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Le paternalisme médical français interdit tout débat sur l’euthanasie
par Martin Winckler

13 mars 2007

Tout débat sur la dépénalisation de l’ "euthanasie" est d’emblée brouillé par l’utilisation de ce terme fourre-tout, qui recouvre des situations radicalement différentes : l’arrêt volontaire de réanimation d’un patient dans le coma, la prescription d’antalgiques à fortes doses à un patient dans un état de souffrance insupportable ou le suicide assisté d’un patient incurable lucide et déterminé ne sont pas des situations identiques. Car le problème réside essentiellement dans l’opposition entre la soif légitime de libre arbitre des patients et la volonté forcenée des médecins de garder le pouvoir.




Des patients depuis longtemps maintenus dans la dépendance

Dans de nombreux pays occidentaux (Scandinavie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Amérique du Nord) tout patient est depuis longtemps, de par la loi, libre de refuser ou de cesser un traitement. En France, jusqu’à une période toute récente, le citoyen français qui confiait sa personne à un médecin, se trouvait, peu ou prou, dans une situation de non-droit. Il aura en effet fallu attendre la loi Kouchner de 2002 sur les droits des patients et la loi du 22 avril 2004 sur les soins palliatifs pour énoncer précisément qu’aucun soin ne peut être délivré sans l’accord du premier intéressé.

De fait, en ce qui concerne les patients gravement atteints, la Société Française des Soins Palliatifs (SFPA) reconnaît elle-même dans un communiqué récent que les situations d’acharnement thérapeutique restent nombreuses. Comment s’en étonner ? Même chez des patients moins atteints, certains droits parmi les plus élémentaires ne sont pas respectés : celui de donner ou refuser son consentement à un traitement ou à un examen ; celui de demander plusieurs avis ; celui de recevoir une information aussi complète que possible ; celui d’avoir accès à son dossier. Abus de pouvoir ? Manquements à l’éthique ? Négligence ? On peut en discuter mais il est rarissime que l’acharnement thérapeutique, le refus de soin ou le non-respect de la confidentialité fassent l’objet d’une poursuite devant les tribunaux.

En revanche, le soignant qui donne à un patient gravement malade les moyens médicaux de mettre fin à ses jours sans souffrance au moment où ce dernier l’a lui-même décidé peut faire l’objet de poursuites.


Un débat confisqué par la frange la plus réactionnaire du corps médical

C’est cette situation qu’illustre le procès du Dr Laurence Tramois

La complexité du problème ne peut échapper à personne, mais, comme on a pu le constater à la suite de l’appel publié le 8 mars par le Nouvel Observateur
tout débat sur la fin de vie médicalement assistée est systématiquement détourné par les membres les plus réactionnaires du corps médical. Porte-parole de cette frange de la profession, des hommes politiques (tel Bernard Debré, sur Europe 1 le samedi 11 mars 2007 ) ou des « intellectuels » (tel Jean-Christophe Rufin, dans le Nouvel Observateur du 8 mars 2007) déclarent qu’une décision médicale aussi grave relève des seuls professionnels et que « toute loi est impossible ».

Si certains reconnaissent volontiers, et non sans complaisance, avoir eux-mêmes « accompagné des parents au stade terminal », ils n’en balayent pas moins du revers tout réflexion sur un cadre juridique, en arguant que cela doit rester du ressort de la relation « privilégiée » établie par le patient avec « son » médecin. Et, de manière très caractéristique, ils ne vont pas jusqu’à se solidariser avec les praticiens poursuivis en justice pour les mêmes actes .


Les arguments invoqués par les parangons de vertu opposés au débat sur l’euthanasie sont toujours les mêmes :

  « Les patients gravement malades ne sont pas aptes à prendre des décisions lucides ».

