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Une anthologie noire présentée par Martin Winckler
"Noirs Scalpels" : des crimes et des médecins
Le Cherche midi (16 juin 2005)

16 juin 2005

Les médecins sont le plus souvent perçus comme des soignants, des guérisseurs, des magiciens bienveillants. Mais il n’est pas rare qu’un médecin soit également associé... au crime !

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Parce que les médecins sont détenteurs de révélations parfois graves, confiées par leurs patients - des révélations en principe verrouillées par le secret médical.

Parce que certains médecins sont des être humains aussi troubles que ceux qu’ils soignent - tourmentés, fourbes, manipulateurs, ivres de pouvoir, violents - en un mot : maléfiques.
Parce que les médecins, par leur savoir, disposent d’outils puissants et d’un pouvoir convoité : celui de réparer, de changer un visage, de rajeunir, de transplanter un organe... ou de tuer.

D’un autre côté, la médecine et son savoir diagnostique aident constamment à confondre les criminels - pour inventer Sherlock Holmes, Conan Doyle (lui-même médecin) ne s’est-il pas inspiré d’un de ses enseignants, le Pr Joseph Bell, chirurgien doté d’une extraordinaire intuition ?

Bref, dans la réalité, les médecins peuvent tout aussi bien être associés au crime qu’au bien.

C’est autour de cette thématique que s’est élaborée l’idée de Noirs Scalpels, anthologie de textes inédits mettant en scène des hommes (ou des femmes) en blanc vus sous l’angle du... noir.

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Afin de donner une certaine unité à cette anthologie, chaque nouvelle devait respecter trois contraintes très simples, mais impératives :

 présenter au moins un personnage de médecin - ce médecin pouvant être indifféremment victime, bourreau, complice, témoin, enquêteur...) ; si l’auteur veut en présenter (ou en tuer) plusieurs, libre à lui !
 décrire au moins un crime commis sur une personne - il peut s’agir d’un meurtre mais aussi d’un viol, d’un kidnapping, de violences diverses, d’une intervention illégale, d’une amputation injustifiée, etc...
 recourir à un instrument médical ou un objet très évocateur de la profession médicale occupant une place centrale dans l’intrigue ; par exemple : un stéthoscope utilisé comme instrument de strangulation ; un suppositoire empoisonné ; une radiographie truquée, etc. ; les utilisations fantaisistes n’étant évidemment pas interdites...

Etant donné l’universalité de la figure du médecin, j’ai pensé que cette anthologie gagnerait à compter parmi ses contributeurs des écrivains contemporains venus d’horizons variés, qu’ils soient ou non familiers du genre. Et j’ai voulu me faire plaisir (y’a pas de raison !) en sollicitant des plumes que j’aime lire...

Noirs Scalpels, contient des nouvelles rédigées par Chantal Pelletier, Chantal Montellier, Marie Raspberry, Lalie Walker, Stéphanie Janicot, Joëlle Wintrebert, Ayerdahl, Bruno Schnebert, François Rivière, Christian Lehmann, Jérôme Leroy, Michel de Pracontal, Nicolas d’Estiennes d’Orves, Olivier Delcroix, Frédéric H. Fajardie, René Reouven, Daniel Walther et Martin Winckler ainsi qu’un essai introductif sur le genre, une bibliographie choisie et un dictionnaire biographique des auteurs.

Noirs Scalpels est publié par Le cherche midi dans la collection NéO dirigée par Hélène Oswald.
Broché - 340 pages, 14x22cm - 18€ - ISBN : 2749103320
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P.S.

Extrait de la préface de Martin WInckler :

Diagnostic : meurtre

A Danièle Grivel, Edward D. Hoch, et Roland Lacourbe

Par un juste retour des choses, le médecin s’effondra dans son fauteuil en soupirant : « Mes malades me tuent ! »
Sacha Guitry

Le titre de cette introduction, emprunté à une excellente série policière américaine (1993-2001), synthétise en deux mots la relation entre médecine et littérature criminelle. Il y a vingt ou trente ans, on aurait pu se demander quels rapport pouvaient unir la médecine et le crime ? Apparemment, les deux domaines sont opposés : les médecins ont pour mission de soigner les maladies - et de les empêcher de mourir ; les enquêteurs ont plutôt celle d’élucider les crimes.

Mais depuis toujours, médecine et justice font bon ménage, d’abord parce que c’est le plus souvent au médecin que l’on confie la tâche de constater - ou d’attester - le décès d’un être humain et parce que c’est aussi à lui qu’incombe souvent de formuler l’hypothèse que ce décès n’est pas naturel. De là à ce que le médecin soit sollicité comme expert devant les tribunaux, il n’y a qu’un pas, franchi depuis longtemps dans la plupart des pays disposant d’un système judiciaire ayant pour vocation d’assurer l’équité des procès.

