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Disparition d’Odyssée
Jean-Luc Hees et Bertrand Vannier s’expliquent !
Transcription et commentaires : Louise Kelso-Bartlebooth

29 août 2003

Le 28 août au soir, l’émission "Le téléphone sonne", sur France Inter, était consacrée à la rentrée de la chaîne. A cette occasion, un auditeur posa une question concernant la disparition d’ "Odyssée", chronique de Martin Winckler. Louise Kelso-Bartlebooth, auditrice d’ "Odyssée" nous a envoyé la transcription des réponses faites à cette occasion par Jean-Luc Hees (Directeur de la chaîne) et Bertrand Vannier (directeur de l’information). La voici, avec quelques "Notes de la claviste", comme on pouvait en lire jadis dans les pages de Libération...



(Début de transcription)

Auditeur :
Ma question concernait la tranche matinale, à propos tout particulièrement d’une chronique qui avait lieu, que je trouvais très intéressante, et j’ai appris qu’elle avait disparu.

Il s’agit tout simplement de la chronique de Martin Winckler, Odyssée, et je trouve qu’elle a disparu de manière assez brutale : on n’a pas eu d’annonce, on n’a pas su du tout pourquoi elle avait disparu, le chroniqueur ( Note de la claviste : Tiens, au fait, vous avez vu la dernière campagne d’affichage Epeda ? ) n’avait rien annoncé du tout, et en même temps, j’ai entendu... enfin on n’est pas très nombreux à avoir entendu ça, mais un matin, un droit de réponse du lobby des industries pharmaceutiques, qui réclamaient un droit de réponse par rapport à qui, on ne le savait pas, personne n’était précisé, donc, je suis un peu étonné de ce droit de réponse, et évidemment c’était en lien directement avec la chronique de Martin Winckler.

Animateur :
Donc, vous sous-entendez en fait qu’il y a eu une pression du lobby pharmaceutique pour évincer Martin Winckler de la tranche matinale ? Posons la question clairement.

Auditeur :
La coïncidence était étonnante, oui... donc ma question, c’est comment peut-on expliquer cette disparition si brutale avec cette coïncidence là ?

Jean Luc Hees :
D’accord, alors ça, ça regarde mes responsabilités de directeur de l’antenne, puisque j’ai recruté ce chroniqueur y’a un an, avec une idée en tête, bon, savoir si l’idée a mûri comme je le souhaitais, tout au long de la saison, ça c’est pas sûr, et j’ai le privilège, qui est un petit peu redoutable parce que c’est une grosse responsabilité, de dire à un moment on arrête telle ou telle chose, parce que... pour telle et telle raison, et je m’en explique en général (NDLC Eh bien, la voici, l’explication : Winckler est un cas à part, depuis le temps qu’on le savait...)avec le chroniqueur ou le producteur, ou le journaliste en question. Voilà.

Y’a différents problèmes. Alors y’en a un, on va pas tourner autour du pot, est-ce que France Inter est une maison, avec sa notoriété, sa culture, son histoire, ses traditions, est-ce que c’est une maison qui est susceptible de se coucher devant un lobby, comme vous dites, ou devant un groupe de pression ? (NDLC : Oui.)

Pardonnez-moi, mais ce serait me faire injure, ça fait un certain temps que j’exerce mes coupables activités dans le métier de journaliste, je suis journaliste, j’ai une carte de presse, et j’essaie d’honorer l’éthique de cette carte de presse, donc non, le lobby pharmaceutique comme vous dites (NDLC : " Eh, c’est lui qui le dit, hein, c’est pas moi, moi j’ai rien dit, c’est lui, et comme c’est un auditeur, je peux pas le virer... ") ne m’a pas demandé la peau de Monsieur Winckler, quoi qu’il puisse en dire, et c’est pas moi qui vais alimenter une polémique qu’il a largement alimentée pour son intérêt personnel. Voilà, là vous avez ma parole, j’ai pas trop aimé ce procès d’intention qui s’est développé notamment sur Internet, si moi je me conduis pas bien dans un dîner, et que je suis pas réinvité, je m’acharne pas à sonner à la porte, je reviens pas, j’essaie de me dire que la prochaine fois je me conduirai bien.

