle me demandait si je ne trouvais pas ce mouvement corporatiste et "réac". Pas du tout, et voici pourquoi.

Jusqu’ici, aucun médecin n’a été contraint à s’installer à un endroit plutôt qu’à un autre. Imposer ou interdire une installation aux médecins d’aujourd’hui est inique et autoritaire. Et c’est contre-productif. Il
vaudrait beaucoup mieux les aider à s’installer là où on a besoin d’eux. Or, tel que c’est présenté, ils ne
peuvent le vivre que comme une brimade, à juste titre.

Les médecins sur le point de s’installer ont souvent près de 30 ans, souvent un(e) conjoint(e) qui travaille et des enfants. Les empêcher de s’installer dans la région où ils ont fait leurs études, par exemple, c’est les condamner à l’exil, eux et leur famille.

Ajoutons que la moitié d’entre eux, d’ores et déjà, sont des femmes ! Et que dans les facultés de médecine, aujourd’hui 2/3 des étudiants sont des femmes. Or, pour une femme médecin, les contraintes et les exigences d’installation ne sont pas du tout les mêmes que pour un homme.

Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une réalité.
Statistiquement, le mode d’exercice des femmes est différent des hommes : elles bossent plus souvent en association et à temps partiel que les hommes, elles choisissent moins souvent la chirurgie que les spécialités médicales... elles choisissent plus souvent la ville que la campagne, elles choisissent plus souvent que les hommes des spécialités sans urgences ni gardes, et elles tentent beaucoup plus que les hommes de concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle (car elles ne peuvent pas se reposer sur les hommes comme les hommes se reposaient traditionnellement sur elles).

Il y a 30 ans, la majorité des médecins étaient des hommes et beaucoup étaient mariés à des femmes qui ne travaillaient pas et ne pouvaient pas objecter au fait de les suivre là où ils s’installaient. Pour les femmes médecins d’aujourd’hui il est difficile de décider de s’installer sans tenir compte du métier de leur conjoint.

L’impact de la féminisation sur la transformation de la démographie médicale devrait être pris en compte dans la répartition des médecins et des spécialités qu’ils vont occuper. Le sexe d’un médecin a une importance. Il en a dans le choix des patients, il en a aussi dans le comportement des médecins eux-mêmes...
Mais on a toujours fait comme si cela n’existait pas.

En ce qui concerne les chiffres, je pense qu’il y a beaucoup trop de médecins dans certaines régions (l’ïle de France et la région PACA, en particulier) et pas assez dans d’autres (venez dans la Sarthe et dans la Mayenne et regardez dans quelles conditions travaillent les généralistes...) Mais le nombre est une chose, l’activité en est une autre. La surconsommation médicale est essentiellement liée à la mauvaise formation des médecins et à une surenchère (économique, médiatique, politique) qui entraîne une augmentation astronomique des prescriptions. Plus il y a de médecins dans une région, plus ces médecins sont en compétition et veulent "en faire plus" pour rentabiliser leur activité...

Objectivement, d’ailleurs, seul les patients ont intérêt à ce que les médecins s’installent ailleurs que dans les grandes agglomérations urbaines : les prescriptions médicales font vivre non seulement les pharmacies et les industriels du médicament mais aussi les cliniques privées, les laboratoires d’analyses biologiques, les fabriquants de machines médicales de toutes sortes, les cabinets de radiologie, etc. Plus il y a de médecins en ville, plus ces "marchands"-là vendent leurs produits.

La seule méthode efficace à long terme pour maîtriser les coûts de santé serait de former correctement et d’envoyer dans les zones qui en ont besoin des médecins bien rémunérés dont la mission serait de faire de l’éducation sanitaire, de la prévention et des soins de première ligne. Cela permettrait de diminuer le recours aux urgences, la prescription de médicaments, d’examens, de radiographies, de consultations spécialisées, d’hospitalisations.

Mais qui a envie de mettre en place une politique pareille ?

Certainement pas les hommes politiques en place et les syndicats de médecins majoritaires, massivement noyautés par les spécialistes...

La situation catastrophique de notre système de santé est directement liée au fait que notre système de santé, en principe solidaire et fondé sur le partage, repose sur des hôpitaux publics ET sur des praticiens agissant individuellement sans aucun sens collectif. Faute d’avoir été formés à une pratique collective de l’exercice du soin (une pratique non compétitive mais coordonnée) et de se voir offrir des conditions d’exercices acceptables (c’est quand même le conventionnement avec la sécurité sociale qui leur permet d’exercer), beaucoup sont amenés à faire la chasse à l’acte. Et d’autres... ne s’en privent pas parce qu’ils trouvent ça normal.

Or, le paiement à l’acte, défendu par bon nombre de praticiens libéraux (les spécialistes, beaucoup plus que les généralistes) ne devrait pas être le seul moyen de rémunération. Dire que le paiement à l’acte est la seule condition de l’indépendance des médecins est un mensonge éhonté : les hospitaliers ne sont pas payés à l’acte. Dans nombre de pays développés (l’Angleterre, le Canada), les praticiens ne sont pas payés à l’acte et sont politiquement et scientifiquement bien plus indépendants (car formés pour ça) que ne le sont les praticiens français.

La détermination du lieu d’installation devrait faire l’objet d’un contrat en début d’études (et non à la fin), de manière à ce que tout le monde sache bien à quoi il s’engage.

Aux USA, pour qu’il y ait des médecins en Alaska, l’état de l’Alaska paie les études de médecins volontaires, en échange de quoi ils viennet passer quatre ans sous leurs cieux. On devrait faire la même chose avec les étudiants, en s’engageant, s’ils viennent s’installer dans une région sous-médicalisée, à leur trouver un logement, une école pour leurs enfants, des facilités de boulot pour un
conjoint qui bossait et qui aura dû quitter son boulot pour le suivre.

Tout ça, actuellement, n’est absolument pas pris en compte, au contraire ! Dans certaines régions, les difficultés d’installation sont déjà telles qu’une grande proportion des médecins généralistes choisissent, tout bonnement, de ne pas s’installer. Quel gâchis !

Autre exemple concret : dans la ville où je vis, on a créé une zone franche où les médecins qui s’installent sont exonérés d’impôts locaux et de taxe professionnelle. Du coup, tous les spécialistes déjà installés en ville se sont déplacés là. Alors qu’il aurait fallu le réserver aux nouvelles installations !!! Eh bien non, ce sont les plus riches et les mieux en place qui en ont profité ! Bravo.

Alors, pour de jeunes médecins, savoir qu’ils vont se retrouvés "interdits de séjour" ou "mutés" sans avoir encore montré ce qu’ils savent faire, c’est une violence inouïe !

Vous voyez à quel point c’est compliqué. Dans la théorie, je pense certes qu’un médecin devrait s’installer là où on a besoin de lui. Ca devrait être entendu dès
l’entrée en médecine. Et le numérus clausus qui s’applique en principe région par région devrait en tenir compte.

Or, dans la pratique, les méthodes employées sont ponctuelles, autoritaires, inhumaines et favorisent toujours les médecins qui pratiquent la médecine la plus coûteuse, sans contrôle ni sanction.

Traiter les jeunes médecins comme des pions pour "résoudre" des problèmes dont leurs aînés sont en grande partie responsables, et ce sans toucher aux privilèges exorbitants de ces aînés, c’est proprement révoltant et c’est pour cela que je soutiens ce mouvement.

Martin W.


Signez l’appel contre les franchises





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