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Grippe aviaire : encore un effort pour être crédible.
par Christian Lehmann

29 juin 2006

Les premiers cas de transmission interhumaine de la grippe aviaire en Indonésie viennent d’être rendus publics.

Et ceci alors qu’en France, la mission parlementaire sur « l’évaluation du plan gouvernemental de prévention » de la grippe aviaire présidée par Jean Marie Le Guen, député PS, s’apprête à remettre les conclusions de son rapport, mercredi 28 Juin.

Dans Libération, dès le 14 Juin, Jean Marie Le Guen, interviewé par Eric Favereau, révélait les conclusions de la mission qu’il préside, dans un article intitulé : « La France n’est pas prête à faire face à une pandémie ».



Une telle prise de position, fort éloignée de l’autosatisfaction affichée par le Ministère de la Santé, provoque depuis dix jours quelques remous au sein même de la mission.

Dans son interview, le député PS dresse un constat qu’à leur niveau individuel, nombre de professionnels de santé, en ville dans leur cabinet, à l’hôpital dans leur service, partagent : il existe un monde entre les effets d’annonce répétés du Ministère sur les millions de traitements et les centaines de millions de masques stockés, et la réalité d’une épidémie vécue à hauteur de stéthoscope.

Les généralistes s’en sont émus à plusieurs reprises. En Janvier dernier, ils avaient été reçus par Xavier Bertrand et Dominique de Villepin, et avaient exprimé leurs inquiétudes. La conduite à tenir en cas d’apparition d’une pandémie sur le territoire français leur semblait ne pas tenir compte de leur expérience de terrain. Ainsi on les enjoignait, pour limiter la transmission éventuelle du virus, à privilégier le maintien à domicile des patients, donc à se déplacer à domicile sur chaque appel, munis bien entendu de tout le matériel de protection, de kits de prélèvement.

Quid de la prise en charge des autres pathologies, qui ne disparaissent pas par enchantement du seul fait d’une épidémie ? Quid de la gestion pratique au quotidien de cette charge de travail, de leurs déplacements en voiture, de la possibilité de bénéficier de la présence d’un accompagnant, de la prise en charge des déchets médicaux, du lien avec l’hôpital ? Comment sécuriser leurs déplacements au sein d’une population inquiète, alors que, cédant à la panique, certains pourraient vouloir leur extorquer des médicaments, des prescriptions inappropriées ?

Quid de leur hébergement, car dans les premiers temps d’une pandémie, il leur apparaissait incohérent de courir le risque de contaminer leurs proches, tant que le risque de transmission n’était pas défini ? Quid enfin du risque personnel qu’ils encouraient, au contact rapproché des malades, et ce alors que même en temps normal, les pouvoirs publics n’ont toujours pas réglé le problème du risque assurantiel pour les médecins effectuant des gardes de nuit ?

A demi-mot, ceux d’entre eux qui suivaient le dossier crurent comprendre que le flou du plan gouvernemental de prévention tenait, pour les professionnels de santé libéraux, à l’embarras du gouvernement. Car en cas de pandémie, les médecins libéraux appelés à remplir une mission de service public, seraient bien entendu en droit d’exiger des conditions de travail correctes et de sécurité maximales. Or, et c’est l’un des nœuds du problème, le gouvernement a perdu la confiance des médecins généralistes, comme il a perdu la confiance des Français. Et ce constat, déprimant en période « normale », devient franchement inquiétant en situation de pandémie éventuelle.

A l’approche de la publication du rapport, et alors qu’un exercice de simulation de secours à l’arrivée d’un avion transportant une personne suspectée d’être atteinte par la grippe aviaire a fait fiasco samedi matin à l’aéroport de Strasbourg Entzheim, le Ministre de la Santé, Xavier Bertrand annonce, selon l’agence Reuters :

"A partir de la rentrée, je veux des exercices dans tous les départements et
dans tous les établissements de santé...Je vais aussi évaluer
la montée en charge du dispositif de formation des professionnels de santé."