Monsieur Winckler doit beaucoup à France Inter, je crois qu’il le sait, (NDLC : Moi je croyais qu’il devait beaucoup aux auditeurs de France Inter, c’est quand même eux qui lui ont remis le prix, par Jean-Luc Hees...), je crois que tout le monde le sait, je crois que c’est un monsieur qui a du talent mais qui est médecin (NDLC : ...et donc la médecine lui a un peu tout pourri son talent ???) et a qui peut-être un comportement qui convient pas tout à fait à la chaîne que j’ai l’honneur de diriger. Je vous dis ça parce que la décision que j’ai prise de mettre un terme à cette collaboration en fin de saison d’ailleurs, et personne dans cette maison pourra dire que j’ai jamais censuré qui que ce soit et quoi que ce soit, j’ai l’oreille un peu bouchée (NDLC : à la radio, c’est bête...)quand les groupes de pression s’adressent à moi sur n’importe quel sujet d’ailleurs et les gens de France Inter je crois le savent, mais ma décision a été prise en fait bien en amont, j’ai pris cette décision au mois de mars, le 26 mars à 18 heures 03 (NDLC : Mais comme France Inter est une institution vénérable, il a fallu attendre d’avoir rempli tous les papiers en douze exemplaires pour l’appliquer officiellement, la décision, ce qui fait que le Winckler en a lâchement profité pour s’incruster jusqu’au 4 juillet alors vraiment on voit pas de quoi y se plaint !), je précise parce que j’ai sous les yeux - je me doutais bien qu’une question arriverait comme ça - j’ai sous les yeux le site internet de France Inter, c’était en pleine guerre d’Irak...

La guerre en Irak c’est une affaire extrêmement grave et extrêmement tragique et on le mesure encore aujourd’hui, elle reste un évènement qui a été considérable, on s’en souvient tous, et puis j’ai lu sur le site de France Inter un petit mot de... du chroniqueur (NDLC : Vous l’avez vraiment pas vue, la campagne Epeda ?)dont vous parlez qui s’étonnait que j’aie eu l’audace de supprimer sa chronique, avec celles de tous les autres chroniqueurs de France Inter d’ailleurs, pendant plusieurs jours, 5-6 jours je ne me souviens plus exactement, dans la tranche de 7 heures à 9 heures puisqu’il y avait beaucoup beaucoup beaucoup d’informations à donner (NDLC : Ouh làlà oui, tellement beaucoup beaucoup qu’on avait le temps de les répéter seulement 27 fois chacune : il en arrivait toujours des fraîches !), beaucoup de... fallait essayer d’accompagner cette affaire très très difficile de la guerre d’Irak.

Donc il s’adressait en direct sur le net aux auditeurs de France Inter pour s’épater qu’on n’ait pas cru bon de poursuivre sa chronique et il disait, je trouve que c’est vraiment une grosse grosse bêtise de la part de la direction de faire ça, et là je le cite : " ça laisse entendre que la guerre est plus importante que ce qui se passe ailleurs, or le Monde et la France ne cessent pas de tourner pour autant. " Pardonnez-moi, je peux pas travailler longtemps (NDLC : Trois mois de plus, quand même...)avec quelqu’un qui pense comme ça.

Bon, c’est une affaire personnelle, c’est ma responsabilité, je pense que la guerre en Irak était très importante, et plus importante d’ailleurs que n’importe quelle pensée de n’importe quel chroniqueur attaché à l’antenne de France Inter. "

Bertrand Vannier :
Oui, non, sur le fond je ne peux qu’être d’accord avec Jean-Luc, parce que la décision on l’a prise en commun, c’était une chronique qui était diffusée dans les tranches d’informations du matin... juste afin qu’on se comprenne bien, la chronique elle a pas disparu, les termes ont du poids, la chronique elle a pas disparu comme ça d’un seul coup dans l’éther, le chroniqueur il a pas été viré à coups de pieds aux fesses de la maison de la radio, le 4 juillet, le vendredi 4 juillet, c’est le dernier jour où Stéphane Paoli était à l’antenne (NDLC : Du 30 juin au 4 juillet, le présentateur était Fabrice Drouelle, et la grille d’été s’est mise en place le 13. Il faut se tenir au courant de ce qui se passe sur votre chaîne, Monsieur Vannier !), c’était la fin du 7-9 de l’année, on arrivait aux chroniques de l’été, aux émissions de l’été, donc cette chronique elle s’est arrêtée quand s’est mise en place la grille d’été, donc elle a pas disparu (NDLC : MAIS SI ELLE A DISPARU ! Le programme d’été, c’était pas de passer des chansons de Gainsbourg ou Noir Désir, quand même ????? )d’un seul coup.