Gravement atteinte ou non, une personne malade n’est pourtant pas « incapable » au sens juridique du terme. En dehors de situations psychiatriques ou médico-légales précises, tout patient est réputé apte à consentir ou à refuser un traitement, à quitter un service hospitalier ou à demander un deuxième avis. Un patient hospitalisé peut même exercer pleinement ses droits civiques en votant par procuration, disposer de son argent, faire des donations à des oeuvres caritatives, bref assurer les activités normales d’un citoyen. Mais il ne pourrait pas décider de poursuivre ou interrompre un traitement ? il ne pourrait pas dire si sa qualité de vie est suffisante pour lui ?

L’incapacité juridique ou civile relève des juges, et non des médecins. Elle ne découle pas simplement du fait d’être hospitalisé ou de se confier à un praticien ! Tout patient majeur doit être considéré comme un adulte responsable jusqu’à décision de justice affirmant le contraire - et, de ce fait, voir les droits inscrits dans la loi être respectés.

Aux yeux de la loi, et donc des juges, même les mineurs, les personnes handicapées et les personnes incarcérées sont réputées pouvoir refuser un traitement, et les médecins sont légalement tenus de recueillir leur consentement éclairé avant tout soin.

Mais beaucoup de praticiens semblent l’oublier. L’argument de "l’ inaptitude" n’est pas seulement contraire à la réalité et à la loi, il est insultant pour ceux-là même que les médecins sont censés soigner.

  « Une loi sur l’euthanasie est inutile car nous « accompagnons » déjà les patients en leur donnant des antalgiques puissants qui parfois abrègent leur vie. »

Certes, celui qui ne souffre pas demande rarement à mourir. Mais le soulagement de la douleur est loin d’être homogène sur tout le territoire et dans tous les services hospitaliers de France, tant par obscurantisme (la douleur est « rédemptrice » ; les patients « exagèrent ») , que par les peurs sans fondement (« la morphine va rendre le patient toxicomane ») et l’insuffisance notoire de la formation des soignants dans la prise en charge et le traitement de la douleur.

La loi n’étant pas respectée partout, on est en droit de supposer que l’absence de cadre légal rend très aléatoire le louable « accompagnement [vers la mort] » au moyen d’antalgiques majeurs ouvertement revendiqué par Bernard Debré sur Europe 1 le samedi 11 mars. Semblable attitude compassionnelle, théoriquement passible de poursuites, dépend étroitement, on s’en doute, du bon vouloir, du courage et du statut de chaque praticien. Et même s’ils étaient assistés par des praticiens sans peur et parfaitement à l’aise avec la morphine, tous les patients qui demandent à mourir choisiraient-ils pour autant de finir leur vie - car c’est de cela qu’il s’agit - dans une brume chimique de durée indéterminée ?

La loi de 2004 précise en effet que, s’ils sont conduits à proposer un traitement palliatif susceptible d’abréger la vie, les médecins doivent néanmoins en informer dûment le patient concerné. En pratique, celui-ci n’a que la possibilité de choisir entre d’une part, une mort douloureuse mais en toute lucidité et, d’autre part, une mort embrumée au gré d’un surdosage « thérapeutique » laissé à la seule discrétion du médecin. Où se trouve la liberté du patient, ici ? Où est la « dignité » dont se gargarisent certains praticiens ? Dans la soumission aveugle aux choix et aux décisions du médecin ? Sur quels critères ?

D’ailleurs, la possibilité d’administrer de la morphine larga manu est loin de tout résoudre. Beaucoup de patients ne souffrent pas physiquement, et rien ne peut les soulager moralement parce que, dans leur état, la vie semble n’avoir aucun sens - ou parce qu’ils n’ont aucun moyen de lui en donner un. C’est le cas en particulier des patients tétraplégiques cloués au lit. Et pour un Christopher Reeve, combien de Vincent Humbert ? Ces deux exemples montrent bien que c’est la personnalité et les choix de chaque patient, qui priment, et non la maladie ou le handicap ou l’appréciation qu’en font les médecins.