Ce dispositif de formation, dont les conditions de mise en place sont vivement critiquées par les organismes de formation médicale continue, semble participer d’une politique de prévention du risque politique ( assurer que tout va bien, assurer que tout est en place) plutôt que d’une réelle prise en compte du terrain.

Quand à l’absence actuelle de réponse aux interrogations posées par les médecins généralistes depuis Janvier dernier, l’annonce par le Ministre d’un colloque organisé en septembre sur "l’éthique en cas de pandémie grippale" intrigue.

Pendant des années, c’est en effet au nom de l’éthique, sous couvert de la déontologie, que les gardes de nuit furent imposées par l’Ordre des Médecins et les préfets aux seuls généralistes, condamnés jusque récemment, et encore aujourd’hui lors de réquisitions, à travailler parfois plus de 72 heures d’affilée, au mépris de la loi et de la sécurité des médecins comme des patients.

Ce colloque sur « l’éthique en cas de pandémie grippale » ressemble à un aveu, la tentative de culpabiliser, voire de contraindre les médecins à n’envisager leur participation à la prise en charge de l’épidémie qu’au titre d’un devoir médical, plutôt que comme l’exercice librement consenti d’une mission de service public, nécessitant par là même une définition du statut, des fonctions, des moyens, des protections à mettre en œuvre, jusqu’à la prise en charge en cas de décès, car les DDASS situent ces pertes à 5 % du corps médical.

Cette statistique, peu ébruitée jusqu’ici, pose le problème crûment. Au Canada, seuls 20% des infirmières libérales ont répondu favorablement à une demande de participation au dispositif en cas d’épidémie de grippe.Cliquer ICI

La gestion d’une éventuelle pandémie de grippe aviaire dépasserait très largement la seule question des stocks de médicaments, des stocks de masques. Comme l’ont finement analysé Fred Vargas et d’autres spécialistes des épidémies passées, une pandémie, au-delà même d’une crise médicale, est avant tout une crise sociale majeure, dans laquelle, si la société doit survivre, si les solidarités entre ceux qui sont indemnes et ceux qui sont atteints, jusqu’au sein du groupe familial, doivent perdurer, il importe de responsabiliser en amont les individus, en leur expliquant clairement les choix, les précautions à mettre en œuvre, les conduites à tenir. Parce que c’est du flou que naît l’angoisse, et que l’information, sereine, est aussi un facteur de résistance.

Jean Marie Le Guen le dit dans cet interview : « Il faut un discours beaucoup plus clair à destination de l’opinion publique. Il faut responsabiliser les gens et la société. »

Or pour tenir ce discours, il faut être crédible.
Il est délicat de tenir un discours fort de mobilisation du service public, des enseignants, des médecins, lorsqu’on prône inlassablement la diminution du nombre des fonctionnaires considérés comme improductifs, lorsqu’on reste sourd aux revendications des généralistes, laissés pour compte de la réforme.

Etre crédible, c’est annoncer quelques évidences

C’est dire, à nouveau, que nous sommes encore pour l’instant devant un risque hypothétique, que cette pandémie pourrait fort bien ne jamais se développer.

C’est dire que nos sociétés doivent aider, plus et mieux, les pays moins favorisés, à lutter contre la pandémie, non pas seulement par altruisme mais par nécessité.

C’est dire que nos sociétés sont fragilisées par le délitement du lien social, par une économie de marché essentiellement tournée vers le profit, et que la gestion d’une pandémie, à HxNx ou à un autre virus, nécessite de redéfinir nos priorités.

C’est dire qu’en cas de pandémie, nous serons tous dépendants les uns des autres, et que, bien loin des lois du marché et de la télé-réalité, nous ne nous en sortirons qu’ensemble.

Et que cette société qui prône les stock-options pour tous et les golden parachutes pour certains, ne tiendra que par le médecin ou l’infirmière qui restent sur le pont, le fonctionnaire de GDF qui tient son poste, le fils qui brave son inquiétude pour rester au chevet d’un parent malade.

Christian Lehmann, médecin généraliste et écrivain

www.christianlehmann.net




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