Des liens entre la médecine et le crime, le grand public raffole, comme en témoigne la multiplication, depuis quelques années, des émissions documentaires ou des fictions télévisées traitant peu ou prou de médecine légale. Je n’en donnerai qu’un exemple, particulièrement révélateur : pendant dix ans, entre 1993 et 2002, la série la plus regardée de la télévision américaine fut ER (Urgences), chronique de la vie mouvementée d’un service d’urgences à Chicago.

Depuis 2001, la fiction qui l’a supplantée, intitulée CSI - Crime Scene Investigation (Les Experts) met en scène une brigade scientifique attachée à la police et chargée de relever et d’analyser les traces matérielles des crimes à Las Vegas. Le lot quotidien de cette demi-douzaine d’hommes et de femmes : les cheveux, les empreintes, les fragments de peau laissées sur une cordelette, les fragments d’ADN d’agresseurs sous les ongles des victimes...

Il suffit de se rendre dans une librairie (en France comme Outre-Atlantique) pour savoir que, depuis quelques années, les ouvrages documentaires consacrés à la médecine légale font florès, mais il ne faut pas oublier qu’en littérature, les Anglo-saxons ont depuis bien longtemps la plus grande fascination pour les liens unissant la médecine et le crime.

Tout commence en 1887, lorsque Sir Arthur Conan Doyle publie A Study in Scarlet (Une étude en rouge), la première aventure de Sherlock Holmes. Médecin lui même, Conan Doyle dessine son immortel personnage en s’inspirant d’un de ses maîtres, le Dr Joseph Bell, réputé pour la précision de son diagnostic et un sens de l’observation hors du commun.

Les méthodes de diagnostic médical sont souvent comparées aux méthodes d’investigation policières et ces dernières empruntent de plus en plus aux premières parce que médecins et enquêteurs se penchent sur le même objet (un corps souffrant ou mort) et recherchent le responsable de l’agression (une maladie, un criminel). Conan Doyle l’avait bien compris, et s’il est peut-être hasardeux de lui attribuer l’invention de la médecine légale (ce serait plutôt à Joseph Bell et à ses contemporains qu’on pourrait en attribuer la paternité), on peut cependant lui être reconnaissant d’avoir associé la médecine et le crime au moyen d’une « pâte » qui leur conféra immédiatement une dimension universelle : la littérature.

Si la ressemblance entre médecin et enquêteur va de soi, celle du médecin avec l’assassin semble, en revanche, contre nature, pour ne pas dire monstrueuse. Et pourtant : les médecins ne sont jamais que des hommes, dotés des mêmes zones d’ombres et des mêmes vices que tout un chacun. Dans un monde idéal, un médecin ne serait jamais inspiré que par le bien, mais notre monde est loin d’être idéal.

De nombreux spécimens - parmi lesquels le français Marcel Petiot, praticien français qui assassina plusieurs dizaines de personnes pendant la seconde guerre mondiale et fut guillotiné en 1946 ou le britannique Harold Shipman, généraliste emprisonné à vie en 2002 pour avoir empoisonné... 217 de ses patients pendant sa longue carrière - sont là pour nous rappeler que le médecin est en bonne position pour assassiner son prochain. Quant au Dr Mengele, sinistre praticien d’Auschwitz, il est la preuve qu’un diplôme n’est pas synonyme de tolérance ou d’éthique, et que les corps humains sont peu de chose, si le médecin les considère comme un objet d’expérimentation et non des personnes à soigner.

Bref, les exemples abondent pour nous montrer qu’on peut parfaitement être médecin ET un criminel : l’un n’empêche pas l’autre. D’ailleurs, dès la faculté, tous apprentis-médecins sont culpabilisés à l’idée de faire passer de vie à trépas l’un ou l’autre des patients qu’on leur confie. Comme il n’est pas exclu que le chemin de leur apprentissage soit jonché de corps innocents, ils doivent apprendre à vivre avec cette culpabilité. Parfois, pour se venger de ces crimes dont on les accuse avant même qu’ils les aient commis, il leur arrive d’avoir envie de tuer quelqu’un, et de trucider (en rêve, sinon dans la réalité) l’un ou l’autre de leurs maîtres ou de leurs collègues - voire même, l’un de leurs patients.

Qu’il agisse pour assouvir son sadisme, son idéologie, son esprit de lucre ou tout simplement parce qu’il est complètement fou, le médecin est, par son savoir et grâce au pouvoir exorbitant dont il dispose quand on se confie à lui, en bonne position pour tuer. Cela semble si facile que cela devient furieusement tentant. Car il est plus aisé pour un médecin que pour le commun des mortels (et des assassins) de se débarrasser de son semblable sans se faire prendre. La connaissance intime des corps, de leur fonctionnement, de leurs faiblesses et d’innombrables procédures mortelles et autres substances toxiques facilite grandement les choses... (...)




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