Ici encore, l’argument des praticiens opposés à tout débat sur des gestes qu’ils reconnaissent pourtant pratiquer, « au coup par coup », clandestinement, est inacceptable : pareille attitude est contraire non seulement à la loi mais à l’éthique. De plus, elle ne saurait en aucun cas constituer une réponse à toutes les situations ; et, encore une fois, elle ne tient nullement compte de la décision volontaire et éclairée du patient.

 
« Pratiquer l’euthanasie, c’est tuer. Cette transgression est interdite au médecin. »

Cet argument est probablement le plus hypocrite du lot. Les médecins ne cessent de dépasser les limites de ce qui est « naturel » et de commettre des transgressions : l’interruption volontaire de grossesse (IVG), contraire à au serment d’Hippocrate et illégale en France jusqu’en 1976, est désormais autorisée par la loi à la seule demande de la femme, sans qu’un médecin ait besoin de donner son autorisation, et sans que cela impose au médecin d’aller à l’encontre de ses opinions personnelles. Certains médecins choisissent de "transgresser" avec les femmes en pratiquant des IVG à titre volontaire et dans le cadre de la loi. Sur ce sujet, les praticiens moralement opposés à l’IVG n’ont rien à dire : celle-ci est légale et les praticiens qui en font n’y sont jamais contraints.

Si la mort choisie et accompagnée était légalisée, il serait également parfaitement acceptables que seuls des médecins volontaires accompagnent les patients faisant ce choix. Et les confrères qui y seraient opposés, une fois encore, n’auraient pas d’argument de "transgression" à leur opposer dans le cadre de la loi.

Tout aussi "transgressive" aux yeux de certains, l’interruption médicale de grossesse (IMG) au 2e ou au 3e trimestre motivée par l’existence d’un fœtus malformé, n’en est pas moins, elle aussi, autorisée par la loi, sous le contrôle et avec l’assentiment des médecins, seuls autorisés à décider si la malformation observée est ou non compatibles avec une qualité de vie « acceptable ».

Autrement dit : la "transgression" a bon dos... et n’est invoquée que lorsqu’elle arrange... et de manière extrêmement hypocrite. Car, comme on va le voir plus loin, plusieurs actes médicaux lourds de sens, assimilables à l’euthanasie, requérant la participation active des médecins sont couramment pratiqués en France depuis des années. Ils sont, bien entendu, soigneusement passés sous silence par les adversaires d’une dépénalisation de la fin de vie médicalement assistée.


L’euthanasie est déjà pratiquée couramment dans les hôpitaux français... avec ou sans l’accord des patients !

C’est ce que révèlait un article fort documenté du Monde Diplomatique en novembre 2006.

Mais quand bien même les passages à l’acte clandestins mentionnés dans cet article seraient contestés par le corps médical, d’autres ne peuvent l’être, qui sont de pratique courante, et quasi-officielle.

 La « réduction foetale », euthanasie in utéro "préventive".

Elle concerne les femmes qui après avoir reçu des stimulants de l’ovulation ou eu recours à une FIV, sont porteuses de grossesses multiples à haut risque (triplés et plus). Pour éviter une fausse-couche ou un accouchement prématuré, les médecins procèdent à une « réduction embryonnaire ». Le terme pudique de « réduction » désigne l’injection d’une substance toxique, sous échographie, dans les poches fœtales... afin de provoquer une ou plusieurs fausse-couches « sélectives ». Cette attitude courante pendant les années 80 dans le milieu de la procréation médicalement assistée a fait l’objet, en 1991, d’un avis du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) qui invitait à éviter au maximum ce type de pratique et invitait le législateur à inscrire la réduction foetale et ses limites dans des textes législatifs.
Début 2007, elle ne l’était toujours pas.

