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La meilleure manière de soigner...
ArteRadio.com

30 novembre 2004

J’aime bien les Anglais. Quand j’étais gamin, mon père voulait qu’on parle anglais couramment, mon frère et moi, alors il nous envoyait tous les étés, - j’ai commencé, j’étais en sixième, peut-être, à aller en Angleterre, un mois par an, l’été bien sûr -, à Londres, avec une association qui en principe s’occupait de nous mais qui nous laissait nous balader beaucoup, donc on était... Quand je pense que j’ai fait les quatre cent coups à l’âge de douze ans dans le métro londonien avec mon frère, ou même tout seul, et que mon père le savait pas, il se serait étouffé s’il l’avait appris, le pauvre, il avait tellement peur pour nous, enfin, on n’est pas morts, hein.



J’aime bien les Anglais, disais-je, donc. J’aime bien les anglais parce qu’ils ont une conception du soin qui n’a rien à voir avec la nôtre. Et ils formalisent ça dans des livres comme celui que je tiens entre les mains, qui est un livre de Peter Tate, qui est un praticien britannique, qui est recommandé par la British Medical Association, et qui s’appelle The Doctor’s Communication Handbook, c’est-à-dire le manuel de communication du médecin.

Et je vais vous en donner simplement un aperçu, mais vous allez comprendre tout de suite en quoi il est complètement différent de ce que nous faisons en France. Le premier chapitre s’appelle "some early truths to remember", quelques vérités premières à se rappeler. Et ça commence par un petit encadré grisé, où il y a les quatre choses suivantes :

 Le patient a aussi peur que vous.
 Le patient croit que c’est plus grave que ce que vous pensez, vous.
 La maladie, ça fait peur, mais comprendre ce qui se passe, ça aide. Et ça, c’est valable pour le patient et pour vous.
 Et enfin : faire un interrogatoire du patient, c’est une méthode pour contrôler ce que le patient dit.

Et en anglais, to control, ce n’est pas vérifier, comme on pourrait l’imaginer en français, to control, c’est prendre possession, prendre le pouvoir sur. Or c’est précisément ce que le livre s’efforce de combattre. C’est-à-dire que pour eux, il ne faut pas du tout contrôler ce que le patient dit, au contraire, il faut laisser la plus grande liberté possible au patient.

Et tout ce bouquin, qui n’est pas un bouquin très long, qui fait 180 pages, à peu près, qui est donc destiné aux étudiants en médecine et aux médecins en exercice, vise à leur montrer que finalement la bonne méthode pour soigner, c’est d’avoir une attitude constructive avec le patient. Il énumère par exemple ce qu’on doit faire dans une bonne consultation.

Dans une bonne consultation, on doit en savoir plus sur le patient, en tant que personne, à la fin de la consultation, que quand il est rentré. Et pour cela il faut découvrir les raisons pour lesquelles le patient est venu, les raisons apparentes ne sont pas forcément les véritables raisons, il faut définir le problème clinique que le patient pose, il faut l’appréhender, ce problème, il ne suffit pas de le définir, mais il faut essayer de voir quels sont les tenants, les aboutissants, les urgences, il faut l’expliquer au patient, et il faut rendre la consultation utile.

Et en particulier, il y a un petit chapitre qui parle de la prescription, et qui dit : "voilà. Le problème de la prescription, c’est que le coût des médicaments n’arrête pas d’augmenter, et chaque fois que vous prescrivez, il faut vous poser les questions suivantes : est-ce qu’une prescription - et une ordonnance - est véritablement nécessaire ? Est-ce que c’est vraiment le meilleur choix, ce médicament que je choisis, pour la maladie en question ? Est-ce que je pourrais obtenir le même effet de manière plus économique ? Et enfin : est-ce que le patient va les prendre ?" Et l’auteur, Peter Tate, cite les résultats d’un certain nombre d’études sur la prescription, qui sont les choses suivantes :

 Quand le médecin pense que le patient attend une ordonnance, il a dix fois plus de chances de lui en prescrire une.
 Les patients qui attendent une ordonnance ont trois fois plus de chances de recevoir une ordonnance que ceux qui n’en attendent pas.
 Prescrire des antibiotiques pour le mal de gorge a très peu d’effet, finalement, sur le mal de gorge lui-même, mais augmente la croyance dans les antibiotiques et l’intention d’en demander lors des consultations futures.

Quelque chose qu’il appelle "shared decisions", c’est-à-dire les décisions partagées, une décision qui est partagée à la fois par le patient et le médecin, au sujet des médicaments, "shared decision", comme il l’appelle, est quelque chose de complètement inhabituel. C’est-à-dire que le plus souvent les médecins ne partagent pas la décision de prescrire le médicament avec le patient. C’est-à-dire que le patient n’a pas de mot à dire là-dessus.

Un autre truc très intéressant : la satisfaction des patients, quand on ne leur prescrit rien, est liée directement au soulagement qu’ils éprouvent par rapport à leurs inquiétudes. C’est-à-dire que plus le patient est soulagé sur ses inquiétudes, par exemple : j’ai pas de cancer, j’ai pas de ceci..., et mieux il accepte le fait qu’on ne lui prescrive rien. Autrement dit, plus un médecin rassure son patient, moins il a besoin de prescrire.

Une autre chose qui a été démontrée par les études, c’est : la plupart des incompréhensions liées à la prescription sont communes au patient et au médecin, et sont liées au fait que le patient n’a pas eu la possibilité d’exprimer exactement pourquoi il était venu.

A bon entendeur, salut.




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