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Etes-vous pour ou contre les versions originales ?
19 février 2003

14 octobre 2004

Le texte de cette chronique faite sur France Inter date de février 2003. Cela fait bien plus longtemps que, par expérience personnelle, j’affirme que la diffusion systématique des films et des séries en VOST à la télévision aurait un effet positif sur l’acquisition des langues étrangères par les Français jeunes et moins jeunes. (J’en ai dix exemples à la maison.)




A l’occasion de cette chronique, j’écrivais :

"La semaine dernière, pendant un bref séjour en Norvège, en allumant le téléviseur de ma chambre d’hôtel, j’ai eu la surprise de constater que plusieurs chaînes diffusaient des feuilletons américains, anglais ou suédois en version originale, avec des sous-titres en norvégien. Et cela, non pas à deux heures du matin, mais en pleine journée.

Quand j’ai interrogé mes hôtes, ils m’ont expliqué qu’il en était ainsi dans tous les pays scandinaves. Et je me suis posé la question suivante : si en Scandinavie, où beaucoup de gens parlent souvent deux langues, voire trois, toutes les fictions étrangères sont diffusées en version originale, pourquoi en France, où l’on se plaint sans arrêt du faible niveau linguistique de la population, les chaînes publiques ne font-elles pas de même ?

Dans l’hexagone, la diffusion des fictions en version originale est microscopique ou inexistante sur France 2 et France 3, et un peu plus fréquente sur Arte, mais la chaîne franco-allemande est beaucoup moins regardée. Les spectateurs qui ne sont reliés ni au câble ni au satellite sont donc privés d’une source d’apprentissage des langues variée, gratuite, et accessible à tous.

Outre qu’elle favoriserait l’apprentissage des langues étrangères, la diffusion des fictions en version originale sur les chaînes publiques aurait plusieurs avantages : comme en témoigne les milliers de jeunes gens qui reviennent chaque année d’un séjour d’e plusieurs mois à l’étranger, l’immersion dans la langue d’un pays permet une meilleure compréhension de sa culture.

La version originale permettrait aussi de respecter les oeuvres et leurs interprètes - il suffit d’imaginer ce que peut donner le doublage de Coluche ou de Valérie Lemercier en japonais pour comprendre ce que nous faisons subir à Woody Allen ou à Whoopi Goldberg en les affublant d’une voix française ; tandis que le doublage le remplace et souvent dénature le texte original, le sous-titrage, même s’il n’est pas parfait, le complète et l’explicite ; si la VO sous-titrée se généralisait, elle permettrait aussi d’améliorer chez les jeunes spectateurs leur vitesse de lecture du français, leur maîtrise de la grammaire, leur orthographe et leur vocabulaire ; et je n’ai pas besoin de vous dire que les personnes sourdes ou malentendantes, qui sont nombreuses en France, apprécient les sous-titres.

Enfin, sous-titrer des films ou des séries télévisées, c’est plus rapide et beaucoup moins coûteux que de les faire doubler ; au lieu de faire cachetonner les comédiens français sur le doublage des fictions étrangères, l’argent pourrait être investi dans des productions françaises, non ? Etc. On m’objectera que c’est impossible en France, que les sous-titres font fuir les spectateurs, que ça " gêne les personnes âgées " , et que tout le monde veut entendre parler français.

Ces objections ne correspondent pas à la réalité : regardez-bien, il y a déjà beaucoup à lire dans les émissions des chaînes publiques : des titres au bas de l’image pendant le journal de vingt heures, des textes en banc-titre, et des sous-titres dans les émissions de reportages et les documentaires, y compris quand ceux-ci ont été tourné par des français et obtenu un Oscar.

Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi les sous-titres gêneraient les personnes âgées en France plus qu’en Finlande ou en Norvège, et je n’ai jamais entendu les jeunes gens se plaindre que les clips musicaux diffusés par M6 ou TF1 [1] soient en anglais. Alors ? Pourquoi cette résistance à la version originale ? Des responsables de programmes , à qui je posais la question, m’ont répondu : " Le public n’en veut pas ". Mais qui est donc "le public" ?

Comment est-il défini ? En admettant qu’une telle entité existe, l’a-t-on vraiment interrogée ? Et enfin, je vous pose la question, les chaînes de télévision publique doivent-elles absolument satisfaire les goûts (réels ou fantasmés) des spectateurs ou leur vocation est-elle aussi de les bousculer un peu pour leur ouvrir des horizons nouveaux ? "

Depuis ces jours-ci, ma suggestion n’est plus aussi loufoque qu’elle le paraissait à l’époque. Pour permettre une meilleure acquisition de la langue anglaise par les jeunes, le rapport Thélot sur l’éducation recommande le sous-titrage des séries télévisées. Ce n’est pas une boutade, mais une information qu’on peut lire sur le site de l’agence Reuters.

La commission suggère en particulier :

"On pourrait envisager de mettre la télévision au service d’une grande cause éducative : la maîtrise (...) de l’anglais de communication internationale", acquisition qui fait d’après elle partie du "socle de compétences indispensables à une intégration réussie dans la société du XXIe siècle", tout comme lire, écrire, compter et savoir utiliser un ordinateur.

Pour les membres de la commission Thélot "une simple mesure permettrait de faire progresser cette maîtrise beaucoup plus vite que ne le peut l’école seule : l’abolition du doublage à la télévision". Ils constatent en effet qu’il est possible d’acquérir "aisément" l’usage de l’anglais "par la vision répétée de films ou de séries américains sous-titrés" qui augmente "l’exposition à l’anglais oral" et poursuivent : "Il serait astucieux de s’inspirer des résultats de l’expérimentation involontaire [des pays scandinaves ou de la Grèce, qui n’ont pas les moyens de doubler les fictions et où, de ce fait, l’anglais est couramment compris et parlé] pour favoriser en France l’acquisition d’un élément important du socle des indispensables".

De manière très audacieuse, la commission Thélot recommande d’inscrire dans le cahier des charges des chaînes de télévision "l’obligation de recourir au sous-titrage plutôt qu’au doublage".

On peut cependant parier que les responsables de programmation des chaînes de télévision - dont les annonceurs ne tiennent pas à rendre le cerveau des spectateurs disponible à autre chose que le Coca-Cola - et les syndicats d’acteurs - dont nombre de membres touchent leurs indemnités d’intermittents grâce à de mauvais doublages - trouveront que leurs intérêts propres l’emportent largement sur celui de l’ensemble des citoyens...

MW


[1non doublés, bien entendu, mais souvent surchargés de textes divers




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