 La « fin de vie », euthanasie coutumière en réanimation néonatale

Dans sa thèse de médecine présentée en 2005 [1], Denis Oriot révèle et analyse en détail l’existence, dans les services de réanimation néonatale française, d’une pratique pouvant être qualifiée d’ « euthanasie néonatale » dénommée par les professionnels « arrêt de vie ». Les décisions d’ « arrêt de vie » semblent répondre au fait qu’une très grande proportion (20 %) des grands prématurés (nés à moins de 28 semaines) présentent des lésions neurologiques susceptibles de garder des séquelles profonde. Distincte de l’arrêt de réanimation des prématurés gravement atteints, l’« arrêt de vie » consistait souvent à effectuer des « injections médicamenteuses avec l’intention de donner la mort au patient ».

Cette pratique est reconnue par 47 % des néonatologistes aux Pays-Bas (où l’euthanasie est par ailleurs légalisée), et par... 73 % des praticiens de même spécialité en France (où elle ne l’est pas). Dans la plupart des cas, les décisions n’étaient pas décidées de manière collégiale. Et quand les « pionniers » de cette « méthode » ont été interrogés, ils ont tous répondu que les parents n’avaient aucune place dans cette décision. La plupart du temps, ils ne savaient pas qu’elle avait été prise.

Sans que les gestes de « fin de vie » y soient mentionnés explicitement, la situation de réanimation néonatale a fait, elle aussi, l’objet, en 2001, d’un texte du Comité Consultatif National d’Ethique... Après avoir rappelé que donner volontairement la mort est un crime, le texte précise : « Au cours des années passées les plaintes liées à un décès par non-assistance à nouveau-né en danger sont restées exceptionnelles. En revanche il y a eu des poursuites, dont certaines ont donné lieu à des condamnations, à la suite d’une faute ayant entraîné des séquelles irréversibles. »

Plus loin, le texte définit exactement le pouvoir des méecins en déclarant, de manière sibylline : « Toutes les éventualités, y compris celle d’un acte extrême doivent être prises en considération dès les discussions sur la mise en oeuvre d’une réanimation initiale, malgré (et peut-être à cause de) l’incertitude sur les conséquences.(...) La décision d’entreprendre une réanimation pour faire survivre un enfant entraîne l’acceptation du risque de laisser survenir le handicap. »

Au vu de l’avertissement précédent, on peut comprendre que, lorsque le handicap risque d’être lourd, les médecins sont invités à prendre la décision de ne pas réanimer... mais surtout afin de ne pas encourir de poursuites au cas où l’enfant réanimé garderait des séquelles !

Plus loin dans le même texte, on peut lire : « L’appréciation des parents, protecteurs naturels de leur enfant, est le seul élément qui permette de prendre en compte l’exigence éthique de consentement ; aussi les parents doivent-ils participer aux discussions et décisions même s’ils ne disposent pas de l’initiative de la décision médicale. »

Aux yeux des membres du CCNE, face à la perspective de réanimer ou non leur nouveau-né prématuré, ce qu’expriment les parents semble n’être qu’un « avis » qui n’a pas de valeur décisive dans la décision. Car comment « participer » à une décision thérapeutique quand on n’est pas, soi-même, en mesure de refuser un traitement ?

 Prélèvement d’organes et maintien médical légal d’un corps en vie artificielle

Le prélèvement d’organes pose lui aussi une question éthique rarement abordée avec la famille. La législation actuelle permet à toute personne qui le désire d’autoriser le prélèvement de ses organes en cas de coma dépassé à « électroencéphalogramme plat » (en état de mort cérébral) fût-ce contre l’avis de la famille. Il est donc possible, de son vivant, de donner par écrit aux médecins l’autorisation de disposer de son corps à un moment où l’on ne sera plus en mesure de prendre cette décision en toute lucidité.