Et puis nous avons décidé que cette chronique ne reprendrait pas à la grille de rentrée, c’est arrivé à d’autres chroniqueurs dans le passé, ça correspondait pas et puis voilà, et je vais pas reprendre le discours de Jean-Luc. C’est pas tout d’un seul coup, poum, on a pas appelé des appariteurs pour d’un seul coup prendre Martin Winckler et le jeter à la porte (NDLC : Manquerait plus que ça ! En plus ç’aurait été à la porte de chez lui, à Winckler, puisque c’est de là qu’il la faisait, la chronique !)

Sa chronique s’est arrêtée avec la grille de l’année et on a décidé qu’on prendrait un autre chroniqueur qui s’appelle Jean-Claude Carrière, et c’est pas n’importe qui (NDLC : " ... lui (virgule), au moins (point) "), à cette heure-là, sur l’antenne de France Inter. "

Jean-Luc Hees : Ca pose tout de même un petit problème, après je ne parlerai plus de cette affaire, cette affaire est derrière moi maintenant, même si elle est pénible, enfin parce qu’il s’agit quand même de l’honneur du modeste directeur que je suis, et puis (NDLC : à ce moment là, quelqu’un souffle : " de la chaîne ", et on l’entend penser : " Ah,oui, c’est vrai, la chaîne ") il s’agit aussi de l’honneur d’une chaîne oui.

France Inter est réputée pour sa grande liberté d’expression. Et donc, parfois on me le reproche, vous voyez, il arrive qu’il y ait certaines émissions qui vont jusqu’à l’os, donc on me le reproche, il arrive qu’y ait certains chroniqueurs, alors vraiment qui ont des choses à dire, eux (NDLC : " ... (virgule), au moins (point).), et qui se cachent pas pour le dire.

Y’a une limite à tout ça. La liberté est totale, d’ailleurs les chroniqueurs, les journalistes d’ici n’ont jamais de pressions de ma part ni de personne, et ils ne savent même pas quand il y a pression, c’est-à-dire que je mets un point d’honneur à ne pas en parler, à ne pas leur dire dis-donc, y’a untel qui a appelé ou il s’est passé ça ou... je garde ça pour moi et je traite les choses, encore une fois je vous dis, je fais un petit peu la moule sur le rocher (NDLC : J’aime cette image...), c’est-à-dire je me bouche les oreilles et j’attends que la marée remonte et qu’elle descende, c’est mon boulot, c’est ma responsabilité, je suis théoriquement et pratiquement la garantie de ça, et c’est normal, pour les gens qui exercent leur activité à France Inter. Mais y’a des gens sur cette antenne qui sont quand même aussi la garantie de la vérité de ce que je dis.

Je veux dire, peut-être que Martin Winckler est une Jeanne d’Arc que j’ignore et dit des choses extraordinaires, mais il y des gens dans cette maison comme Daniel Mermet, dont parfois les propos vont loin, donc... et il est toujours là Daniel Mermet, il parle comme il veut, je m’imagine bien en train d’aller dire à Daniel Mermet, oui tiens salut mon p’tit Daniel aujourd’hui on a eu un problème avec les labos untel ou la compagnie pétrolière unetelle - c’est arrivé, j’dis pas ça au hasard - et puis ben tu vas baisser un p’tit peu d’un ton et tu vas faire ce qu’on dit, mais c’est inenvisageable à France Inter.

Philippe Val qui travaille et qui officiera encore le lundi sur France Inter avant le journal de 19 heures, de temps en temps il a des choses à dire (NDLC : ... et comme on l’aime bien et qu’il demande pas cher on le garde...)et il ne se gratte pas trop non plus pour les dire, et puis la liste est un petit peu longue, je pense à mon ami Guy Carlier notamment, qui a pas la langue dans sa poche non plus...

Y’a une limite à tout ça, c’est la diffamation. La diffamation est un délit puni par la loi. Nous sommes une société de service public, nous sommes gérés dans une société de droit, personne sur cette antenne n’est autorisé à diffamer qui que ce soit, c’est une règle absolue et c’est la seule règle, enfin c’est le seul moment où j’interviens et où vraiment je me fâche.

(Fin de transcription)




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