Don et prélèvements d’organes sont présentés par les services de transplantation comme étant louables et susceptibles de sauver des vies, mais ils taisent (ou feignent d’ignorer) que le médecin va choisir de maintenir en vie un patient « en état de mort cérébrale » afin de prélever ses organes. Maintenir un patient en vie artificielle pour lui retirer le coeur, les poumons, le foie ou les deux reins est une procédure qui n’est pas dénuée de sens symbolique, même si c’est pour tenter de prolonger la vie d’un autre patient.

Certes, la "mort cérébrale" est la condition légale préalable à tout prélèvement, mais elle ne donne pas pour autant, à elle seule, toute liberté au médecin de cesser ou de prolonger la réanimation de tous les patients sous machine... C’est la volonté clairement exprimée du patient qui détermine ces gestes.

On ne comprend pas bien pourquoi le maintien artificiel d’une vie pour les prélèvements d’organe serait justifié parce que le patient l’a autorisée, tandis que la mort accompagnée d’un patient lucidement fatigué de vivre et qui en émet le désir serait, en revanche, inacceptable.

La volonté de mourir à une heure choisie par le médecin (en fonction des nécessités du prélèvement) ne serait-elle recevable que pour les donneurs d’organes en mort cérébrale ? La mise à disposition du corps ne serait-elle justifiable que par l’existence d’un « bien supérieur » ? On retrouve ici l’aversion séculaire des pays catholiques (même lorsqu’ils se déclarent laïcs) envers toute forme de mort volontaire.

Aux yeux du corps médical, la décision d’un patient sain qui choisit de faire un don d’organes a beaucoup plus de valeur que celle d’un patient gravement atteint qui désire ne pas continuer à vivre.

Aux yeux de l’Eglise catholique, les greffes d’organes sont acceptables ; la mort volontaire ne l’est pas.

Coîncidence ?


Un parternalisme médical encore bien vivant

L’article R.4127-36 du code de la santé publique (loi du 4 mars 2002) stipule :
Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.

Mais un rapport de 2004 du Conseil National de l’Ordre des médecins (« Du droit au consentement au droit du refus de soin ») montre que, dans l’esprit des « sages » du corps médical, le consentement éclairé est une pure vue de l’esprit. On peut y lire en effet :

Ce droit au consentement et au refus du point de vue éthique et théorique est tout à fait indispensable (...) Mais certaines considérations doivent être prises en compte :
Cette relation médecin-patient, égalitaire sur le plan éthique reste habituellement inégalitaire sur le plan pratique. Dans le terme information il y a formation et des années d’étude et d’exercice, l’évolution, parfois disparate voire paradoxale, des connaissances médicales, les fluctuations des attitudes thérapeutiques, la survenue de nouvelles affections font partie plus ou moins consciemment du raisonnement médical qu’il est souvent difficile de faire partager à un patient surtout lorsqu’il est soumis à un élément émotionnel ou affectif qui vient interférer dans sa compréhension.

Ainsi quelles que soient la valeur de l’information donnée et l’importance des renseignements obtenus, il existera bien souvent une différence dans l’appréciation d’un fait médical qui peut conduire au refus de soins pour divers motifs.
(...)
En cas de refus confirmé de la part du patient, le médecin « doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix » et après avoir tout mis en oeuvre « pour la convaincre d’accepter les soins indispensables » (art 1111-4) mais une plainte secondaire du malade, d’un membre de la famille ou de la personne de confiance désignée par le patient pour insuffisance d’information, ou non assistance, ou défaut de soin et toujours possible. Le médecin peut-il alors être reconnu coupable d’avoir suivi le patient dans son refus de soin ?

Du fait des termes de la loi ce type de contestation ne peut plus être pénalement retenu. Mais qu’en sera-t-il sur le plan civil et administratif ? En cas de décès sera-t-il reproché au praticien de n’avoir pas su persuader le patient ? Il est donc important qu’il puisse « apporter la preuve par tout moyen » qu’il a donné une information appropriée en particulier sur les conséquences du refus qui a bien été « libre », « éclairé » et « certain » et qu’il s’est efforcé de convaincre dans l’intérêt du patient...

On le voit, à aucun moment le patient n’est considéré par principe comme une personne adulte apte à prendre les décisions le concernant, et les situations difficiles comme des exceptions à cette règle. Ce qui prime, avant tout, c’est que « la relation médecin-patient, égalitaire sur le plan éthique reste habituellement inégalitaire sur le plan pratique. » Le refus de soin est inacceptable : raisonnablement, un patient ne peut pas refuser un traitement tenu pour nécessaire par un médecin. Mais ici, ce n’est pas vraiment "l"intérêt" du patient qui est en jeu - puisque le texte laisse entendre que seul le médecin est apte à désigner cet intérêt. Ce qui est en jeu, c’est la crainte... d’être poursuivi.

Ainsi, la méfiance à l’égard du patient est la règle, puisqu’en qu’en cas de refus de soin permis par la loi, le médecin peut redouter, toujours d’après l’Ordre, d’être reconnu « coupable d’avoir suivi le patient dans son refus de soin ». L’Ordre ignore ainsi que la fréquence des procès contre des médecins est encore infinitésimale dans ce pays, et que l’immense majorité de ces procès sont avant tout motivés par le désir des patients d’obtenir des informations que les médecins français continuent à leur refuser.

A l’heure actuelle, la position largement défendue par les instances "représentatives" (et les plus réactionnaires) du corps médical consiste donc à maintenir la situation réelle de la pratique euthanasique dans le flou le plus complet.

Toutes proportions gardées, cette attitude du corps médical rappelle certains arguments entendus au moment du débat sur la légalisation de l’IVG. Elle au refus de légaliser les IVG médicales clandestines au prétexte que celles-ci relèveraient de la confidentialité de la relation médecin patient... et de la seule appréciation de la nécessité de l’IVG par les médecins.

Une telle attitude serait-elle admissible aujourd’hui ? Bien sûr que non. La légalisation et la médicalisation de l’IVG ont permis que les femmes ne meurent plus et ne soient plus mutilées, à prix d’or, par des avorteurs clandestins.

Pourquoi la légitime aspiration à disposer de son corps dont bénéficient les femmes qui veulent interrompre leur grossesse serait-elle plus acceptable que la non moins légitime aspiration à disposer de sa vie dont veulent bénéficier une toute petite proportion de patients gravement malades ?

Ce que révèle la levée de boucliers des médecins opposés à tout débat sur l’euthanasie, c’est d’abord la crainte de voir des pratiques courantes mais clandestines mises au jour- et, de ce fait, assujetties aux contraintes prévues par la loi.

Aujourd’hui, de nombreux praticiens pratiquent des gestes assimilables à une euthanasie active, avec ou sans l’accord des premiers intéressés. Lorsqu’ils le font dans l’enceinte d’un service hospitalier, cela peut rester discret.

Mais la mort est une question beaucoup trop importante pour l’abandonner à la seule bonne volonté (ou pire, au sadisme) des médecins.

Ce qui est en jeu ici, c’est l’incapacité quasi-phobique de la partie dominante, la plus réactionnaire, du corps médical français, à accepter que tout patient, qu’il soit ou non gravement malade, n’en est pas moins une personne libre de ses choix.

Y compris lorsqu’il s’agit d’en finir avec la vie, par arrêt des traitements ou par action volontaire.

Martin Winckler

P.S.

Lire aussi un excellent article de Maurice T. Maschino paru dans Le Monde Diplomatique de Novembre 2006

Bibliographie : Les Droits du patient, par Salomé Viviana et Martin Winckler, Editions Fleurus, 2005


[1Débats sur la fin de vie en réanimation néonatale - Problèmes, représentations et enjeux. Université Paris V - René Descartes. Directeur : Patrice Pinell. Emmanuel Hirsch figure dans le jury...




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